logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Ragaillardi par la crise, le BIT change de tête

Politique sociale | publié le : 04.05.2012 | Sabine Germain

Obscur « machin » ou instance aussi reconnue que l’OMC ou le FMI ? Légitimée depuis peu par le G20, cette agence de l’ONU est à un tournant. Et élit son nouveau directeur ce mois-ci.

Je suis amoureux de l’Organisation internationale du travail ! » C’est à une véritable déclaration que se livre Yves Veyrier, représentant adjoint de la France au conseil d’administration du Bureau international du travail, où il défend les travailleurs (il est secrétaire confédéral FO). Cet enthousiasme a de quoi surprendre : l’OIT est plus souvent vue comme un « machin » dont le gigantisme (183 états membres, 2 700 fonctionnaires) est un gage d’impuissance et d’inertie.

Historiquement, l’OIT est la première organisation internationale, fondée en 1919 dans le cadre du traité de Versailles. C’est aussi la seule agence des Nations unies dont les membres sont des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. « Cette structure tripartite en fait un forum unique, où les gouvernements et les partenaires sociaux des 183 États membres peuvent discuter ouvertement, en toute liberté, de leurs expériences et comparer leurs politiques internationales », explique-t-on à l’OIT. Un forum qui s’est fixé quatre objectifs stratégiques : promouvoir et mettre en œuvre les principes et les droits fondamentaux au travail, accroître les possibilités pour les hommes et les femmes d’obtenir un emploi et un revenu décents, étendre le bénéfice et l’efficacité de la protection sociale pour tous et, enfin, renforcer le tripartisme et le dialogue social. Son principal moyen d’action : un travail normatif qui a débouché, en près d’un siècle, sur l’adoption de 189 conventions internationales, dont environ 60 % ont trait à la santé et la sécurité au travail. « Tous ces textes n’ont pas été ratifiés par les 183 États membres, admet Yves Veyrier. Mais ils finissent toujours par se diffuser et s’imposer peu à peu dans le droit du travail. Prenons le cas de la recommandation de 1962 sur la durée du travail : la semaine de 40 heures a bel et bien fini par s’imposer dans le monde industriel. »

Seul candidat des travailleurs, le Britannique Guy Ryder apparaît comme le mieux placé dans la course

Une place au G20. C’est un processus lent, mais inexorable aux yeux d’Yves Veyrier, « pour la simple et bonne raison que les États n’apprécient jamais d’être montrés du doigt par l’OIT ». Exemple récent à l’appui : « Chaque fois que nous avons demandé au gouvernement birman pourquoi il n’avait pas de représentant des travailleurs, il s’est senti obligé de venir s’expliquer devant la Commission de vérification des pouvoirs de l’OIT. Je suis convaincu que notre action contre le travail forcé et pour la liberté syndicale a eu autant d’impact que les mesures de rétorsion économique dans le processus d’ouverture de ce pays. » En novembre dernier, l’OIT a connu son heure de gloire, lors du sommet du G20 à Cannes : le B20 (organisations patronales des pays du G20) et le L20 (syndicats des pays du G20) ont publié une « déclaration conjointe sur l’emploi, la protection sociale, les principes et droits fondamentaux au travail et la cohérence du système multilatéral ». S’appuyant sur le rapport publié par Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili et directrice exécutive de l’ONU Femmes, en faveur de la création d’un socle de protection sociale, les dirigeants du G20 ont reconnu que les pays ayant un bon système social résistaient mieux à la crise que les autres.

C’est ainsi que l’OIT est devenue membre de plein droit du G20, « non plus, comme par le passé, pour faire un discours de cinq minutes, lors de la session de clôture, quand toutes les délégations officielles sont parties, sourit un observateur. L’OIT est réellement à la table des négociations ». Une avancée importante, mais qui mérite d’être confortée, selon Gilles de Robien, délégué du gouvernement français au BIT depuis 2007 et candidat à sa direction générale, dont l’élection aura lieu fin mai (voir encadré). « L’OIT a acquis une présence internationale de haut niveau, admet-il. Mais sa place au G20 n’est pas un acquis : elle doit se mériter sur la durée, en apportant une véritable valeur ajoutée dans la gouvernance du monde. »

Projet phare du programme de l’ancien ministre candidat : « Créer un centre de recherche qui fasse réellement autorité dans les domaines du travail et de l’emploi. Si le FMI et la Banque mondiale publient toujours des rapports sur ces thèmes, c’est parce qu’ils considèrent que l’OIT ne fait pas encore totalement autorité. » S’il est élu directeur général, Gilles de Robien réorganisera les centres de recherche du BIT pour créer des équipes pluridisciplinaires travaillant avec des universités et des instituts de recherche reconnus. « Les chercheurs de l’OIT ne demandent que cela ! Je suis le seul à le proposer ! » Tout comme il est le seul à vouloir créer un poste de directeur général adjoint, qui assure une présence quotidienne quand le DG est en voyage.

