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Formation : les chômeurs oubliés

Enquête | publié le : 03.09.2012 | Stéphane Béchaux

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Les financeurs de la formation des chômeurs

Crédit photo Stéphane Béchaux

Moyens insuffisants, outils inadaptés, circuits complexes… La formation des demandeurs d’emploi souffre de nombreux handicaps. Au détriment de leur insertion professionnelle.

Dépitée, Françoise Vidal. Employée à mi-temps par le plan local pour l’insertion et l’emploi de Clermont-Ferrand, cette conseillère en insertion professionnelle officie aussi à l’association Chôm’Actif, qui vient en aide aux demandeurs d’emploi. « À moins de faire partie des publics prioritaires, ils ont de moins en moins accès à la formation. La sélection est drastique, et les critères parfois aberrants. Pour entrer en atelier permanent bâtiment, par exemple, on demande aux candidats de maîtriser les pourcentages, les fractions et les factorisations ! » À quelques centaines de kilomètres de là, au Mans, Christine Tellier partage son désarroi. « On ne compte plus les refus de financement, ces “non” catégoriques sans aucune explication », abonde la directrice de l’Association sarthoise des travailleurs en recherche d’emploi.

Ces difficultés d’accès des chômeurs à la qualification ne sont pas seulement récriées par les associations militantes. À Pôle emploi, de l’autre côté du guichet, les conseillers s’accordent aussi pour dénoncer les dysfonctionnements et les ratés du système. « La mécanique est extraordinairement complexe. Selon le profil du demandeur, le type de formation recherchée, l’identité du ou des financeurs, il faut activer des leviers différents. Rien n’est fait pour encourager les chômeurs qui veulent se reconvertir ou améliorer leur qualification », confie une conseillère du Sud-Ouest. « Les demandeurs d’emploi s’y perdent, et nous aussi. Comment voulez-vous qu’on élabore des parcours de formation individualisés avec 200 à 300 chômeurs chacun en portefeuille ? On fait comme on peut, avec des budgets limités et des outils informatiques inadaptés », enchérit l’une de ses consœurs val-de-marnaise. Pas de secret, l’accompagnement demande du temps et des compétences pointues. « Beaucoup de conseillers ne sont pas en capacité d’ouvrir les perspectives des demandeurs d’emploi », déplore le directeur d’une maison de l’emploi alsacienne.

10 à 20 % des chômeurs en formation. Sur le papier, l’offre à destination des demandeurs d’emploi reste limitée. D’après les derniers chiffres du ministère du Travail, portant sur l’exercice 2010, quelque 600 000 d’entre eux commencent une formation chaque année, d’une durée moyenne de 4,7 mois. Soit entre 10 et 20 % des troupes. Très insuffisant, aux yeux des experts du social. Au premier rang desquels Gérard Larcher. Missionné par Nicolas Sarkozy, début 2012, pour plancher sur cet épineux dossier, l’ex-ministre du Travail a décrété « l’urgence ». En proposant, notamment, de porter à 40 % la part des chômeurs inscrits depuis plus de quatre mois formés chaque année.

Mais formés à quoi ? Car, dans les faits, les stages visent rarement à élever le niveau de qualification : la grande majorité permet de se professionnaliser, d’obtenir une certification, de définir son projet professionnel ou d’acquérir des savoirs de base. Objectif : rapprocher offres et demandes d’emploi, en fournissant aux candidats à l’embauche le petit « plus » leur permettant de tenir le poste. Deux dispositifs, s’inspirant de la même philosophie, résument parfaitement cette ambition : la préparation opérationnelle à l’emploi et l’action de formation préalable au recrutement. Dans les deux cas, l’objet est de préparer la nouvelle recrue à son futur job, déjà trouvé. De façon parfois collective.

Une efficacité de court terme. En Poitou-Charentes, des chômeurs se forment ainsi aux métiers de la distribution. « Il s’agit d’un parcours de retour à l’emploi, avec une période en entreprise. On est sur du placement à 100 %  », se félicite Marc Picquette, directeur de l’orientation et de la formation de Pôle emploi. Même concept en Midi-Pyrénées, cette fois-ci à des postes d’agents polyvalents de sécurité. Des formations efficaces, à court terme tout au moins. « On dépense beaucoup d’énergie et d’argent dans les secteurs d’activité en tension. Mais pour quels résultats ? Quand les conditions de travail sont mauvaises, les gens ne restent pas. Deux ans après, combien de ces demandeurs d’emploi seront de nouveau dans nos fichiers ? Si on ne force pas les branches à travailler sur leurs pratiques, à l’image du bâtiment, on peut recommencer indéfiniment », explique le directeur adjoint d’une agence de Charente-Maritime.

