logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les députés stars du social

Politique sociale | publié le : 03.09.2012 | Emmanuelle Souffi

Sur les 234 nouveaux élus de l’Assemblée, rares sont ceux qui rêvent de la commission des Affaires sociales. Pas très sexy, les sujets requièrent forte expertise et réelle appétence. Casting des principaux acteurs de la prochaine législature.

La moquette élimée seventies lui sort par les yeux. Quand elle a poussé la porte de son nouveau bureau, la présidente de la commission des Affaires sociales a cru défaillir. Trop triste et trop « naphtaline » pour cette pétillante quinqua qui préfère voir la vie en blanc et taupe. Du haut de ses quinze ans de théâtre amateur, la pharmacienne Catherine Lemorton ne s’embarrasse pas de circonvolutions. Élue haut la main à la tête du social à l’Assemblée en juin, cette députée socialiste à l’humour volontiers cassant n’hésite pas à couper les micros quand l’opposition joue la montre en déposant une flopée d’amendements. Elle y était encore il y a peu et s’y est illustrée par son franc-parler et, surtout, sa connaissance des dossiers sa nitaires.

Des mois qu’elle rêvait de cette commission quand on lui prédisait plutôt un avenir ministériel. « Le vrai pouvoir en continu est ici, car vous n’êtes pas dégageable », coupe cette fille de la Garonne. Comme elle, la plupart de ses collègues sont heureux d’être là quand d’autres parlementaires préfèrent le prestige des Finances, de la commission des Lois, celle des Affaires économiques… Ou étrangères « car on voyage beaucoup », relève, non sans malice, un fin connaisseur de l’institution. Eva Sas, qui a accompagné de nombreuses restructurations pour le cabinet Secafi, a choisi d’exercer ses talents aux finances plutôt qu’au social. « Car c’est là que tout se joue. On a une vue sur tous les dossiers », estime la députée socialiste de l’Essonne, qui compte toutefois suivre les débats sur la sécurisation des parcours professionnels et la formation.

Trop connoté pauvreté. Bref, le social, c’est un peu « la poubelle », poursuit notre observateur, là où on atterrit parce qu’il reste de la place. Trop connoté pauvreté, exclusion. Pas assez ronflant. Une commission pas comme les autres, technique et dense. « C’est celle qui travaille le plus ! » clame Francis Vercamer, qui y siège depuis dix ans. Difficile de s’improviser spécialiste du médicament ou des retraites. « Le ticket d’entrée est élevé, car il faut beaucoup bosser sur des sujets très verrouillés, observe un « vieil » assistant parlementaire. Si vous n’êtes pas un professionnel de santé, vous ne travaillerez pas sur le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale]. » La bonne foi ou la seule envie d’aider les autres ne font pas le poids face au fonctionnement kafkaïen des agences régionales de santé ou des Opca ! « On se fait des films si on arrive ici juste avec ses convictions militantes », tranche la socialiste Barbara Romagnan, qui a écopé de l’avis sur le harcèlement sexuel.

À l’instar de la députée du Doubs, la plupart des membres de la commission ont une haute idée du social en général, et du politique en particulier. « On est au cœur des préoccupations des Français, estime Jean-Patrick Gille, député (PS) d’Indre-et-Loire. L’avenir de notre modèle social se dessine ici. » Entre la santé et les licenciements, les sujets sont stratégiques et d’actualité. « L’enjeu du quinquennat est aux Affaires sociales », plaide Jean-Marc Germain, qui a coécrit le projet présidentiel du PS. Un côté real life qui plaît aux élus de terrain. « On aborde tous les sujets du début à la fin de la vie », observe Arnaud Robinet (UMP), qui siège également à la commission solidarité et affaires sociales du conseil général de la Marne. Pas donné à tout le monde. « Au-delà des compétences spécifiques, il faut une sensibilité particulière et une vision humaniste des problèmes d’emploi, de maladie, de dépendance, d’insertion, de famille », prévient Christophe Sirugue (PS), nouveau vice-président de l’Assemblée nationale.