Le candidat français s’est lancé dans une véritable campagne électorale qui l’a conduit, depuis le début de l’année, à visiter une trentaine de pays : entrevues ministérielles, dîners avec les représentants des travailleurs ou des employeurs, rencontres diplomatiques… Il a joué sur tous les tableaux pour multiplier ses chances d’être élu dans cette organisation tripartite, « que la culture a toujours portée vers la recherche du consensus, note un fin connaisseur. Quand les employeurs et les travailleurs ne parviennent pas à se mettre d’accord, les représentants gouvernementaux ne passent pas en force ». Pour autant, la notion de rapport de force n’est évidemment jamais loin. De ce point de vue, le candidat britannique Guy Ryder apparaît comme le mieux placé dans la course au siège de directeur général : parce que l’actuel directeur général adjoint connaît bien la maison. Et, surtout, parce que c’est le seul candidat des travailleurs, ce qui devrait mécaniquement lui assurer les 14 voix de ce collège. Il est ainsi officiellement soutenu par la Confédération syndicale internationale (CSI), une organisation qu’il connaît bien pour avoir été l’un des artisans de sa création.

Contestation en interne. « Toutes les candidatures sont de haut niveau », note un observateur, qui regrette toutefois l’absence d’une candidature « poids lourd », qui s’imposerait avec évidence. « Michelle Bachelet aurait été parfaite dans ce rôle. Mais il était difficile d’élire une Chilienne après les treize années de mandat de son compatriote Juan Somavia, qui a effectué un excellent travail normatif, mais dont la gestion interne est très justement contestée. Souvent absent, il n’a pas su dialoguer avec les partenaires sociaux qui sont allés – du jamais-vu ! – jusqu’à déclencher un mouvement de grève, en novembre 2010. » La nationalité, c’est aussi le point faible de Gilles de Robien : avec Christine Lagarde à la tête du FMI et Pascal Lamy à l’OMC, il semble difficile de donner les rênes d’une troisième institution internationale à un Français. L’ancien ministre n’en a cure : il prend des cours intensifs d’anglais et martèle son « ambition pour cette institution qu[’il est] capable de mener au plus haut niveau, parce qu[’il ne peut] imaginer d’enjeu plus fort au niveau mondial que l’enjeu social ».

En tout état de cause, cette élection sera décisive : sans réelle volonté de réformer l’organisation, l’OIT aura du mal à conserver la place à laquelle la crise lui a permis d’accéder dans le concert mondial. « Certains pays, de culture libérale, ont intérêt à ce que l’OIT ne prenne pas trop de place, soupire un observateur. L’élection d’un directeur général faible serait le signe de leur victoire. »

OIT, mode d’emploi

Les orientations politiques de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont définies par son « parlement », la Conférence internationale du travail, qui se réunit chaque année, au mois de juin, à Genève. Elles sont mises en œuvre par :

– le conseil d’administration, organe exécutif dont les 56 membres se réunissent trois fois par an pour établir le programme d’actions et le budget ;

– le Bureau international du travail (BIT), secrétariat et siège opérationnel de l’OIT, dont le directeur général est élu tous les cinq ans par le conseil d’administration. Installé à Genève, il dispose d’une quarantaine de bureaux à travers le monde ;

– le tribunal administratif de l’OIT, dont les sept juges se réunissent trois fois par an et rendent une cinquantaine de jugements par session ;

– des centres internationaux de recherche, de formation et d’information.

Un scrutin par éliminations

C’est une élection diplomatique et machiavélique », explique Gilles de Robien, le candidat français au poste de directeur général du Bureau international du travail (BIT), dont l’élection aura lieu le 28 mai prochain. Le mode de scrutin est en effet du genre à réserver des surprises : il s’agit d’un vote par éliminations successives du dernier candidat. Avec neuf candidats en lice, il pourrait donc y avoir jusqu’à huit tours de scrutin et des alliances inattendues, comme ce fut le cas en septembre 2009 lors de l’élection du directeur général de l’Unesco : à la surprise générale, l’Égyptien Farouk Hosni a été battu au cinquième tour par la Bulgare Irina Bokova. Au BIT, les 56 votants sont les membres du conseil d’administration : issus de 35 pays, ils sont pour moitié (28 voix) des représentants gouvernementaux, pour un quart (14 voix) des représentants patronaux et pour un quart (14 voix) des représentants des travailleurs.

« Les 14 représentants des travailleurs devraient voter pour le seul candidat issu de leur collège, le Britannique Guy Ryder », observe Yves Veyrier, membre adjoint du conseil d’administration.

Ils devraient… mais rien n’est moins sûr : les 28 votants issus des collèges employeurs et travailleurs peuvent aussi décider de s’aligner sur la position diplomatique de leur pays. Ou s’inscrire dans des jeux d’alliances inattendus. Fin du suspense le 28 mai.

Auteur

  • Sabine Germain