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Recrutement : pourquoi ça coince

Enquête | publié le : 03.09.2012 | Anne Fairise

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Top 10 des métiers signalant le plus de difficultés à recruter

Crédit photo Anne Fairise

Les uns veulent travailler, les autres recruter, et ça ne colle pas. Profil exigé, conditions d’emploi, instabilité des candidats…, plusieurs facteurs freinent l’embauche. Tangibles ou liés aux préjugés des uns et des autres.

Voilà une nouvelle qui réjouira les industriels de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, désespérés de ne pas trouver de bras qualifiés pour faire tourner leurs machines. Ou les DRH des SSII ou de la grande distribution de grandes agglomérations peinant à recruter informaticiens et directeurs de supérettes. Des candidats à l’emploi motivés, il en existe ! Même pour un boulot pas « glamour », réalisé dans le bruit et à la lumière artificielle d’un atelier, sans grande perspective au sein d’une filière textile réduite à la portion congrue après des décennies de délocalisations…

Jugez la surprise d’Armor-Lux : pour pourvoir ses 12 places d’apprenties opératrices de confection à Quimper, la PME de 550 salariés fabriquant la célèbre marinière a reçu… 400 candidatures spontanées en trois semaines ! De tout l’Hexagone. Des jeunes qualifiées ou sans diplôme, des quinquas licenciées mais prêtes à déménager au fin fond du Finistère. Son P-DG, connu pour son entêtement à défendre son outil de production français et l’emploi local, n’en revient pas. « On s’aperçoit que beaucoup de Français veulent travailler », répète inlassablement Jean-Guy Le Floch, qui, par la notoriété de son enseigne, étendard du made in France, a réussi à lever tous les freins à l’embauche. Passage en revue des barrières et des préjugés, du côté des employeurs comme des candidats, qui expliquent une large part des difficultés de recrutement.

1 UN PROFIL INADAPTÉ

C’est un chiffre qui laisse pantois dans une France où 10 % de la population active est au chômage : 82,2 % des entreprises « potentiellement recruteuses », sondées par Pôle emploi dans son enquête sur les besoins en main-d’œuvre, anticipent que les futurs candidats manqueront… de formation, d’expérience ou de motivation ! Un chiffre propre à relancer les éternels débats sur l’inadéquation entre le système de formation et les besoins des entreprises ou l’existence d’un volet important de chômeurs devenus « inemployables ». En faisant des projections à l’horizon 2020 sur les compétences disponibles et celles exigées par les recruteurs, les consultants de McKinsey pronostiquent même un scénario noir dans une récente étude : 2,3 millions de Français n’ayant pas le bac ne trouveront pas d’emploi alors que 2,2 millions d’emplois qualifiés ne seront pas pourvus ! À moins de mieux flécher l’effort de formation, parmi les plus qualifiés itou. Avis aux diplômés en communication ou en sociologie, qui connaissent un taux de chômage trois fois plus élevé que ceux en ingénierie ou en soins de santé…

La crise explique aussi pourquoi les recruteurs anticipent autant de difficultés. En temps d’incertitudes, leur réflexe est connu : ils diffèrent les embauches avant de s’y atteler dans l’urgence, en recherchant un profil nécessairement resserré mais opérationnel immédiatement ! Que dire des secteurs où le manque d’anticipation est structurel ? C’est le drame des SSII comme des PME du décolletage en Haute-Savoie. « Lors de la crise, en 2008, elles se sont séparées des personnels les moins qualifiés, intérimaires à 95 %, qui leur font aujourd’hui défaut. En même temps, elles subissent la concurrence suisse sur les postes qualifiés de régleurs ajusteurs », constate Xavier Reydet, chargé du développement RH à l’Association pour la valorisation des connaissances 74, qui fédère 150 PME. Face à la menace de pénurie, la filière pense désormais GRH. En octobre, elle lance une formation d’opérateur régleur. Un nouveau profil, à mi-chemin entre le simple opérateur et le si recherché régleur ajusteur, devenu un horizon de carrière.