La formation des demandeurs d’emploi ne souffre pas uniquement d’un manque de moyens. Mais aussi d’une architecture ultracomplexe. Handicap parmi d’autres, la multitude d’acteurs impliqués. Pôle emploi a beau disposer – avec ses cotraitants, les missions locales et les agences Cap emploi – du monopole de la prescription, il n’en demeure pas moins un financeur secondaire. Loin derrière les Régions qui, depuis 2004, ont compétence sur le sujet. En 2010, ces dernières ont ainsi financé 57 % des coûts pédagogiques, devant Pôle emploi (17 %), l’État (13 %) et les stagiaires eux-mêmes (6 %). Sans oublier l’Agefiph, les Opca, les Opacif et les autres collec tivités locales (7 %).

Cette myriade d’intervenants peine à coordonner ses actions. Notamment les directions régionales de Pôle emploi et les conseils régionaux. Priés d’articuler leurs achats de formation pour coller aux besoins de main-d’œuvre locaux, ceux-ci se marchent régulièrement sur les pieds. Un manque de coordination dénoncé en mars dernier par l’Inspection générale des affaires sociales dans un rapport portant sur la politique d’achat de Pôle emploi. Les inspecteurs des affaires sociales y concluent à une « excessive rigidité » des procédures. Et pointent du doigt « des appels d’offres lancés sur certains lots et pour certains types de formation alors qu’aucun besoin correspondant n’était avéré, soit que l’offre de formation était de toute façon inexistante dans la région, soit que les caractéristiques des demandeurs d’emploi et le tissu économique régional ne justifiaient pas l’achat de formations dans ces domaines, soit encore que le plan de formation du conseil régional couvrait déjà le besoin ».

Le hit-parade des formations achetées « en gros » ne comporte guère de surprises. Les métiers en tension s’y taillent la part du lion, de la logistique au second œuvre du bâtiment, de l’hôtellerie-restauration au transport routier de marchandises, des auxiliaires de vie à la garde d’enfants. Ce qui ne garantit pas pour autant aux volontaires de décrocher une place. Encore faut-il que leur conseiller parvienne à repérer le stage adéquat, et à les y inscrire. Actuellement, ceux-ci ne disposent d’aucun logiciel centralisant l’ensemble de l’offre de formation régionale. Pas plus qu’ils ne peuvent connaître, en temps réel, la date de la prochaine session ni le nombre de places disponibles. « On doit jongler entre plusieurs applicatifs. On n’a aucune visibilité. C’est très décourageant pour les demandeurs d’emploi car on est incapables de leur dire s’ils pourront suivre telle ou telle formation, et quand », déplore un conseiller du sud parisien. En juin, un nouveau logiciel a bien été déployé dans les agences Pôle emploi, permettant des réservations en ligne. Mais uniquement pour les formations collectives financées par l’organisme.

Les conseillers de Pôle emploi n’ont pas de logiciel qui centralise l’offre de formation au niveau régional

Listes noires de prestataires. La qualité des prestations délivrées par les organismes de formation suscite, aussi, de nombreux débats internes. « À trop vouloir normer les appels d’offres pour garantir un choix impartial sans clientélisme, on a organisé un nivellement par le bas. Le seul élément différenciant, aujourd’hui, c’est le prix. À Pôle emploi comme dans les Régions, on choisit le moins-disant. Résultat, la qualité des formations devient catastrophique et on participe à tuer l’Afpa », dénonce un directeur adjoint. Dans les agences circulent des listes noires d’organismes à éviter à tout prix. « On ne l’affiche pas ouvertement mais on se débrouille pour ne pas envoyer nos demandeurs d’emploi dans certaines sessions », confie un conseiller rochelais. Dans la maison, les déboires de l’Afpa sont ainsi très mal vécus. « L’Afpa a certainement plein de défauts. Mais ses formations sont d’excellente qualité. Quant à son offre d’hébergement et de restauration sur place, elle permettait de résoudre les problèmes de mobilité que rencontrent énormément de chômeurs », enchérit un conseiller lillois.

Conscient de la lourdeur et des imperfections des appels d’offres régionaux, Pôle emploi propose aussi des aides individuelles à la formation, des AIF dans le jargon maison. Un dispositif expérimental créé en 2010, que le nouveau plan stratégique vient de prolonger jusqu’en 2015. « On a enrichi notre boîte à outils en acceptant de financer, en complément de notre politique d’achat en région, des formations individuelles dans des secteurs ou des domaines porteurs. Ces AIF apportent de la souplesse, elles sont déclenchées au niveau local », souligne Marc Picquette. Sauf que le montage des dossiers s’avère chronophage. Notamment lors qu’ils impliquent plusieurs financeurs. Avec le risque, alors, d’allonger les délais. Exemple : ce chômeur landais qui, voulant se lancer dans la fabrique de jouets, a besoin d’une formation à la découpe de bois. « Comme ce monsieur pouvait bénéficier de la portabilité du DIF, on a envoyé, en novembre, une demande de financement à son Opca, raconte sa conseillère. Or la réponse ne nous est parvenue qu’en mars, une semaine avant le début de la formation. Il n’a pas pu s’inscrire et doit représenter un dossier pour la session de septembre. »

La régionalisation de l’offre de formation a aussi ses limites. Elle aboutit à un cloisonnement des dispositifs, dénoncé par l’Igas. « La mission a constaté que l’accès des demandeurs d’emploi d’une région aux formations financées par une direction régionale de Pôle emploi d’une autre région était extrêmement rare, et complexe sur le plan administratif […]. Cette situation est particulièrement préjudiciable aux demandeurs d’emploi qui souhaiteraient bénéficier d’une formation dans une région limitrophe, ou d’une formation spécifique », écrivent les inspecteurs dans leur rapport. Une réalité à laquelle se heurtent régulièrement les conseillers. « Pôle emploi ressemble de moins en moins à un organisme national. Il y a un problème de financement entre les Régions, les unes ne voulant pas payer pour les chômeurs des autres. Mais les formations en horlogerie, elles sont à Besançon, pas dans le Nord-Pas-de-Calais », fustige un conseiller d’orientation de l’agglomération valenciennoise.

Devant l’inexorable montée du chômage, on s’attend, à Pôle emploi, à voir le nouvel exécutif s’agiter sur la question de la formation des demandeurs d’emploi. Avec l’espoir que les politiques mises en œuvre ne visent pas seulement à faire de la communication, en maquillant provisoirement les chiffres. En interne, personne n’a oublié le plan « rebond pour l’emploi », lancé en juin 2010, qui ambitionnait d’offrir à tous les chômeurs en fin de droits un parcours d’insertion professionnelle renforcé. « Côté formation, on a essentiellement fait des stages d’initiation à l’informatique de quinze jours pour leur apprendre à utiliser notre site Internet. Pas inutile, mais nul en termes de retour à l’emploi », rappelle une conseillère Pôle emploi du Sud-Ouest. « Quand les politiques promettent des formations pour tous les chômeurs, ça nous fait doucement rigoler. Des formations de quoi ? Pour qui ? Pour faire quoi ? Il y a un écart terrible entre les discours et la réalité du terrain », ajoute un conseiller spécialisé dans l’insertion professionnelle des jeunes. Le nouvel exécutif est prévenu : pas de promesses, des actes.

Lydia Djenaba

42 ans, en recherche d’emploi dans la Sarthe.

« J’ai longtemps fait de l’intérim dans l’agroalimentaire mais j’ai dû arrêter fin 2011, quand ma voiture a rendu l’âme : je n’ai plus de moyen de transport pour me rendre à l’usine, à 4 heures du matin. À Pôle emploi, il n’y a pas d’offres. Sauf pour des temps partiels dans l’aide à domicile. Mais quand vous travaillez trois heures par semaine, à la fin du mois, vous ne gagnez rien ! Je regarde donc du côté des formations, mais il est très difficile de s’y repérer et de se faire conseiller. J’ai trouvé par moi-même deux formations qui m’intéressent, pour devenir ambulancière ou passer un permis de cariste. Mais je n’arrive pas à me les faire financer. »

45 500

C’est le nombre de demandeurs d’emploi (catégories A, B et C) entrés en formation en mai 2012.

43 % des demandeurs d’emploi en stage ont moins de 26 ans et 15 % ont plus de 45 ans.

Source : Dares, 2012.

Auteur

  • Stéphane Béchaux