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Vie des entreprises

Les pionnières des 32 heures n’ont plus le feu sacré

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 04.05.2012 | Éric Béal

Que sont devenues les sociétés qui avaient signé un accord Robien à la fin des années 90 ? Entre les fidèles et celles qui renégocient, retour sur ces innovatrices.

Alors qu’il est de bon ton dans les rangs de la majorité et dans de nombreux instituts de prévision économique de brocarder les 35 heures, source de tous les maux de la France, certaines entreprises vivent encore au rythme des 32 heures hebdomadaires, ou quatre jours travaillés par semaine. « Une évaluation de la loi Robien de juin 1996 sur l’aménagement du temps de travail montre que plus de 400 entreprises ont adopté les 32 heures », indique Pierre Larrouturou, ancien ingénieur-conseil chez Andersen Consulting et chantre de la semaine de quatre jours. Des expériences qui ont connu des fortunes diverses au cours de la décennie écoulée.

Chez certaines pionnières, on s’accroche encore à l’ancien accord sur le temps de travail. Comme à la Macif. « Le bilan est largement positif, souligne Claude Fiot, le DRH de la mutuelle. Nous avons revu notre organisation, optimisé et diversifié nos services tout en prenant en compte les besoins des sociétaires et les préoccupations des salariés. » La Macif avait choisi les 31 h 30 hebdomadaires sur cinq jours. Elle a modifié son organisation en 2006 pour adopter la semaine de quatre jours travaillés, en alternance avec une semaine classique de cinq jours. « Nous sommes passés de 6 360 à 8 800 salariés en dix ans, précise Manuel Pinto, délégué syndical CFDT. La RTT nous a permis de créer quelque 500 emplois et la croissance de nos activités a fait le reste. »

Pragmatisme revendiqué. Chez Fleury Michon, autre fervent défenseur de la semaine de quatre jours, la DRH ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet hautement polémique, mais la CFDT de l’entreprise agroalimentaire continue de revendiquer à la fois l’accord historique sur la réduction du temps de travail de 1997 et un certain pragmatisme. Car, depuis sa renégociation en 2008, deux horaires annualisés sont possibles chez le fabricant vendéen de plats cuisinés et de charcuterie : 33 h 30 ou 35 heures. Mais, selon le volume d’activité, les salariés peuvent passer de 21 heures à 42 heures hebdomadaires effectives, les heures supplémentaires étant payées en fin d’année. « Nous avons obtenu de la direction que les salariés puissent changer de formule chaque année, en mars, explique Alain Ansel, le délégué syndical CFDT. La moitié des 3 700 salariés travaillent plus pour augmenter leur salaire. Les autres, notamment les seniors et ceux qui travaillent de nuit, ont adopté les 33 h 30 hebdomadaires. » Une façon d’aménager son rythme de vie en fonction de ses impératifs, à laquelle les salariés sont très attachés.

Dans le secteur agroalimentaire, on semble vouloir tourner la page. Chez Monique Ranou ou Ducs de Gascogne, les directions ne cachent pas leur agacement d’être encore sollicitées sur un thème vieux de douze ans et plus. À la coopérative agricole Even, plus connue par la marque de produits laitiers Mamie Nova, l’heure est à la renégociation. Depuis 2004, l’entreprise ne touche plus d’aides correspondant au dispositif Robien. Mais elle a conservé ses 32 h 30 hebdomadaires ou cent quatre-vingt-quatorze jours travaillés par an pour les 800 salariés de la laiterie concernés au départ. Le reste des 5 000 collaborateurs effectue 34 h 30 ou 35 heures. « Nous souhaiterions harmoniser à 35 heures sur une des entités du groupe, mais nous laisserons le choix aux salariés de rester à 32 h 30 s’ils le veulent », indique Jean-Yves Madec, le DRH. Pas de quoi enchanter Michel LeBot, délégué CFDT, qui rappelle qu’à la signature de l’accord, en 1997, 120 emplois avaient été créés. « La RTT a toujours eu du mal à passer auprès des sociétaires, explique-t-il. Le milieu agricole a plutôt la religion du travail. »

Accords dénoncés. Négociation également chez Adoma (ex-Sonacotra), un acteur historique du logement social qui compte 2 300 salariés. La direction vient de dénoncer son accord 32 heures vieux de treize ans. Hugues Ducol, le secrétaire général, affirme que son intention est de renforcer la présence des responsables sur certains sites. « Il ne s’agit pas de généraliser le passage des 32 aux 35 heures, souligne-t-il. Mais de faire appel au volontariat, là où nos résidents en ont besoin. Et il nous a paru plus simple de dénoncer l’accord pour créer une obligation de négocier, avec un calendrier contraint. »

Faute d’enquête exhaustive du ministère du Travail, impossible de savoir combien d’entreprises sont retournées dans le droit commun. Mais beaucoup ont changé de religion. Pour des raisons autant idéologiques qu’économiques. À l’instar d’EDF, qui incite ses salariés à adopter les 35 heures et barre l’accès des 32 heures aux nouveaux entrants. Dans les filiales de distribution ERDF et GRDF, un accord-cadre de décembre 2011 signé à l’unanimité fixe la durée du travail à 35 heures, tout en autorisant le passage à 32.

Chez Pasquier SA, les 1 500 salariés à 33 h 15 depuis 1995 sont passés à 35 heures en 2001. Tout en conservant la polyvalence des postes développée pour faire face aux 33 h 15. Les 300 salariés de Sodie, un cabinet de reclassement et de conseil en RH, ont dû adopter le forfait jours peu de temps après être passés sous le contrôle du Groupe Alpha. Seuls une vingtaine d’irréductibles restent aux 35 heures initiales sur quatre jours. Ceux de Télérama ont dû renoncer à leurs 32 heures en 2006, lorsque tous les magazines du groupe le Monde ont été rassemblés sur un même site.

De son côté, Pierre Leray, ancien concessionnaire Peugeot de Draguignan, déplore que le groupe Gemy, à qui il a cédé son affaire, ait saboté les 35 heures sur quatre jours qu’il avait mises en place. « Les salariés avaient organisé eux-mêmes leur planning et ils étaient très impliqués. Les performances économiques étaient excellentes », assure-t-il. En revanche, les 12 salariés du fabricant de murs d’escalade Entre-Prises vivent toujours au rythme de la semaine de quatre jours, depuis douze ans. Une exception, car les irréductibles des 32 heures ne sont plus légion.

1993

Antoine Riboud, alors P-DG de Danone, défend le principe de « descendre à 32 heures, soit quatre jours par semaine », pour obliger « les industries et les services à embaucher fortement ».

1996

La loi Robien sur l’aménagement du temps de travail reprend l’idée : une entreprise qui réduit le temps de travail de 10 % et recrute en proportion bénéficie d’allégements de cotisations sociales.

6 %

des entreprises avaient signé des accords Robien avant la RTT version Aubry.

Auteur

  • Éric Béal