Même pris dans l’urgence, les recruteurs restent sélectifs. « Lorsque je regarde les offres d’emploi, les listes de compétences sont si vastes qu’il faudrait une vie pour en disposer », ironise un quinqua, chef de projet informatique, au chômage. Un travers bien tricolore, constatait en 2007 le Conseil d’analyse stratégique dans son rapport « Les métiers en 2015 »: « Les comparaisons internationales montrent que les employeurs français se caractérisent par des exigences beaucoup plus fortes, en matière de diplôme, d’expérience antérieure et d’âge, que leurs voisins européens pour l’ensemble des postes offerts. » Même pour les emplois peu qualifiés. Vous pensez qu’il est facile d’être agent de service en nettoyage, aucune qualification n’étant requise Erreur ! « On n’entre pas dans le métier comme ça. Il faut répondre aux objectifs de productivité industrielle. Cela suppose l’acqui sition des bons gestes et postures pour soutenir le rythme, une connaissance des produits, des procédures internes », précise Jérôme Gimenez, DRH de Facilicom France (4 000 salariés), qui a lancé un sas d’adaptation à l’emploi de quatre cents heures pour 100 chômeurs non diplômés, en s’appuyant sur le dispositif de préparation opérationnelle à l’emploi.

2 DES CANDIDATS VOLATILS

La flopée de colloques, de livres, d’études sur « la génération Y et ses attentes » n’y a rien fait : les 20-35 ans continuent de désarçonner les recruteurs, souvent plus âgés. « On les convoque à une session d’embauche, on les appelle la veille au soir pour confirmer le rendez-vous. Le lendemain, 36 % en moyenne manquent à l’appel ! C’est de pire en pire », tempête Nicolas Doucerain, P-DG du cabinet de recrutement Solic, qui juge « hallucinantes » leurs exigences. Témoin ces postes de conseillers clientèle en CDI chez Boursorama, leader de la banque en ligne, qui ne suscitent pas l’afflux attendu de CV chez les bac + 2. « Pourtant, l’entreprise est jeune. Les locaux, à deux pas de la Seine, sont somptueux, avec des plateaux limités à 10 personnes. Quant aux rémunérations, entre 2 000 et 2 400 euros brut, elles sont bien supérieures au salaire moyen français », reprend le consultant, estomaqué par le nombre de candidats déclinant la proposition, refusant tout compromis sur l’employeur, le salaire ou la qualité de vie recherchés. Comme cette candidate s’enquérant après un quart d’heure d’entretien du nombre de semaines de vacances : « J’en veux neuf, RTT comprise. »

La désaffection pour les centres d’apprentis en dit long sur la déconsidération de l’industrie et la préférence pour les services

Même le CDI a perdu de son lustre. « Pendant les dix premières années de leur carrière, nombreux sont les candidats prêts à sacrifier la stabilité d’un emploi rémunérateur au profit d’un poste capable de fournir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée », note Antoine Morgaut, du cabinet Robert Walters. D’où la réputation d’instabilité des Y, volontiers dépeints comme « le péril jeune du monde du travail », individualistes, difficiles à fidéliser. Prenez Laura, 26 ans, diplômée d’école de commerce, option marketing et finances, qui a démissionné de son premier CDI, dans la com, pour tenter l’aventure de l’humanitaire. Parce que les grandes ONG la jugent inexpérimentée pour lui confier la gestion de projets à l’international, elle a choisi en juin, après huit mois de chômage, de partir au Cameroun, dans une structure locale, pour 150 euros par mois. « Je me donne un an pour acquérir de l’expérience. Après, tout est ouvert », confie-t-elle tout sourire. Les réseaux sociaux ne plaident pas en faveur des concessions. Un webdesigner ou un développeur Web mettant son CV en ligne peut recevoir jusqu’à 30 appels par jour. « Très sollicités, ils en déduisent que leur employabilité est maximale. Leur exigence se renforce », explique-t-on chez Mercuri Urval, cabinet de conseil en management. D’autant que le taux de chômage chez les cadres (3,9 %) ne les incite pas à la prudence. Pas encore.