PLFSS, budget travail, forfait hospitalier… Des thèmes difficiles à vendre au 20 Heures

Connus du Landerneau. PLFSS, budget travail, déremboursement, forfait hospitalier… Des thèmes pas très sexy, difficiles à vendre au 20 Heures de TF1. Or nombreux sont les députés qui rêvent de faire parler d’eux et de laisser une trace. « Ce n’est pas une commission où l’on peut briller », tranche Christophe Sirugue. Ne reste donc que les experts, connus du Landerneau (syndicats, lobbys, journalistes spécialisés) et qui se font repérer davantage par leur connaissance des dossiers que par leur éloquence. « Dans toutes les commissions, il y a des gens de l’art qui n’ont jamais envisagé de siéger ailleurs car c’est une question d’appétence », souligne Jean-Frédéric Poisson (UMP), parti à la commission des Lois après avoir enquillé des rapports sur la démocratie sociale, la pénibilité, ou la souffrance au travail… Parmi ces pointures, on trouve également, à l’UMP, Gérard Cherpion, fin connaisseur de la formation professionnelle et de l’alternance, Arnaud Robinet, pro des retraites, Dominique Dord, du droit du travail, ou Jean-Pierre Door, de la santé. À gauche, de nombreux poids lourds étant partis au gouvernement (Marisol Touraine, Alain Vidalies, Michèle Delaunay), le pool social s’est trouvé quelque peu affaibli. Car les parlementaires n’ont pas pour habitude de passer le flambeau et de former leur successeur. « Les députés sont très individualistes, pointe Gérard Cherpion. Certains peuvent même considérer comme dangereux d’ouvrir leur savoir à d’autres. » Quitte à ce que le groupe perde en compétences sur le sujet… Face aux mousquetaires de la droite, le PS doit jongler avec des bleus encore peu aguerris aux us et coutumes du Parlement et parfois tétanisés à l’idée de prendre la parole en séance.

Les anciens, comme Gérard Bapt, Monsieur PLFSS, et Jean-Patrick Gille, Monsieur Formation, ou Christian Paul, responsable des commissaires socialistes aux Affaires sociales, sont de fidèles soutiens. Recrue de poids, Jean-Marc Germain, tout juste nommé secrétaire national du PS au travail et à l’emploi. Le directeur de cabinet de Martine Aubry vient renforcer l’expertise en droit du travail qui manquait au camp socialiste. Ancien conseiller de Lionel Jospin sur les questions de chômage et d’emploi, cet économiste s’attellera au texte sur les emplois d’avenir et sans doute sur le contrat de génération. Il est par ailleurs coprésident de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale. Nouveau venu, Denys Robiliard, ancien président d’Amnesty International France, a été cet été rapporteur du projet de loi de finances rectificative. Les compétences juridiques de cet avocat du Loir-et-Cher seront bienvenues. Proche de Catherine Lemorton, Martine Pinville, députée de Charente, a fait de la dépendance et du grand âge l’un de ses dadas. Et Marie-Françoise Clergeau, élue nantaise, fidèle de Jean-Marc Ayrault, connaît parfaitement les subtilités du financement de la Sécu.

Avec deux Chambres acquises à ses idées, la majorité présidentielle a de quoi mettre en musique les chantiers sociaux, priorité de la présidence Hollande et axe fort de sa campagne électorale. La grande conférence de juillet a annoncé la couleur. Emplois d’avenir, contrat de génération, dialogue social, égalité salariale, retraite, sécurisation des parcours professionnels… Les textes vont pleuvoir sur le dos des parlementaires « sociaux ». Qui devront avoir les reins solides pour ne pas flancher.

CATHERINE LEMORTON (PS)

Son meilleur souvenir dans l’hémicycle ? Avoir pris en mai 2011 la défense de Robespierre, dont les manuscrits menaçaient de filer au Japon, sous les sifflets des députés de droite. Incorruptible comme son idole révolutionnaire, la présidente de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale doit sa réputation antilobby à son rapport parlementaire sur le médicament de 2008. Bête noire des industriels, cette pharmacienne capable de tenir le micro dix minutes sans notes compte faire émerger de nouvelles têtes et laisser la parole à l’opposition. Sans doute en hommage à ces années passées à crier dans le désert…

JEAN-MARC GERMAIN (PS)

Le directeur de cabinet de Martine Aubry, nouveau secrétaire national au travail et à l’emploi du PS, est un spécialiste de la lutte contre le chômage et de la rénovation urbaine. Ses relais politiques et sa connaissance des cabinets ministériels – au Travail au côté de la maire de Lille, à Matignon avec Lionel Jospin – vont lui permettre de prendre une part active à l’écriture des principaux textes de la législature, tel celui sur les emplois d’avenir, copie quasi conforme des emplois jeunes, dont il fut l’un des artisans.

JEAN-PATRICK GILLE (PS)

Son côté professeur Tournesol cache un fin connaisseur des rouages de la formation professionnelle et de l’insertion des jeunes. Pendant de gauche de Gérard Cherpion (UMP, voir page 29), avec qui il a rédigé le rapport sur la formation tout au long de la vie, ce Tourangeau préside l’Union nationale des missions locales. Vice-président de la commission des Affaires sociales, ce quinquagénaire aime le dialogue et déteste les polémiques. C’est un proche de Michel Sapin, ministre du Travail, avec qui il a travaillé à la Région Centre.

BARBARA ROMAGNAN (PS)

À 38 ans, elle figure parmi les nouveaux visages de l’Assemblée. Militante féministe et syndicale, cette enseignante à Sciences po Lyon ne compte pas faire tapisserie. En juillet, elle faisait ses armes avec le projet de loi sur le harcèlement sexuel, dont elle était la rapporteuse pour avis. Proche de Benoît Hamon, la députée du Doubs souhaite se concentrer sur les questions de santé et d’exclusion. Sans oublier l’Europe, ses deux ans passés à l’Anact à rédiger des synthèses internationales l’ayant sensibilisée aux problématiques communautaires.

Le Sénat à l’unisson

Ces deux-là ont tout pour s’entendre. Même regard combatif, même attachement aux plus exclus, la coupe courte conquérante… Catherine Lemorton, à l’Assemblée nationale, et Annie David, au Sénat. Non contentes d’être de la même couleur politique, les commissions des Affaires sociales des deux Chambres sont pour la première fois toutes deux entre des mains féminines ! Ce qui ne veut pas dire que tout va aller comme sur des roulettes. « Quand le Parlement était à droite, il y avait quand même des commissions mixtes paritaires !

Le Sénat ne peut pas être seulement la Chambre d’enregistrement des députés », plaide la sénatrice de l’Isère. Entre elle et Pierre Méhaignerie, l’ancien patron du social à l’Assemblée, les ponts étaient quasi inexistants. Chacun planchait de son côté, avec sa propre liste de personnalités à auditionner, le Sénat veillant toujours à préserver le rôle des institutions et des collectivités, fortement représentées dans ses travées. « Ça n’est pas dans la culture parlementaire de travailler ensemble », analyse le député d’Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille. La Ve République n’y pousse guère. « Il y a toujours eu une rivalité entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Ce qu’il faut, c’est prendre l’ascendant sur l’autre, et le fait qu’ils aient tous les deux basculé à gauche ne changera rien », pense un attaché parlementaire rodé aux institutions.

Au sein des groupes politiques, les rivalités sont légion.

Le social reste un thème où les valeurs morales prennent parfois le pas, comme ce fut le cas sur la loi bioéthique où les deux Chambres ont été incapables de s’entendre. Mais les deux présidentes sont bien décidées à faire table rase du passé. Cet été, elles se sont rencontrées pour réfléchir à un plan de charge commun. L’ex-ouvrière de H-P Annie David et la pharmacienne de Toulouse Catherine Lemorton sont complémentaires : la première connaît comme sa poche le monde du travail, la seconde, les questions de santé. L’ancienne cégétiste souhaite remettre sur le tapis le travail du dimanche et l’égalité salariale. Et comme, entre femmes, on se comprend, la fameuse navette, source de perte de temps, risque d’être moins fréquente, d’autant que les contacts avec les cabinets ministériels seront plus assidus. Tant mieux, car l’urgence sociale commande d’agir vite.

ARNAUD ROBINET (UMP)

C’est le petit qui monte ! À 37 ans, le député de la Marne est le Monsieur Retraite de l’UMP. Mis sur les rails par son mentor Xavier Bertrand, ce praticien hospitalier a d’abord atterri à la Défense avant de rejoindre les Affaires sociales. Le scandale du Mediator et le projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament lui ont donné du grain à moudre et ont contribué à façonner l’image d’expert de la protection sociale de ce fils de commerçants.

GÉRARD CHERPION (UMP)

Quand il a sauvé son fauteuil de député des Vosges face au médiatique Jack Lang, les syndicalistes ne se sont pas gênés pour lui transmettre leurs félicitations. En presque vingt ans à la commission des Affaires sociales, ce septuagénaire est devenu la référence sociale du clan UMP, le spécialiste des questions de formation. À son actif, le quota de 5 % d’alternants dans les entreprises de plus de 250 salariés. Dans une commission profondément « rajeunie », sa crédibilité sur les sujets sociaux risque d’être plutôt bienvenue.

FRANCIS VERCAMER (UMP)

Connu pour sa liberté de ton, cet ancien patron de PME connaît le Code du travail comme sa poche. Aux Affaires sociales depuis dix ans, le député du Nord aime faire le lien entre son mandat et les préoccupations de sa circonscription, marquée par la désindustrialisation. Pragmatique, il milite pour une réforme de la représentativité patronale et du financement syndical. Militant du CV anonyme, cet ancien conseiller prud’homal sera rapporteur pour avis sur le budget de la mission travail et emploi.

Avec 31 femmes sur 73 membres, la commission des Affaires sociales est la plus féminisée de l’Assemblée nationale.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi