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Vie des entreprises

Le modèle social d’Air France décroche

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 04.06.2012 | Anne-Cécile Geoffroy

Confronté au dumping des low cost et à la flambée du pétrole, Air France se cherche un nouveau modèle et commence par rogner les acquis sociaux pour restaurer sa compétitivité.

Un gel des salaires et des embauches, 20 % de gains de productivité d’ici à 2015 et la renégociation en trois mois de tous les accords sociaux d’Air France bâtis ces quarante dernières années ! Le plan d’économies sur trois ans, baptisé TransForm 2015, d’Alexandre de Juniac, à la tête de la compagnie aérienne depuis l’automne dernier, a la saveur d’un plat amer pour les 52 960 salariés et celle d’un pudding indigeste pour leurs représentants syndicaux. Engagés dans des discussions marathons depuis le mois d’avril, ceux-ci sont en train de redessiner à contrecœur les contours du nouveau contrat social d’Air France. Des discussions qui devront être bouclées d’ici à la fin du mois, selon les termes de l’accord de méthode signé par la plupart des syndicats en mars. Car, pour la direction, le temps presse !

Selon elle, la situation économique de la deuxième compagnie aérienne mondiale n’est plus tenable. Avec un endettement de 6,5 milliards d’euros, une action qui fluctue entre 3 et 4 euros après une chute vertigineuse de 71 % de sa valeur en 2011 et un résultat net en perte de 368 millions d’euros au premier trimestre 2012 (contre 367 millions en 2011), il y a le feu à la maison.

Webconférences, débriefings sur le plan TransForm, groupes de travail, la direction communique beaucoup pour faire passer la pilule aux salariés. « Du bourrage de crâne », dénoncent en chœur les syndicats. « Il y a quelques mois, la direction disait encore que nous étions les meilleurs du monde, aujourd’hui, « c’est fini ». Les salariés sont inquiets et ne comprennent pas ce changement de ton. D’autant plus que les taux de remplissage des avions, 80 % en moyenne, sont bons et la recette unitaire en progression de 5,6 % », explique Pascal Zadikian, administrateur salarié, représentant la CGT. Cette confusion a poussé, en avril, les administrateurs salariés à s’adresser directement au personnel, passant outre les prérogatives des syndicats. « C’est une première dans l’histoire de la compagnie. Nous avions la responsabilité d’expliquer comment et pourquoi nous en sommes arrivés là », justifie le représentant de la CGT.

Air France n’est pas la seule compagnie dans la panade. Depuis la déréglementation de l’espace aérien dans les années 90, l’émergence du low cost sur les court- et moyen-courriers et l’arrivée de compagnies agressives comme Emirates sur le long-courrier, les compagnies historiques sont toutes en déroute. Lufthansa vient ainsi d’annoncer 3 500 suppressions d’emplois, dans les métiers administratifs. À cela s’ajoute la flambée des prix du pétrole : le carburant représente aujourd’hui 25 % du chiffre d’affaires d’Air France. Deux fois plus qu’en 2004. « Nous payons les erreurs de nos dirigeants. Jusqu’en 2009 ils ne reconnaissaient pas le low cost comme une menace », pointe Jean Sautereau, du Syndicat des pilotes d’Air France (Spaf).

Le CCE envahi

Pour le moment, Air France ne convainc pas les partenaires sociaux, vent debout contre les annonces de la direction. En février, la CGT, SUD et FO ont envahi le CCE à Roissy, obligeant la direction et le nouveau DRH, Xavier Broseta, à quitter la salle. « Nous réclamons, depuis l’annonce du plan d’économies, une présentation du projet industriel d’Air France pour les années à venir. Jusqu’à présent, c’est le flou total. Quel modèle de compagnie veut-on ? C’est la seule question valable. Une fois que nous le saurons, nous pourrons peut-être accompagner la transformation », pointait début mai Fatiha Aggoune, présidente du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), l’un des trois syndicats représentatifs chez les PNC avec l’Union des navigants de l’aviation civile (Unac) et l’Unsa. « On a le sentiment d’être baladés par la direction qui nous donne des chiffres globaux sans entrer dans le détail. C’est une mise en scène », dénonçait de son côté Jean-Marc Quattrochi, secrétaire général de l’Unac. Les syndicats ont en effet attendu jusqu’au 24 mai pour connaître le plan industriel d’Alexandre de Juniac.

