Le nouvel exécutif réunira au mois de juillet une conférence nationale pour la croissance et l’emploi qui fixera l’agenda des prochains mois et précisera les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux. Les bases d’un tripartisme à la française ?
Cette conférence peut être l’occasion de hâter et d’enrichir les négociations entre les partenaires sociaux pour chercher un compromis à la hauteur des enjeux. Celui-ci aura à définir les mesures aptes à favoriser le dynamisme entrepreneurial indispensable pour développer et organiser l’activité en vue de réduire le chômage. Il devra aussi prévoir les soutiens nécessaires aux efforts des salariés et des entrepreneurs les plus exposés pour qu’ils puissent s’adapter assez rapidement aux évolutions de l’environnement. Il est également nécessaire d’engager les négociations au sein des trois fonctions publiques pour répondre aux besoins des citoyens et des usagers des services publics, avec le double souci de l’efficience de la dépense publique et du respect des personnels. Encore peu mise en œuvre, la loi de juillet 2010 sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique constitue un cadre adapté à cette démarche.
Il s’agit aussi de consacrer la pratique d’une meilleure articulation entre démocratie sociale et démocratie politique que la loi Larcher de 2007 a tenté de favoriser. Aujourd’hui, les partenaires sociaux échangent davantage sur les liens entre les questions économiques et sociales ; ils sont conscients de l’importance d’une réponse européenne, voire mondiale, sur de nombreux sujets. La conférence peut être, pour eux et l’État, l’occasion de parvenir à un contrat économique et social en s’engageant dans un processus comprenant une phase de confrontation des diagnostics et des propositions sur les sujets jugés essentiels par chacun, en prenant en compte les « signaux faibles » issus d’expérimentations ou de recherches originales, et des séminaires durant lesquels les négociateurs travailleront en profondeur pour construire un compromis global sur les sujets structurants. Le calendrier devra permettre aux partenaires sociaux de revenir vers leurs mandants et au gouvernement de se concerter avec ses partenaires européens.
Pour que les accords concernant les entreprises puissent être mis en œuvre le plus largement possible, il sera bon que les négociateurs aient le souci constant de proposer des solutions adaptées aux moins de 50 salariés, qui emploient plus de la moitié des salariés du secteur privé. Enfin, le processus devra prévoir une évaluation régulière pour concentrer les efforts sur les éléments jugés les plus efficients.
La conférence pour la croissance et l’emploi constituera un moment clé du début du quinquennat, à condition que les sujets prioritaires soient abordés et que des solutions fortes soient apportées. Ces priorités sont au nombre de trois : d’abord, alléger le coût du travail, qui constitue un frein majeur à l’emploi. Cela implique de baisser les charges qui pèsent sur le travail et d’augmenter la fiscalité sur la consommation ou d’augmenter la CSG qui pèse sur l’ensemble des revenus. Le basculement des charges, aujourd’hui assises sur le travail et sur l’ensemble du cycle productif, doit se faire sans augmentation du niveau des prélèvements obligatoires. Au final, il s’agirait de provoquer un choc fiscal à hauteur de 50 milliards d’euros. Fluidifier, ensuite, le marché du travail. Source de précarité, le CDD est la principale variable d’ajustement sur ce marché et la réponse tactique à un problème devenu structurel. En 2009, la part des CDD dans les embauches s’élevait à 79,5 %. Cette situation crée un marché du travail à deux vitesses, n’offrant ni sécurité à l’employé ni souplesse à l’employeur. Généraliser le CDI tout en prévoyant un mécanisme d’assouplissement des conditions de rupture lorsque celui-ci est conclu en lieu et place d’un CDD permettrait de remédier à une telle situation. Enfin, réformer le système de formation professionnelle afin d’en améliorer l’efficacité. Celui-ci continue de générer d’importants effets pervers : inefficacité de l’obligation légale de financement, complexité des dispositifs, insuffisance des certifications, inégalité d’accès, absence de ciblage… Au lieu d’être un outil au service de la promotion sociale, la formation professionnelle ne fait souvent que reproduire, voire aggraver, les inégalités entre les salariés.
Le nouveau président de la République souhaite associer pleinement les partenaires sociaux aux réflexions qui seront conduites dès juillet et par la suite. À juste titre, car aucune réforme d’envergure du marché du travail ne saurait être menée sans leur participation active. En vingt-cinq ans, le taux de syndicalisation a baissé de 25 % des salariés à environ 7 % : la France est le pays de l’OCDE où ce taux est le plus bas. L’enjeu de la reconquête des adhérents et de la légitimité des partenaires sociaux est lui aussi crucial. Cela passera notamment par une réflexion en profondeur sur les moyens d’améliorer le dialogue social en France.
La première conférence sociale de la présidence Hollande sera-t-elle un sommet accouchant d’une souris comme tant d’au tres ? Il est dans l’intérêt de tous qu’il en soit autrement et que, dans sa substance comme dans sa manière de faire, ce sommet marque une ère nouvelle. Si l’on suit les arguments déployés pendant la campagne, le gouvernement devrait à la fois y proposer une méthode – une nouvelle gouvernance entre pouvoirs publics et partenaires sociaux et la constitutionnalisation du rôle de ces derniers – et un agenda avec les points clés que le quinquennat s’engage à traiter : emploi des jeunes, formation, ajustement des réformes Sarkozy. Le tout accompagné d’un programme détaillé pour les six premiers mois, voire de quelques mesures d’urgence. L’exercice s’apparenterait alors à un discours de politique sociale générale parallèle à celui d’un chef de gouvernement nouvellement investi au Parlement. Certains agitent l’idée d’un pacte social à la française. Mais cela semble à ce stade illusoire : il n’y a pas d’exemple digne de ce nom chez nos voisins qui n’ait été longuement préparé, débattu. Et la maturité du dialogue social à la française n’est pas telle que l’on puisse voir surgir un pacte en quelques semaines. Il serait pourtant souhaitable que cette conférence sociale aille au-delà des points déjà évoqués. Qu’elle soit l’occasion d’une initiative, voire d’une position commune des partenaires sociaux, tant pour tirer le bilan de leurs diverses délibérations et négociations des années passées que pour exprimer leurs souhaits quant au quinquennat à venir. Qu’elle fasse ou tout au moins amorce un état des lieux de la démocratie et de la gouvernance sociale à la française avec ses forces mais aussi ses faiblesses. Qu’elle lance un processus de reconstruction d’un modèle social adapté aux enjeux actuels et qu’à ce titre elle débouche sur un cadre robuste de gestion des mutations et de sécurisation des parcours. Qu’elle préfigure aussi une concertation sociale d’un genre nouveau de par sa composition – une parité hommes-femmes ? D’autres organisations que les seuls patronat et syndicats ? –, de par son contenu – un périmètre du social un peu plus sociétal ? –, mais aussi de par ses méthodes – appel aux expériences des autres en Europe ou dans le monde, moins de discours et plus de participatif ? Moins de central et plus de local ? Bref, qu’elle soit un moment de courage et d’innovations !