3 UNE IMAGE REPOUSSOIR

« Zola, c’est fini : nous ne travaillons plus le fer à la flamme au fond de l’atelier ! » À chaque fois que Stéphane Plé, P-DG du spécialiste de la chaudronnerie nucléaire ACPP présente les métiers de son groupe implanté dans le Gard, il s’arme d’humour et de patience. Pour mieux démolir la montagne de préjugés sur la saleté, les conditions de travail forcément éprouvantes, la délocalisation comme seul avenir. « Les candidats ont entendu, au journal télévisé, que l’industrie a perdu 600 000 emplois en une décennie et qu’une flopée de PSE se prépare. Ils en restent là, sans faire le distinguo entre les filières en difficulté et celles qui tirent leur épingle du jeu : l’aéronautique, le nucléaire, le nautisme de plaisance… », déplore le dirigeant, qui n’a « jamais connu un chaudronnier, tuyauteur ou soudeur au chômage ». Il a des arguments : 90 embauches en CDI chez ACPP depuis trois ans, un salaire d’entrée à 1 900 euros brut (treizième mois compris), des managers de projet gérant des budgets à six chiffres alors qu’ils sont entrés avec un CAP… La désaffection pour les centres de formation d’apprentis de l’industrie (CFAI) en dit long sur la déconsidération des filières technologiques, assimilées à des voies de garage, et la préférence pour les services. À la rentrée 2011, 10 % des postes en CFAI étaient vacants. Malgré les besoins criants, notamment aux premiers niveaux de qualification : rien que pour remplacer les départs à la retraite, la métallurgie prévoit 60 000 à 80 000 recrutements chaque année d’ici à 2015.

Autant dire l’urgence à agir auprès du public et des employeurs, fortement incités à diversifier leurs recrutements parmi les jeunes en échec scolaire ou issus de quartiers sensibles, les femmes revenant sur le marché du travail… Cette révolution dans la sélective maison UIMM est portée par le Fonds Agir pour l’insertion dans l’industrie (A2I) qui, depuis sa création en 2009, a engagé 8,4 millions d’euros pour soutenir des passerelles entre structures d’insertion, organismes de formation et entreprises. « La compétitivité de l’industrie, sa présence sur le sol français, ne sont pas qu’une affaire de coût du travail ou d’investissement dans l’innovation, mais aussi de com-pé-ten-ces »: Anne Lauvergeon, l’ex-patronne d’Areva et présidente actuelle d’A2I, engagée depuis avril dans un tour de France mettant en lumière « les initiatives qui marchent », ne cesse de le répéter dans les assemblées d’industriels réunies à chaque étape. Elle n’a pas fini. Dans l’industrie comme dans les services, faire évoluer les préjugés des employeurs reste un combat. « Voilà vingt-cinq ans que j’essaie de placer du “jeune de quartiers difficiles” en entreprise ; ce n’est pas plus facile aujourd’hui qu’hier », constate un sous-préfet parisien, atterré.

Nombre de métiers dits “en tension” recouvrent ceux dont les conditions de travail sont jugées parmi les plus pénibles
4 DES CONDITIONS TROP DURES

« Des amplitudes éventuelles de 6 heures à 22 heures, avec une présence possible le week-end ? Non, ça ne m’intéresse pas. » À voir la mine déconfite de la conseillère emploi qui rappelle les candidats à la session de recrutement organisée, ce jeudi, par l’espace emploi de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), on comprend que les rangs seront clairsemés. Un pro de la logistique titulaire d’un MBA, un quinqua fort de vingt ans d’expérience dans le commerce, une diplômée de l’Institut français de presse passée par Publicis prendront place, là où 15 candidats étaient attendus, pour écouter les deux assistants RH de Franprix en quête de 15 directeurs et directeurs adjoints pour les magasins parisiens.

Le prétendant à la direction doit justifier de cinq ans en distribution alimentaire, aimer le terrain et la polyvalence. Puisqu’il lui revient d’assurer le recrutement et la gestion de son équipe (8 à 20 personnes), les commandes, la mise en rayons, voire la caisse, plus la partie administrative… Au bas mot, pour 2 500 euros brut, un investissement de cinquante heures par semaine, sans espoir de promotions puisqu’elles sont inexistantes chez les franchisés. « Beaucoup font valoir leur expérience dans une autre enseigne », précise Cédric Elleboode, chargé de recrutement. De quoi expliquer le turnover qui conduit Franprix à diversifier son recrutement, pour la première fois, auprès de maisons de l’emploi, comme à Saint-Cloud.

Journées de grande amplitude dans le commerce, horaires décalés et fractionnés dans l’hôtellerie-restauration ou le nettoyage, temps partiel, faible rémunération et absence de perspectives professionnelles dans l’aide à domicile… Sans surprise, bon nombre de métiers dits « en tension » recouvrent ceux dont les conditions de travail sont jugées parmi les plus pénibles et connaissant, par conséquent, un fort turnover. Même s’ils font souvent figure de porte d’entrée sur le marché de l’emploi pour les moins qualifiés. Symptomatique : dans la propreté, un salarié sur deux a moins de quatre ans d’expérience.

5 UN SUIVI PERFECTIBLE

En Midi-Pyrénées, même les conseillers de Pôle emploi et les conseillers d’orientation ont droit à une « découverte des professions de la métallurgie ». Une nécessité pour l’UIMM territoriale qui leur propose d’accéder à un extranet, régulièrement actualisé, recensant les métiers présents dans les entreprises du territoire et la cartographie des centres de formation. « Si les prescripteurs du service public de l’emploi ne sont pas au plus près des besoins des entreprises, comment peuvent-ils jouer leur rôle d’orientation des candidats ou travailler sur les compétences transférables d’un métier à l’autre ? » souligne un membre de l’UIMM Midi-Pyrénées, où l’on envisage d’intégrer d’autres régions dans l’expérience.

Les techniciens de l’emploi en sont persuadés : c’est une gestion territorialisée qui permettra une meilleure adéquation entre les compétences disponibles et les besoins des entreprises, grâce à l’action coordonnée des branches, des territoires et du service public de l’emploi. Seul moyen de répondre à la diversité des situations d’un métier à l’autre, d’un secteur à l’autre, d’un bassin d’emploi à l’autre. Dans le bassin de Mulhouse (Haut-Rhin), elle s’incarne déjà sur un site, monmetierdedemain.com, où salariés, chômeurs et conseillers emploi, formation, insertion peuvent d’un clic consulter 550 passerelles entre 30 métiers fragiles et 100 métiers émergents, avec présen tation des formations envisageables, des perspectives d’emploi, des conditions de travail. « Pourquoi ne pas inventer son équivalent à l’échelon national ? », rêve Dominique Huard, directeur de la maison de l’emploi et de la formation de Mulhouse, qui plaide pour une vision dynamique du marché de l’emploi, en flux et non en stock. Comme c’est souvent le cas.

684 000

C’est le nombre d’emplois potentiellement difficiles à pourvoir en 2012, selon les employeurs.

Source : Pôle emploi-Crédoc, enquête « Besoins de main-d’œuvre ».

Amélie Favre

Directrice de l’espace emploi à Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine (945 personnes suivies en 2011).

« On sent l’effet de la crise dans l’attitude des recruteurs, qui ont besoin d’être rassurés, encore plus que d’habitude, sur le profil des candidats. Nous nous donnons quarante-huit heures pour leur envoyer les CV, dès qu’ils nous transmettent une offre. Après, il est trop tard. En même temps, il nous faut soutenir les candidats. Beaucoup ont cumulé les déboires. Les jeunes issus de BTS ou de licence qui croyaient pouvoir se débrouiller seuls grâce aux réseaux sociaux nous sollicitent souvent après six mois de recherches, quand la déprime les gagne. Mais, quel que soit leur âge, tous les candidats ont une vision noire du marché de l’emploi. »

Mahmoud Ben Nadji

Ancien animateur, désormais intérimaire à Grenoble (Isère), 33 ans.

« J’ai bien cru que j’allais refuser ce boulot de cariste. Sept mois de contrat, pourtant, c’était inespéré. Mais il fallait travailler de nuit, à 25 kilomètres de Grenoble, où j’habite. Sans voiture, ce n’était pas jouable. À Pôle emploi, on m’a dit d’y aller à vélo ! Vous vous imaginez faire 250 kilomètres par semaine sur un deux-roues ? Pas moi. Heureusement, d’autres chômeurs m’ont parlé d’Aide Auto 38, qui loue des voitures 5 euros par jour. J’ai revu mon correspondant Pôle emploi, et il a rempli les papiers pour que j’en bénéficie. Un sacré coup de pouce ! Mais, quand même, faut bien connaître le système pour s’en sortir. Sinon, on refuse le job ! »

Florence Pham

Chargée au cabinet Nes & Cité de Vaulx-en-Velin (Rhône) de l’organisation de forums emploi dans des quartiers difficiles.

« À mesure que les chiffres du chômage se dégradent, les habitants des quartiers difficiles, les premiers touchés, se replient sur eux-mêmes. Cela nous conforte dans notre volonté de faire venir les employeurs dans les cités. Ils méconnaissent ce public, et les préjugés sont légion. Pour établir les meilleures conditions, les rencontres se font dans un lieu neutre, tel un stade. Nous veillons à ce que l’offre de postes corresponde au niveau de qualification des candidats par deux mois de maillage de terrain avec des médiateurs. Ça marche : 50 des 200 Grenoblois de la Villeneuve ont décroché un emploi ou une formation lors de notre dernière opération. »

Auteur

  • Anne Fairise