Le leitmotiv de l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde jusqu’en 2011 est de restaurer la compétitivité d’Air France. Et pour y arriver il s’attaque de front à toutes les règles qui régissent la vie au travail. De la baisse du remboursement des frais kilométriques entre le domicile et le travail, la révision des règles de vol, des temps de repos, de l’enchaînement des rotations, des accords RTT, à la suppression de la prime d’uniforme pour la remplacer en points pressing, Air France veut réduire ses coûts tous azimuts. Et rogner ce qui pour beaucoup était encore un statut doré, hérité de l’époque où la compagnie, privatisée en 2004, était une entreprise publique. « Ils remettent en cause les conditions d’hébergement du personnel navigant pendant les escales. Par exemple, à Venise, nous logions dans un hôtel en centre-ville. Désormais, ce sera le long de l’autoroute. Notre métier n’a vraiment plus rien d’un métier loisir », regrette un commandant de bord. « Ce sont tous ces frais qui plombent Air France, assure Yves Crozet, économiste, spécialiste des transports, à l’université Lyon II. En 2007, la compagnie était déjà moins profitable que ses concurrentes, essentiellement pour des problèmes d’organisation. Le temps passé à bord des avions par les équipages, le rythme des rotations sont trop faibles. Certes, le travail est intense, mais, en compensation, les salariés ont de nombreux jours de repos. Ce modèle n’est plus tenable pour Air France, en concurrence frontale avec EasyJet et Ryanair sur le court- et moyen-courrier. » Dans les discussions engagées, la direction propose d’augmenter les heures de vol annuelles pour les faire passer de 525 heures en moyenne à 640 heures sans augmenter les salaires. Chez Lufthansa, les pilotes volent 596 heures par an. Ceux de Transavia, filiale de la compagnie française, alignent 850 heures. Chez Ryanair, c’est 900 heures. « Ils veulent réduire la composition des équipages. La norme minimale, c’est une hôtesse ou un steward pour 50 passagers. Sur un A319, avec 142 passagers, nous passerions de quatre PNC à trois », décrypte Léon Crémieux, chez SUD Aérien.

Face à l’exigence de rentabilité, les syndicats de navigants brandissent l’impératif de sécurité

Face à l’exigence de rentabilité, les syndicats des personnels navigants brandissent l’impératif de sécurité. Pour le moment sans succès. « La direction veut faire du métier de PNC un job, dénonce Thierry Haas, délégué du Syndicat national du personnel navigant commercial. Aujourd’hui ce sont de vrais métiers, avec une progression de carrière, beaucoup de formation, de vraies compétences, et dont les règles de sécurité sont drastiques et la pénibilité réelle. »

Dans son plan de transformation et pour contrer les low cost, Alexandre de Juniac mise aussi sur le développement des bases en province. Imaginée par son prédécesseur, Pierre-Henri Gourgeon, la première base a été lancée à Marseille en juillet 2011. L’objectif : ouvrir de nouvelles lignes en France et vers l’Europe. Le principe : rattacher les personnels navigants à un aéroport en province. Fini, les déplacements incessants en TGV pour rejoindre Orly ou Roissy et prendre son poste. Désormais, les salariés vivent près de leur lieu de travail. « Cela évite les « découchés », les frais d’hôtels », explique Jean Sautereau, au Spaf. La direction entend économiser 15 millions d’euros sur ce poste qui, aujourd’hui, représente 100 millions d’euros selon les syndicats.

40 heures de vol par mois

« Lorsque le projet d’accord « bases province » nous a été proposé en 2010, il s’agissait de sortir le court- et moyen-courrier des soucis économiques via une augmentation de la productivité journalière et une modération salariale », souligne Jean-Marc Quattrochi, à l’Unac, seul syndicat à avoir signé le projet. Incapable de décliner l’accord, l’entreprise l’a transformé en « note de direction » pour l’imposer à tous. « Le principe, c’est travailler plus pour gagner moins, résume Fatiha Aggoune, au SNPNC. Aujourd’hui, le personnel des bases province est content. Comme Air France n’a pas encore développé tout son réseau, les PNC volent en moyenne 40 heures par mois. Mais demain ils pourront voler 75 heures, sans gagner plus. »

La norme européenne fixe à un maximum de 80 heures par mois le temps de vol des navigants. Pour Samia Benadel, ex-hôtesse de l’air de la filiale Regional ayant intégré Air France sur la base de Marseille, ses collègues y gagnent en qualité de vie. « Bien sûr, nous sommes amenés à faire quatre vols par jour, quand à Orly ils en font trois et parfois moins. Mais tous les soirs les navigants sont chez eux. Air France garantit aussi dix-sept jours de repos par mois. » Après Marseille, Toulouse et Nice ont été intronisées bases province. D’autres villes pourraient suivre, comme Lyon, Montpellier, Strasbourg, Mulhouse, Nantes et Orly (voir encadré page 42).

Au-delà du plan d’économies, le souci des syndicats est de préserver l’emploi. « On lit dans la presse qu’il y aura 2 000 suppressions d’emplois. Certains syndicats confirment, mais on trouve aussi toutes sortes de chiffres. À croire que tous les chiffres sont permis », s’agace Pascal Zadikian, à la CGT. La direction démentait, le 21 mai dernier, l’annonce par le Figaro de la suppression possible de 5 000 postes d’ici à 2015. Reste qu’un plan de départs volontaires paraît difficile à éviter. Pour les 14 990 hôtesses et stewards, l’essentiel des propositions d’Air France aujourd’hui consiste à augmenter la charge de travail tout en réduisant la composition des équipages. « La direction va nourrir un sureffectif », prévient le SNPNC.

La question se pose aussi pour les 33 279 personnels au sol malgré des réductions d’effectifs. « Le personnel au sol a déjà vécu un plan de départs volontaires en 2009 : 1 900 salariés ont quitté la compagnie. Avec le gel des embauches qui existait avant TransForm 2015, ces quatre dernières années, les effectifs ont baissé de 10 %. Le commercial n’embauche plus depuis six ans. Certaines activités commerciales sont sous-traitées à BlueLink, un centre d’appels filiale d’Air France qui possède des sites dans des pays à bas coûts », rappelle Léon Crémieux, chez Sud Aérien.

Pour la première fois dans l’histoire de la compagnie, les pilotes pourraient être touchés par un plan de départs volontaires. Le sureffectif, estimé à 200 pilotes, est favorisé par la récente réforme des retraites. En 2011, 120 pilotes ont ainsi choisi de reculer leur départ. « Avec le gel des embauches et les départs à la retraite, Air France peut se passer d’un PDV. Le marché aérien est en croissance, le sureffectif est absorbable », note l’économiste Yves Crozet. Et Air France n’a sans doute pas les moyens de financer le départ d’une population bien rémunérée.

Du côté des syndicats, on espère que le nouveau gouvernement calmera les ardeurs de l’équipe d’Alexandre de Juniac, proche de Nicolas Sarkozy. Réponse fin juin.

19 871 euros, c’est le salaire mensuel brut d’un commandant de bord d’Air France en fin de carrière.

2 018 euros, c’est celui d’une hôtesse ou d’un steward débutant.

Source : Air France.

Dommages collatéraux en province

Mécano à Toulouse pour la compagnie Regional jusqu’en avril, Xavier (le prénom a changé) pointe aujourd’hui à Pôle emploi. « La faute aux bases province d’Air France », accuse-t-il. Début mars, cette filiale d’Air France réunit les mécanos et le personnel navigant toulousains pour leur annoncer qu’il fallait choisir entre la mobilité ou la porte. « On me proposait de travailler à la valise. C’est-à-dire de faire des remplacements à la petite semaine dans toute la France. C’était trop de problèmes familiaux. J’ai démissionné contre un peu d’argent », raconte le technicien. Sur les 1 800 salariés de Regional, 80 à 90 salariés sont touchés par le développement des bases province. « Nous avons cherché la meilleure solution pour chacun. Très peu ont choisi de quitter l’entreprise via une rupture conventionnelle », souligne Laurence Pastre, la DRH. À Marseille, les trois quarts des hôtesses et des stewards ont passé des sélections pour grossir les équipes d’Air France. « Le volontariat mis en place par Air France pour rejoindre la base a été un flop auprès de son propre personnel au début », explique Philippe Guégan, syndicaliste CGT chez Regional. « Air France n’a pas voulu reprendre notre ancienneté mais nous avons négocié le maintien de notre salaire », note Samia Benadel, ex-hôtesse Regional passée chez Air France. À Toulouse et à Nice, l’histoire ne s’est pas répétée. « Nos PNC ont été sélectionnés. Ils ne sont pas encore embauchés. Mais cela devrait se faire dans les prochaines semaines, assure la DRH. Les techniciens de maintenance ont choisi la mobilité pour l’essentiel. » Mais les salariés d’Air France volontaires pour rejoindre la base de Toulouse sont prioritaires. « Il y a 10 PNC d’Air France en liste d’attente. Nos collègues de Regional passeront après », précise Samia Benadel.

L’inquiétude des salariés est donc palpable et tous restent suspendus à l’annonce en juin des orientations stratégiques d’Alexandre de Juniac autour de la création d’un « pôle régional homogène ». À côté de Regional, deux autres filiales, Brit Air et CityJet, observent avec anxiété le plan de réorganisation de leur groupe. « Pour le moment, les bases province n’ont pas impacté nos personnels mais les lignes aériennes. Brit Air a dû abandonner des lignes juteuses à Air France contre des lignes déficitaires, note Pierre-Yves Goarant, secrétaire général Unsa de la compagnie finistérienne. Mais si Air France fait de Lyon une base province, comme les dernières infos le laissent penser, nous serions touchés. 200 navigants Brit Air sont en poste à Lyon. »

La galaxie Air France

L’AERIEN

→ Regional : 1 800 salariés, siège à Nantes, 300 vols quotidiens vers la France et l’Europe.

→ Brit Air : 1 350 salariés. Siège à Morlaix. 300 vols quotidiens vers la France et l’Europe.

→ CityJet : 1 000 salariés. Siège en Irlande. 680 vols quotidiens depuis Londres vers l’Europe.

→ Transavia France : 1 500 salariés. Siège à Paray-Vieille-Poste (Essonne). Dessert essentiellement le bassin méditerranéen.

LES SERVICES

→ Servair : 9 000 salariés, siège à Roissy, restauration et services aéroportuaires…

→ BlueLink : 1 100 salariés, siège à Ivry-sur-Seine, 10 centres d’appels dans le monde.

→ Sodexi : 420 salariés, siège à Roissy, opérateur de fret.

Et des filiales dans la maintenance (CRMA, AMG, TSI).

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy