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Vie des entreprises

Accord de compétitivité et contrat de travail

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 04.05.2012 | Jean-Emmanuel Ray

Allemagne, Espagne, Portugal, Italie… Des syndicats pas toujours accommodants signent des accords de compétitivité prévoyant un maintien de l’emploi pendant une durée déterminée contre une baisse des rémunérations et/ou une augmentation du temps de travail. Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, la question se posera en France si la crise perdure.

Depuis la création des accords dérogatoires en 1982, la question essentielle visait les rapports loi-convention collective. Mais, depuis les lois 35 heures, c’est un nouveau conflit d’impérativité qui fait débat, car deux astres sont montés ensemble au firmament du droit du travail. Accompagnant un mouvement général d’individualisation, la jurisprudence a favorisé depuis 1987 le renouveau du contrat individuel de travail, alors que toutes les lois récentes ont voulu faire de l’accord collectif la base de la régulation sociale. Singulière inversion des rôles ! Des syndicats ne jurant que par les garanties collectives s’érigent en fervents défenseurs de l’intangible contrat individuel, au risque de se faire prendre demain à leur propre piège avec l’irruption de l’opt-out, le contrat pouvant déroger à l’accord collectif. D’habitude si attachés au tête-à-tête contractuel, nombre d’employeurs plébiscitent ces accords collectifs si flexibles par rapport à la loi, et par ailleurs réversibles.

UN CONFLIT D’IMPÉRATIVITÉ QUI MONTE, QUI MONTE…

Les Trente Glorieuses avaient financé une croissance ininterrompue des « avantages », avec le monopole de l’ordre public social. Mais crise et donc flexibilité interne obligent, dès 1982, la naissance des accords dérogatoires avec leurs « contreparties » avait provoqué un vif débat lié à la primauté de la convention collective sur chaque contrat. En 2012, un accord d’entreprise prévoyant une baisse des salaires peut-il s’imposer au contrat ?

Principe : l’accord collectif français est opposable erga omnes : avec l’unité du statut collectif à la française, l’accord s’applique automatiquement à tous, « sauf stipulations plus favorables » (L. 2254-1).

Évolution : le tremblement de terre normatif de 1982 a provoqué la réplique sismique du 20 août 2008. Pour qu’un accord (a fortiori dérogatoire) soit légitime et donc appliqué, il faut désormais un seuil minimal de représentativité : de construction à 30 % des suffrages exprimés, et de destruction à 50 %. Mais cette légitimité renforcée de l’accord collectif permet-elle de faire plier les contrats de travail ?

FLEXIBILITÉ CONVENTIONNELLE/ INTANGIBILITÉ DU CONTRAT

« La convention collective a le corps d’un contrat mais l’âme d’une loi »: s’appliquant de façon générale et impersonnelle, elle régit les contrats de travail. Trois conséquences.

1. Non-incorporation des avantages conventionnels au contrat individuel. À la suite de la fusion Air France-UTA, un accord de substitution est signé : d’ex-salariés d’UTA contestent la perte d’une prime figurant dans leur ancien accord collectif : « Ce changement de structure salariale s’imposait aux salariés sans que ceux-ci ne puissent se prévaloir d’une modification de leur contrat de travail. » (Cass. soc., 27 juin 2000.) On ne peut donc parler d’« avantages acquis » issus d’une convention collective.

2. La révision de la convention collective n’entraîne donc aucune modification du contrat de travail… sauf dans deux cas.

– Contractualisation individuelle d’un avantage conventionnel (ou d’usage : Cass. soc., 1er février 2012). Un salarié bien renseigné voyant venir un accord de compétitivité peut tenter de faire inclure par avenant individuel certains avantages conventionnels. Mais les entreprises ne prêtent pas volontiers la main à ce délit d’initié social, contagieux, et qui pourrait demain poser problème en termes d’égalité de traitement.

– En cas de fusion ou de dénonciation, si aucun accord de substitution n’a été signé au bout de quinze mois, les avantages individuels de la convention ancienne sont contractualisés pour les salariés en poste avant l’opération. De quoi calmer les entreprises roulant des mécaniques sur le mode « signez un accord de compétitivité ou je dénonce tous les accords précédents ». Car tous les avantages individuels et collectifs survivront pendant quinze mois ; et au-delà, contractualisation légale des primes et autres avantages salariaux… donc PSE assuré si l’employeur veut toucher à un centime de ces sommes, hier conventionnelles et flexibles.

3. « Un accord collectif ne peut, sans l’accord des salariés concernés, prétendre modifier les droits qu’ils tiennent de leur contrat de travail. » Peu importe un accord collectif unanime ou un référendum avec un score d’approbation soviétique : chaque salarié peut aujourd’hui se réfugier dans son donjon contractuel.

PAS D’EXCEPTION POUR LES GRANDES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Dura lex, sed lex. Pour les juges, peu importe qu’il s’agisse d’une question de vie ou de mort pour l’entreprise. En témoigne l’affaire Air Littoral du 25 février 2003, où l’accord prévoyait une réduction des rémunérations contractuelles pour éviter la liquidation. Alors que la cour d’appel locale l’avait acceptée « en cette période critique pour l’entreprise », la chambre sociale répète : « Attendu qu’un accord collectif ne peut modifier le contrat de travail… » (prise d’acte justifiée).

Idem avec l’arrêt du 9 février 2010, s’agissant déjà d’un accord de compétitivité avec baisse des salaires contractuels de 12,5 % :

1. « Chantage à l’emploi » et donc vice du consentement ? « L’employeur n’avait pas manqué à son obligation de loyauté dans la négociation en invoquant, pour convaincre des organisations syndicales de la nécessité de conclure un accord permettant une réduction des coûts salariaux, que la fermeture de l’établissement de Mérignac était envisagée en raison de difficultés économiques de l’entreprise. »

2. Modification des contrats ? Pas ici : « Si l’accord collectif prévoyait, pour atteindre son objectif de réduction des coûts salariaux, une diminution du salaire de 12,5 % et une augmentation de la durée hebdomadaire de travail, il spécifiait que la mise en œuvre de ces mesures nécessitait l’accord des salariés concernés auxquels des avenants à leurs contrats de travail seraient proposés ; il ne portait donc aucune atteinte aux droits que les salariés tenaient de leur contrat de travail. » À l’évidence. Mais est-il raisonnable de laisser certains collaborateurs – pas forcément les plus mauvais – rejouer Take the Money and Run ?

SOUMETTRE LE CONTRAT INDIVIDUEL À LA VOLONTÉ COLLECTIVE ?

Constatons d’abord que cette hypothèse n’est pas dans l’air de notre temps si individualiste : celui de la disparition d’un droit des travailleurs au profit des droits de la personne au travail (cf. L. 1221-1).

– « La durée du travail, telle que mentionnée au contrat de travail, constitue en principe un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié. » En plein débat sur la réduction du temps de travail, l’arrêt du 20 octobre 1998 n’était pas passé inaperçu. Voulant donc éviter que le passage aux 35 heures ne conduise à des PSE, la loi Aubry II a inauguré la série : « La seule diminution du nombre d’heures stipulé au contrat de travail en application d’un accord de réduction de la durée du travail ne constitue pas une modification du contrat. Lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent une modification résultant de l’application d’un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement qui ne repose pas sur un motif économique. Il est soumis aux dispositions relatives à la rupture du contrat pour motif personnel. » Le système est donc verrouillé : licenciement non économique, reposant sur une cause réelle et sérieuse sui generis. Mais il ne peut trouver à s’appliquer en cas de RTT version 2012 : « Rallongement du temps de travail ».

– « L’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié. » (Cass. soc., 28 septembre 2010.) Même motif, même sanction : la loi Warsmann du 22 mars 2012 a voulu casser cette jurisprudence : « La mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail. » (L. 3122-6.)

TSLE : TOUT SAUF UN LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE

Loi du 19 janvier 2000 puis du 22 mars 2012 : dans les deux cas la pression est indirecte, le législateur se contentant de qualifier de simple changement des conditions de travail une modification du contrat, avec des conséquences délibérément fâcheuses pour le refuznik : pas de licenciement économique ni d’obligation de reclassement ou de PSE avantageux, mais licenciement pour motif personnel : sui generis avec les 35 heures, pour faute car insubordination avec la loi Warsmann ?

Il serait singulier que, dans la négociation interprofessionnelle sur les accords de compétitivité, les syndicats, attendant le résultat de l’élection présidentielle, acceptent qu’un salarié puisse ainsi être licencié pour faute, alors que la cause initiale de la modification est manifestement économique. Or si aucune loi n’intervient, les entreprises tomberont sous le coup de l’arrêt Generali du 14 décembre 2011 : obligation de reclassement urbi et orbi pour chaque récalcitrant licencié, contrôle de la cause réelle et sérieuse pas seulement au niveau de l’établissement ou de l’entreprise en grande difficulté mais, le cas échéant, du secteur d’activité du groupe. Seule spécificité révélée par l’arrêt du 27 mars 2012 : « La modification ayant été proposée à tous les salariés et les licenciements concernant tous ceux l’ayant refusée, la cour a retenu à bon droit que l’employeur n’ayant aucun choix à opérer parmi les salariés ayant refusé la modification il n’y avait pas lieu d’appliquer un ordre des licenciements. »

Mais à l’instar de la théorie des « avaries communes » en droit maritime, un pacte de compétitivité ne peut viser les seuls salariés. Lorsque le capitaine a dû passer par-dessus bord une partie de la cargaison « pour le salut commun de l’expédition », ces sacrifices sont d’autorité répartis entre les propriétaires du navire et ceux de la cargaison.

FLASH
Le Conseil constitutionnel au secours de l’accord collectif

Dans ce débat, le Conseil a apporté, le 15 mars 2012, une intéressante contribution : contrôlant l’article 45 de la loi Warsmann, il aurait pu se contenter de son analyse classique :

1. Y a-t-il atteinte à la liberté contractuelle ? À l’évidence, oui.

2. Le législateur démontrait-il un motif d’intérêt général suffisant ? Or le Conseil a commencé par citer le huitième alinéa du préambule constitutionnel : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises »; puis rappelé que « cette possibilité de répartition des horaires sans obtenir l’accord préalable de chaque salarié est subordonnée à l’existence d’un accord collectif, applicable à l’entreprise, qui permet une telle modulation ».

Cet hommage à l’accord collectif et à la liberté conventionnelle des partenaires sociaux montre son attachement à cette source spécifique au droit du travail, malmenée avec la création jurisprudentielle d’un principe général d’égalité ayant mis à mal les différenciations conventionnelles avec l’arrêt Pain 1 du 1er juillet 2009, légitimement recadré par l’arrêt Pain 2 du 28 mars 2012.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray