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Vie des entreprises

Timide percée du gay-friendly au boulot

Vie des entreprises | Décryptage | publié le : 04.05.2012 | Adeline Farge

Congés parentaux, droits du pacsé : certaines entreprises font de l’égalité de traitement des homosexuels une bataille. Mais les discriminations et l’autocensure en limitent la portée.

Que faire quand on est une salariée pacséeavecsa compagne et que l’on désire un enfant ? A-t-on le droit à un congé de « paternité » ? En début d’année, une collaboratrice de SFR interroge sa direction ; elle est appuyée en interne par l’association Homosfère. L’opérateur téléphonique s’engage alors, le 1er février, à faire un pas en avant, dans le cadre de l’accord sur l’égalité professionnelle hommes-femmes. Les LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) bénéficieront des onze jours prévus à la naissance d’un enfant, des congés parentaux et événements familiaux. Une initiative encore rare, car SFR devance la loi quand beaucoup d’employeurs préfèrent se retrancher derrière. En janvier, une policière lyonnaise qui avait demandé un congé de trois jours après l’accouchement de sa compagne n’a pas eu cette chance : son chef de service et sa direction départementale lui ont opposé une fin de non-recevoir.

Reste que les congés parentaux ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale pour les couples de même sexe. C’est donc à l’employeur de payer. Mais, pour les entreprises gay-friendly, telles qu’Eau de Paris, Monoprix, Randstad ou Air France, l’argument pèse peu. « Leur coût reste faible. Les homosexuels ne représentent que 5 à 10 % des salariés, ceux qui sont en couple et ont un projet d’enfants sont encore moins nombreux », plaide Isabelle Morison, chargée de l’homoparentalité chez Homosfère.

Sensibilisation. Contrairement aux pays anglo-saxons, plus en avance sur ces politiques, il a fallu attendre les années 2000 et l’arrivée du Pacs pour que les mentalités hexagonales bougent. Héritier de sa maison mère, IBM France fait figure d’avant-gardiste. Ses salariés sont tenus de signer touslesansunechartede bonne conduite, et une formation « sexisme et homophobie : même origine » a été instaurée avec la fédération de lutte contre l’homophobie L’Autre Cercle.

Sous l’impulsion d’un sponsor mis en place au conseil exécutif, le groupe a aussi créé un réseau d’employés LGBT en collaboration avec les différentes filiales et participe à l’European Gay and Lesbian Managers Association. Lors des séminaires de celle-ci, chacun vient témoigner de son vécu afin de se redonner confiance. « Le monde hétéronormé nuit au développement des potentiels des collaborateurs. Ils ne peuvent pas faire leur coming out, ce qui est du temps perdu pour la productivité en entreprise. Dans le management, on tient compte de la diversité pour créer performance et sentiment d’appartenance à l’entreprise », note Jean-Louis Carvès, responsable diversité.

Fidélisation. Dans les métiers à forte valeur ajoutée, le gay-friendly devient un argument pour recruter les meilleurs et« ne pas perdre les talents pour de mauvaises raisons. On travaille sur la singularité de chacun pour apporter richesse et développement », abonde Armelle Carminati, DG diversité d’Accenture Monde,récompenséedu grand prix de la Diversité de L’Autre Cercle en 2012. La moitié des Français se prononçant pour le mariage gay et l’adoption par des couples homosexuels, le respect des collaborateurs est un atout pour séduire les clients. À Nice, l’office de tourisme propose le label Gay Comfort. Signataire, l’hôtel Le Méridien a octroyé le congé de mariage et de parentalité aux couples de même sexe.

Malgré ces avancées, une barrière subsiste : la réticence à révéler des éléments de vie privée. De nombreux LGBT hésitent à inscrire leur conjoint sur leur mutuelle d’entreprise. De peur que cela se sache. Les salariés de SFR doivent faire leur demande auprès de la DRH et du manager. « Ces droits ne servent à rien si les discriminations et l’autocensure ne sont pas réglées. Les LGBT ne vont pas les utiliser de peur d’être discriminés. L’homosexualité n’a été dépénalisée qu’en 1981 », critique Jérôme Beaugé, porte-parole du collectif Homoboulot.

Dans l’environnement très masculin des centrales nucléaires, la vie quotidienne des LGBT reste un parcours du combattant. « Afin de justifier du droit de disposer d’un logement de fonction à deux, les personnes doivent se déclarer en couple et fournir un certificat de Pacs. Un salarié à qui l’on avait proposé une promotion à l’étranger a ainsi préféré décliner plutôt que de dévoiler son homosexualité. Officiellement, les entreprises ne les discriminent pas, mais elles les traitent comme des célibataires », regrette Damien Sion, porte-parole d’Energay.

Pour faire évoluer les mentalités, les entreprises gay-friendly misent sur la communication. En partenariat avec l’association interne Mobil is Noo, Laurent Depond, chez Orange, utilise différents canaux internes tels que les campagnes d’affichage, l’organisation de conférences sur l’intranet. « Une étude nous a révélé que nos collaborateurs ne percevaient pas les discriminations liées à l’homophobie. Pour la population LGBT, la communication est fondamentale et donne le droit d’exister », commente ce directeur de la diversité.

Contrairement à d’autres populations discriminées, les LGBT restent invisibles. « On ne peut pas appliquer la politique des quotas comme on le ferait pour les femmes. C’est pourquoi nous sommes favorables à la mise en place de mesures quantitatives confidentielles qui permettraient d’identifier si une personne a rencontré des blocages dans l’évolution de sa carrière », justifie Catherine Tripon, porte-parole de L’Autre Cercle.

Appels mystères. Faute d’outils de mesure, la question LGBT passe à la trappe des critères de discrimination, et près de 54 % des entreprises ne font pas référence à l’orientation sexuelle dans leur politique de diversité. « L’homosexualité ne figure pas explicitement dans les 18 discriminations des chartes de diversité. Elle est le plus souvent dans les points de suspension », relève Aline Crépin, directrice RSE de Randstad France. Ce groupe d’intérim refuse les demandes discriminantes de ses clients et a créé un argumentaire pour ses conseillers. « Depuis avril, nous réalisons des appels mystères pour tester la qualité du service en intégrant le critère LGBT. Si les réponses ne sont pas suffisamment fermes, nous déclenchons une formation à distance pour sensibiliser les consultants de l’agence concernée. En deux ans, nous avons formé 750 managers pendant une journée entière. »

De plus en plus d’entreprises s’appuient sur de tels modules, proposés notamment par SOS Homophobie et L’Autre Cercle. Ce dernier a aussi mis en place avec l’Institut Randstad un questionnaire (« Quick Scan ») permettant d’identifier les pratiques discriminantes ; au total, 26 sociétés, dont Air France et GDF, se sont prêtées au jeu. « Nous avons eu de bonnes nouvelles. Si le sujet reste peu abordé, les entreprises communiquent de plus en plus en interne », constate Catherine Tripon, qui considère que « la première chose à faire est de verbaliser l’homosexualité en restant neutre. Grâce à la communication, le dirigeant rendra visible un engagement, ce qui aura un impact sur les salariés ».

Les RH sont enclines à requalifier les actes homophobes en problèmes de management

Loi du silence. Par peur des répercussions négatives, 67 % des homosexuels ne souhaitent pas être visibles sur leur lieu de travail, selon l’enquête 2011 de L’Autre Cercle. « Être homo n’est pas un défaut, mais être homo et avoir un défaut, ça fait deux défauts », poursuit Damien Sion. Face au jugement de l’autre, à son rejet, accompagné parfois de violences, de remarques insidieuses, la loi du silence prédomine. Mickaël Bucheron en fait l’expérience dans son commissariat. « Quand ils parlent de leur week-end, les policiers homos s’inventent parfois une vie hétérosexuelle. On demande juste à vivre notre orientation sexuelle librement », déplore le président de Flag !. Cette association mène des campagnes de sensibilisation dans les écoles et auprès des fonctionnaires. « Nos collègues ne savent pas toujours prendre les plaintes ni répondre aux victimes car ils méconnaissent les textes pénalisant l’homophobie. On se mobilise donc pour développer une formation spécifique et inclure dans le code de déontologie l’orientation sexuelle parmi les discriminations », témoigne-t-il.

Selon le rapport de SOS Homophobie de 2011, le milieu du travail est le troisième lieu d’expression de l’homophobie (après Internet et les lieux publics), avec 12 % des cas recensés en 2010. Un chiffre en constante diminution. D’après le baromètre du Défenseur des droits et de l’OIT, 17 % des salariés jugent que dévoiler son orientation sexuelle expose les LGBT à des difficultés. Et les discriminations ne sont pas l’apanage des métiers réputés masculins. À l’instar des femmes, les LGBT restent confrontés à de multiples stéréotypes et à un plafond de verre. « Dans l’enseignement, un homosexuel est rapidement soupçonnable de pédophilie », raconte Jérôme Beaugé. Selon ce porte-parole, les salariés homosexuels sont rémunérés 5 à 6 % de moins que les autres : « S’ils se font discrets pour ne pas éveiller les soupçons, on ne pense pas à eux pour une promotion. S’ils se dévoilent, la direction ne leur confiera pas de responsabilités car ils sont jugés trop instables, trop sensibles et donc incapables de manager. On préfère leur accorder une protection plutôt qu’une promotion. »

Si certains managers évitent d’aborder l’homosexualité de front, c’est aussi parce qu’elle rime avec sexualité. La question est toujours taboue. Les ressources humaines sont donc plus enclines à requalifier les actes homophobes en problèmes de management ou de comportement. « Les supérieurs hiérarchiques répondent que les victimes exagèrent et ils ne respectent pas leurs obligations légales : prévenir en cas de harcèlement, faire remonter les faits à la direction et prendre des mesures disciplinaires. Le Défenseur des droits peut être saisi. Ils s’exposent à des peines d’amende et d’emprisonnement », commente Élisabeth Ronzier, présidente de SOS Homophobie.

Responsable d’exploitation dans le tourisme social, Thomas* est doublement pénalisé. « Pour certaines personnes de mon équipe j’étais un danger, et ne pouvant m’attaquer sur le plan professionnel, elles ont dénigré ma vie personnelle. J’ai subi des humiliations, j’ai pu produire des lettres à caractère homophobe. Au départ, le directeur a convoqué les personnes incriminées en vue de sanctions. Mais il a finalement décidé de passer l’éponge. Il m’a convoqué en février pour m’annoncer que j’étais en échec de management et m’a proposé de négocier mon départ. » En arrêt de travail depuis, il est rongé par un sentiment d’impuissance.

Reste que « la société avance plus vite que la loi et que l’entreprise », se réjouit Jean-Marie Feugère, vice-président de Gare !, association LGBT de la SNCF. Comme elle, nombre d’associations sont sollicitées par les candidats. « Même si on ne veut pas servir de caution, poursuit-il, on attend l’élection présidentielle. Certaines choses ne peuvent être obtenues qu’au niveau national, comme l’autorisation du mariage et la pension de réversion. On se bat avant tout pour notre protection. »

* Le prénom a été changé.

67 %

des homosexuels ne souhaitent pas être visibles sur leur lieu de travail.

Source : enquête 2011 de L’Autre Cercle.

Des associations actives

Le collectif Homoboulot a été lancé en 2001 pour susciter la création d’associations LGBT en milieu de travail. Leurs objectifs : égalité des droits, visibilité et prévention du sida. « Si les syndicats portaient ce sujet à bras-le-corps, les associations n’auraient pas de raison de vivre. On est une bouée de sauvetage. Bien qu’ils aient peur qu’on leur pique leur job, nous sommes complémentaires. On agit sur l’intervention et la prévention en tant qu’experts, et eux sont sur la protection et la négociation avec la direction », résume Jérôme Beaugé. Faute de formation, les syndicalistes s’avouent désarmés, bien qu’officiellement engagés sur le sujet. La CGT a contribué en 2003 à un Livre blanc sur l’homophobie et a mis en place en 1996 un comité spécifique de lutte contre l’homophobie. « Nous réclamons l’égalité professionnelle pour tous, y compris la reconnaissance des couples homosexuels », souligne Didier Cru, membre du collectif. Néanmoins, le débat ne va pas de soi dans un milieu qui lui non plus n’échappe pas à l’homophobie. « On mène des campagnes de sensibilisation au sein des différentes sections », poursuit-il.

L’association Coming-G, de son côté, informe les délégués syndicaux du ministère de l’Économie depuis 2004. Elle organise des événements conviviaux pour les fonctionnaires lors de la Marche des fiertés et des journées contre l’homophobie, contre le sida. « On essaie de créer un climat social propice au coming out, de raconter son week-end devant la machine à café. Bien que les stéréotypes aient tendance à régresser, certains n’osent toujours pas venir de peur de rencontrer des collègues », rapporte Sylvain Rouzel-Boisgontier, président de Coming-G. Pour combattre la honte de soi, l’association Energay organise aussi des rencontres avec des adhérents afin de les aider à partager leurs expériences, et Gare ! assure une cellule d’écoute.

Auteur

  • Adeline Farge

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