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Idées

Comment réformer le mode de financement de la protection sociale ?

Idées | Débat | publié le : 03.09.2012 |

La récente loi de finances rectificative a annulé le basculement sur la TVA des cotisations sociales destinées à financer la politique familiale prévu, par l’ancienne majorité, le 1er octobre. Et le Premier ministre a promis pour 2013 une loi réformant le financement de la protection sociale.

Denis Ferrand Directeur de la conjoncture et des perspectives de COE-Rexecode.

Le projet d’allégement du coût du travail grâce à un basculement des cotisations sociales vers la fiscalité fait son chemin dans le débat public. Les trois réceptacles envisagés pour le transfert de charges pesant sur le travail – la TVA, la CSG et la fiscalité environnementale – présentent tous des inconvénients parmi lesquels il est nécessaire d’arbitrer. Un basculement sur la CSG permet de faire contribuer toutes les formes de revenu, à l’exception des produits importés – une contribution que permettrait, en revanche, un transfert sur la TVA. Si celui-ci apparaît comme le dispositif le plus efficace quant à son impact sur la compétitivité, l’abandon du projet de TVA sociale a condamné cette option. Reste le basculement sur la fiscalité environnementale, mais il présente un inconvénient majeur et paradoxal : celui de l’objectif qui lui est assigné. Si cette fiscalité est efficace, elle induit une réorientation des comportements vers des modes de consommation moins polluants. La taxe verrait donc se réduire sa base fiscale et les recettes associées. Une telle évolution est difficilement conciliable avec un objectif de financement de dépenses de protection sociale à vocation pérenne, à moins d’imaginer un relèvement régulier du taux de la taxe à mesure que se réduirait la base.

Une quatrième voie ne comporte aucun des obstacles précédents : celle de la maîtrise de la dépense. Elle implique de définir précisément les objectifs qui sont assignés aux dépenses et le périmètre du public qui en bénéficie. Aujourd’hui, les dépenses sociales représentent plus de 32 % du PIB. C’est le niveau le plus élevé en Europe. À législation inchangée, et avec la hausse probable des dépenses de santé et de retraite, ce poids pourrait s’accroître d’un peu plus d’un demi-point de PIB d’ici à dix ans. Deux moyens s’offrent à nous pour enrayer cette dérive spontanée : soit une maîtrise générale des dépenses au moyen, par exemple, du gel de l’ensemble des prestations, soit des mesures plus catégorielles visant à recentrer la dépense sur le public qui en a le plus besoin. Renforcer l’efficacité de notre système de protection sociale tout en réduisant son coût et en favorisant la restauration de la compétitivité nationale relève d’un exercice d’équilibriste. Nous n’échapperons pas à la nécessité de définir, sur le plan politique, les objectifs associés à nos dispositifs de solidarité.

Bruno Palier Chercheur au Centre d’études européennes de Sciences po (CNRS).

La question du financement de la protection sociale est parasitée par une idée sous-jacente selon laquelle notre problème de compétitivité vient d’un coût du travail trop élevé, principalement à cause du poids des « charges sociales ». Dès lors, la réforme du financement de la protection sociale est essentiellement orientée par l’idée de faire baisser le coût du travail. Pourtant, l’Insee a récemment montré que le coût du travail dans l’industrie manufacturière en France est légèrement inférieur à celui de l’Allemagne, qui exporte cependant bien plus de produits manufacturés, et bien plus élevé que celui de la Grèce ou de l’Espagne, qui rencontrent des difficultés économiques bien supérieures aux nôtres. Le problème est bien moins celui du coût du travail que celui de la faiblesse de nos investissements passés. Notre économie souffre d’abord d’un manque de qualification d’une partie importante de la main-d’œuvre et d’une spécialisation très moyenne de sa production. Depuis trente ans, notre stratégie économique vise à baisser les coûts de production sur ce segment de spécialisation médiocre plutôt que de chercher à améliorer la qualification des salariés et à produire d’autres choses, innovantes et de qualité, ce qui permettrait de créer plus d’emplois, et des emplois mieux rémunérés, source de plus de recettes pour la Sécurité sociale.

Il convient de ne plus considérer le travail comme un coût à faire baisser, mais comme un atout dans lequel investir. Investir dans les conditions de travail, c’est garantir à terme une productivité fondée sur la créativité, l’innovation et la qualité. Investir dans la qualité des emplois, c’est garantir la sécurisation des parcours professionnels, un accès à la formation et à une protection sociale complète pour tous ceux qui travaillent, une organisation du travail qui permette de concilier vie familiale et vie professionnelle. Améliorer la qualité des emplois passe aussi par l’abandon progressif des mesures qui entretiennent le développement des emplois de mauvaise qualité. Ainsi, la France dépense pas loin de 30 milliards d’euros en exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, où se concentrent les emplois les plus difficiles. Il conviendrait de mettre sous « condition de qualité » ces exonérations pour favoriser l’amélioration des emplois et donner des perspectives de progrès à ceux qui les occupent.

Hervé Boulhol Chef du bureau France, département des affaires économiques de l’OCDE.

La France fait le choix d’une protection sociale généreuse. Les dépenses sociales publiques représentent environ 30 points de PIB, un record parmi les pays de l’OCDE. Le déficit chronique des finances publiques depuis quarante ans suggère que leur financement est en partie reporté sur les générations futures. La mise en œuvre d’un large éventail de réformes favorables à la croissance et une meilleure efficience des dépenses actuelles (santé, retraite, chômage et formation professionnelle) sont essentielles pour pérenniser ce haut niveau de protection. Celui-ci reste principalement assuré par les cotisations sociales sur les salaires. Mais de moins en moins à hauteur des deux tiers. Le recours à d’autres bases fiscales est donc un principe déjà acquis. La question du financement de la protection sociale pose en réalité celle, plus large, de la structure la plus favorable à la croissance économique et aux réductions des inégalités de l’ensemble des recettes fiscales.

La France se caractérise par de forts prélèvements sur les revenus du travail, cotisations sociales en tête : le coin fiscal, parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, pèse sur l’emploi, notamment des jeunes et des peu qualifiés. Combiner la réduction nécessaire des cotisations à une augmentation du taux standard de TVA n’aurait qu’un impact favorable limité sur l’emploi et incertain sur les revenus. En revanche, les taux réduits pourraient être relevés en neutralisant l’impact régressif d’une telle hausse : il s’agit de mauvais instruments pour contrer les inégalités car ils profitent à tous. Et la France est, des pays de la zone euro, celui dont le ratio entre le taux effectif de TVA et le taux standard est le plus faible, après l’Italie, la Grèce et le Portugal.

Un basculement sur la CSG pose l’épineuse question du niveau de la fiscalité optimale du capital, qui divise les économistes. Le point de départ importe, mais l’estimation du taux effectif d’imposition des revenus du capital est brouillée en France par les nombreuses niches fiscales sur les profits des entreprises et les revenus de l’épargne qui, pour la plupart, devraient être supprimées. Plus généralement, des marges de manœuvre substantielles existent pour réduire les niches inefficientes. L’autre piste pour contrebalancer la baisse des cotisations consiste à relever les taxes environnementales, sur l’immobilier et sur l’héritage. Environ 4 points de PIB pourraient ainsi être mobilisés.