logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les travaux d’Hercule de Benoît Hamon

Politique sociale | publié le : 03.09.2012 | Anne Fairise

Image

L’économie sociale en 2011 (en %)

Crédit photo Anne Fairise

La création d’un ministère de l’Économie sociale signe la reconnaissance d’un secteur très divers. Et réveille ses attentes. Un gros chantier en perspective.

Finalement, deux mois auront été nécessaires pour que les professionnels de l’économie sociale et solidaire (ESS) sortent de leur prudence légendaire. Tel Patrick Lenancker, président de la CG Scop, vitrine d’un capitalisme à visage humain avec ses 2 000 coopératives assurant gouvernance démocratique et répartition équitable des bénéfices, qui reconnaissait au début de l’été : « La période est très engageante. Nous voilà face à nos responsabilités ! » La présentation, début juillet, de la feuille de route du ministre délégué Benoît Hamon a visiblement fait son effet.

En réitérant sa volonté de faire de l’ESS « un vecteur important d’une nouvelle stratégie de croissance », il a rassuré. En annonçant l’élaboration dès septembre d’une loi-cadre, qu’il veut présenter aux assemblées au deuxième trimestre 2013, il a contenté ceux qui attendent un texte aussi fondateur que la loi de 1901 pour les associations. Mais oubliez les affirmations de principe, a-t-il prévenu : la loi contiendra « toutes les dispositions juridiques nécessaires à la constitution d’une politique publique ». De quoi, en résumé, permettre aux structures de l’ESS de ne plus être pénalisées, dans l’accès aux marchés publics ou aux crédits, par leur modèle non lucratif. Et de se développer. Les mesures annoncées ont montré que les vieilles revendications avaient été entendues. Tel ce droit préférentiel de reprise, sous forme coopé rative, accordé aux salariés de sociétés en diffi culté ou sans repreneur. Une idée défendue par la CG Scop depuis… deux quinquennats.

« Reconnaissance révolutionnaire ». Autant dire du concret, enfin, pour les multiples familles de l’ESS (associations, mutuelles, coopératives, fondations, structures d’insertion par l’activité économique, entreprises sociales) qui étaient plongées dans l’attente depuis la création inédite sous la Ve République de ce ministère de plein exercice rattaché à Bercy. En trente ans, il n’y a eu qu’une poignée de délégations interministérielles et deux secrétaires d’État, souvent dans le giron de « ministères sociaux ». « Cette reconnaissance institutionnelle dans le champ économique est révolutionnaire. Je ne comprends pas qu’elle soit passée inaperçue dans les médias », déplore Mathieu Boullenger, patron en Seine-Saint-Denis d’une entreprise adaptée (80 % du personnel souffre de handicap) dans le recyclage.

Car, pour les spécialistes, le changement est en marche. Enterrée la vision réparatrice de l’ESS qui ne serait qu’une béquille de l’économie traditionnelle permettant aux « sans » (emploi, logement…) de remettre le pied à l’étrier ! Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif et ex-délégué à l’économie sociale, y croit dur comme fer : « Marquer “Économie sociale et solidaire” au fronton de Bercy va changer les mentalités dans les grandes directions du ministère, qui n’y verront plus un secteur dépensier mais créateur de valeurs. »

Reste à dépasser les symboles. « Il y a tout à bâtir », résume Claude Alphandéry, créateur du réseau France active et, à 90 ans passés, figure tutélaire de l’ESS, qui pronostique pour Benoît Hamon « une bataille de tous les jours ». D’abord pour faire vivre le sigle ESS auprès d’une opinion publique qui ne fait pas le lien entre Chèque Déjeuner, la Macif, le Crédit agricole, Emmaüs et une association de quartier luttant contre l’illettrisme. Ensuite pour convaincre les familles qu’elles n’en font qu’une. Pas simple de définir l’ADN de l’« entreprendre différemment ». Car l’ESS, longtemps une affaire de militants et de travailleurs sociaux, a bien évolué. Les débats identitaires font rage entre les « pionnières », ces associations, mutuelles, coopératives, pour qui le statut juridique fonde la légitimité, et les derniers venus, ces entrepreneurs voulant concilier efficacité économique et utilité sociale, qui mettent en avant leurs pratiques, tel le réinvestissement des excédents… À l’image d’un Jean-Marc Borello, délégué général du Groupe SOS (283 établissements), pour qui « le statut ne fait pas la vertu ». Au risque, critiquent ses détracteurs, d’être un cheval de Troie d’un social business à l’anglo-saxonne.

« Que chacun balaie devant sa porte, il y a de l’ambiguïté dans l’entrepreneuriat social. Mais les associations et certaines coopératives agricoles peinent à faire vivre démocratiquement leurs statuts », s’énerve un entrepreneur social. « L’intérêt d’avoir un ministre, c’est qu’il va fédérer autour de ses initiatives », modère Jacques Dasnoy, délégué général du Mouves, le Mouvement des entrepreneurs sociaux, qui loue son approche « ouverte, pragmatique, sans a priori idéologique ». Car inutile de dire que les premiers pas du chef de file de l’aile gauche du PS, plus fin connaisseur des arcanes politiques que de l’ESS, ont été scrutés. « Son discours s’améliore de jour en jour. Il a vite compris les enjeux », lâche, soulagé, un ancien. Sa mise en garde aux entreprises faisant du « socialwashing », comprendre du marketing leur donnant un vernis social, ce qu’il ne tolérera pas dans l’ESS, a fait mouche.

Mais Benoît Hamon s’est, d’emblée, placé au-dessus des luttes intestines. Martelant son refus d’être « l’homme-sandwich qui relaie les vœux des uns et des autres ». Prévenant, « s’il faut mettre les pieds dans le plat, je le ferai ». Début juillet, il a mis les familles devant leurs responsabilités et demandé au Conseil supérieur (CSESS) qui les réunit, et peine depuis deux ans à définir un label caractérisant le secteur, de finaliser ses travaux (voir encadré), en intégrant parmi les critères la notion d’impact social. S’il n’« entend pas trancher d’autorité » les débats, son cadrage est précis. « C’est sur la base des pratiques, et non des statuts, et surtout de leur pérennité que l’appartenance d’un organisme à l’ESS sera validée », a-t-il expliqué, soucieux de sortir des débats d’initiés. Les organisations d’employeurs lui en savent gré : non représentatives sur le plan interprofessionnel, elles ont pu participer à deux des sept tables rondes de la conférence sociale de juillet. « Benoît Hamon a dû batailler pour imposer notre présence. Les organisations d’employeurs représentatifs y étaient opposées », rappelle Alain Cordesse, président de l’Usgeres, représentant 60 000 employeurs et 800 000 salariés, satisfait de la réouverture annoncée du chantier de la représentativité patronale. Un dossier sur le bureau… du ministre du Travail, Michel Sapin.

Le ministère Hamon ne peut compter sur l’appui d’aucune administration dédiée

Changer d’échelle. Car Benoît Hamon est contraint de s’entendre avec ses homologues : celui du Redressement productif, pour la reprise des entreprises en difficulté, celui de l’Économie et des Finances, pour définir le compartiment ESS, doté de 500 millions d’euros, de la future Banque publique d’inves tis sement. Et des tiraillements sont attendus, sur la gouvernance et le degré de territoria lisation de l’action de la BPI. L’enjeu est de taille : faire changer l’ESS d’échelle. « Au-delà de 300 000 euros, l’accès au financement est complexe », rappelle un banquier. Autre dossier partagé avec la Rue de Grenelle : les 150 000 « emplois d’avenir », pensés pour des jeunes non qualifiés et fléchés majoritairement vers les associations. « Il serait judicieux que le ministre obtienne leur ouverture à un certain nombre de jeunes qualifiés, pour développer des activités socialement innovantes et les professionnaliser », suggère Hugues Sibille. D’autant que l’ESS connaîtra 600 000 départs à la retraite d’ici à dix ans…

Autant d’arbitrages à l’aune desquels le ministre sera jugé. « Il n’a d’autre choix qu’une stratégie d’accords multiples. Mais c’est un pur politique, et il entend réussir », avance Michel Abhervé, professeur d’économie sociale à l’université de Marne-la-Vallée. Reste qu’il ne peut compter sur l’appui d’aucune administration dédiée, hormis les vestiges de l’ex-délégation interministérielle : quatre personnes en « équivalent temps plein »! Les 10 membres de son cabinet tentent de suppléer. « Mais ils vont souvent à la pêche, faute d’avoir la mémoire du secteur », note un responsable de mutuelle. Le ministre en a cons cience, qui sollicite à tout-va les acteurs de l’ESS. Il va demander au CSESS d’étoffer la trame de la future loi élaborée par son cabinet, et saisir sur le sujet le Conseil économique, social et environnemental. « Nous inventons un ministère associant la société civile au processus de décision », souligne Laurent Laïk, président du Comité national des entreprises d’insertion. Cela ne palliera pas le manque d’expertise publique pour aider, localement, l’ESS à se développer. Un énième défi pour Benoît Hamon, qui s’est donné jusqu’aux municipales de mars 2014, date de possibles remaniements, pour poser les fondations. Dix-neuf mois, à peine.

1 salarié sur 4 du secteur de l’économie sociale partira à la retraite d’ici à 2020, soit 608 000 personnes.

Source : Observatoire national de l’ESS CNCRES.

Claude Alphandéry, animateur du groupe de travail « label » (CSESS)
“L’ESS doit être exemplaire”

Pourquoi définir un label est-il si difficile ?

La complexité de l’ESS ne permet pas de l’inscrire dans un label unique. Le groupe de travail l’a vite compris, en restant convaincu de la nécessité d’identifier les structures de l’ESS pour les légitimer. Il a bâti un référentiel avec quatre principes (finalité sociale, gouvernance démocratique, « lucrativité » nulle ou limitée, économie de proximité) et déterminé plusieurs indicateurs pour en mesurer la réalité. Car ces principes s’appliquent différemment selon les structures. Mais il n’a pu tout détailler.

Pour quelles raisons ?

Il n’y a pas de consensus sur la définition de la gouvernance démocratique ni sur les indicateurs mesurant la « lucrativité » limitée. Quelle échelle salariale choisir Une minorité préfère une définition qualitative (« des salaires raisonnables et raisonnés ») à une échelle encadrée des rémunérations (de 1 à 5 ou de 1 à 10) défendue par la majorité. Mais la modération de l’écart salarial imposée aux entreprises publiques (de 1 à 20) a fait bouger les lignes. L’ESS ne peut pas faire moins bien. Elle doit être exemplaire.

Vous espérez une issue positive ?

Nous définirons ces principes, à inscrire dans la loi. Mais le mieux, selon moi, pour répondre au besoin de souplesse de l’ESS est de labelliser les structures par des chartes sectorielles ou territoriales.

Propos recueillis par A. F.

1 emploi sur 8 du secteur privé en 2011.

Source : Recherches & Solidarités.

Auteur

  • Anne Fairise