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Enquête

Syndicats : combien de divisions ?

Enquête | publié le : 04.05.2012 | Anne-Cécile Geoffroy

La loi sur la représentativité était censée rétablir la légitimité des syndicats et faire le ménage. Sur le terrain, elle a plutôt entraîné dispersion, radicalisation et complexité.

Vous n’êtes plus invité aux réunions de négociation. » Au lendemain des élections professionnelles de mars 2011, la direction d’Air France signifie de façon lapidaire à Jean Sautereau qu’il n’est plus délégué syndical. Une douche froide pour le représentant de l’Union nationale des pilotes de ligne (UNPL). « La loi de 2008 a été redoutablement efficace pour simplifier le paysage. Des cinq organisations syndicales de pilotes représentatives, il n’en reste plus que deux », explique-t-il. Le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) règne désormais en maître absolu, avec plus de 71 % des suffrages exprimés. Le Syndicat des pilotes d’Air France (Spaf), deuxième syndicat représentatif avec 11,51 % des voix, s’est depuis rapproché de l’UNPL et d’une troisième organisation, Alter (rattaché à Solidaires), pour faire contrepoids. Mais cette alliance toute neuve doit encore trouver son équilibre. « Il faut que ça fonctionne, sinon la voix des salariés qui ont voté pour nos organisations ne sera plus représentée et la démocratie sociale n’en sortira pas gagnante », estime Jean Sautereau.

En fixant à 10 % des suffrages exprimés le seuil pour qu’une organisation syndicale soit représentative, la loi du 20 août 2008 avait pour principal objectif de restaurer la légitimité démocratique des organisations syndicales, fragilisée faute d’adhérents. Depuis 1966, seules la CFTC, FO, la CGT, la CFDT et la CFE-CGC bénéficiaient de la présomption irréfragable de représentativité. Au passage, l’idée était aussi de clarifier un paysage syndical encombré. C’est bien ce scénario qui s’est produit. Dans de grandes entreprises comme la SNCF, le groupe Safran, France Télécom ou EDF, la CFTC ou FO ont disparu. Mais, sur le terrain, la simplification du paysage n’a pas vraiment eu lieu. Alors que les observateurs pensaient que les syndicats allaient construire des alliances pour continuer d’exister, la grande vague de rapprochements n’a pas eu lieu. « L’histoire du syndicalisme français est faite de scissions. Pour les structures syndicales, il était difficile d’encourager les rapprochements en dehors d’alliances qui répondent à des opportunités locales », observe Jean-Christophe Debande, directeur de projet à Entreprise & Personnel. Chez Rhodia, Jean-Christophe Sciberras, le DRH, confirme. « Les petits syndicats ne sont pas allés chercher d’alliance. Ils ont préféré trouver une structure syndicale nouvelle pour renaître. Nous avons ainsi vu l’arrivée de l’Unsa sur certains sites. »

Une nouvelle race de représentants. Surtout, la loi a mis hors jeu nombre de délégués syndicaux qui, pour conserver un rôle, ont été désignés représentants de section syndicale (voir le témoignage de Véronique De Magy, ci-dessus). La loi accorde en effet quatre heures de délégation par mois à cette nouvelle race de représentants qui n’a pas le droit de négocier, mais peut tracter et organiser des réunions syndicales comme les autres. Le nouveau mandat vise clairement à permettre une implantation ; nombre d’organisations n’ont pas hésité à s’en saisir. En Lorraine, Fouad Harjane, le secrétaire régional CNT, se frotte les mains. Ces deux dernières années, il a créé quatre sections syndicales, chez Agco (Massey Ferguson), Ikea, Tnex et Arteca Lorraine (l’établissement public de coopération culturelle). « Début mai, une section CNT doit également voir le jour sur le site PSA de Metz, annonce-t-il. Pour nous, la question de la représentativité n’est pas fondamentale. Si un collectif est fort, représentatif ou pas, il fera bouger les patrons ! » La clarification attendue s’est donc parfois transformée en véritable émiettement. Comme chez Sogeti, filiale de Capgemini.

Onze listes en piste. Lors des élections professionnelles de mars, pas moins de 11 listes se sont affrontées. Face aux organisations traditionnelles, les salariés ont découvert l’Usapie (Union des syndicats et associations professionnels indépendants européens) ou encore l’Usap (Union des syndicats antiprécarité). « En s’affiliant à des unions qui n’existaient pas jusqu’ici dans notre branche professionnelle, de nouvelles organisations ont évité l’obstacle des deux ans d’existence prévus par la loi pour se présenter aux élections », râle Jacques Adoue, le DRH de Capgemini. La SSII a systématiquement contesté ces nouvelles implantations. Sans succès auprès du juge.

Porte d’entrée de ces nouveaux venus : la négociation du protocole d’accord prééléctoral qui se tient en amont des élections professionnelles. « La CFDT est la structure syndicale la plus organisée dans ce domaine, note Cécile Guillaume, chercheuse au laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique du Cnam-CNRS. L’union départementale CFDT du Val-de-Marne s’est par exemple fixé comme objectif de créer 10 sections au travers de la négociation des protocoles. » Chez Latécoère, Pierre Burello, le DRH, a vu pour la première fois l’UD CFTC participer à cette négociation. « Ce syndicat n’existe pas chez nous où FO, la CGC et la CGT sont historiquement implantées. En revanche, il est présent chez Airbus, notre partenaire, et a sans doute voulu tester le terrain », analyse le DRH.

Pour Jean-Christophe Debande, d’Entreprise & personnel, « l’enjeu électoraliste a surtout durci les positions des syndicats et la loi a technicisé les relations sociales ». La préparation en amont des élections professionnelles est devenue un véritable casse-tête pour les DRH, qui doivent faire face à une explosion du contentieux avant et après les élections. Arnaud Bonnet, le directeur des relations sociales de Rhodia, compare la négociation des derniers protocoles d’accord préélectoral (PAP) à une guérilla. « La composition des collèges, le nombre de sièges, la répartition entre les catégories professionnelles, tous ces points ont été très discutés. Sur certains sites, nous avons eu recours à l’administration pour trancher. » Capgemini a mis dix-huit mois pour boucler la négociation du PAP. « La loi nous contraint à saucissonner cette négociation. Par exemple, la discussion sur le recours au vote électronique se fait avec les organisations représentatives ; en revanche, celle sur la définition du périmètre des instances réunit l’ensemble des syndicats présents, représentatifs ou non », pointe Marc Veyron, le directeur des affaires sociales de la SSII.

La radicalisation a aussi été parfois nourrie par les entreprises. Pour s’adapter aux nouvelles règles du jeu et contrer l’implantation syndicale, elles n’ont pas hésité à redéfinir le périmètre des instances représentatives du personnel. « Dès 2010, on a constaté la volonté des entreprises de concentrer leurs IRP et de limiter du même coup le nombre de mandats », indique Cécile Guillaume, coauteure en 2011 d’un rapport sur l’impact des nouvelles règles de la représentativité sur les pratiques et les stratégies syndicales pour la Dares. BNP Paribas est passé en 2008 d’une centaine de comités d’entreprise liés à des groupes d’agences à 10 établissements régionaux. Idem chez Rhodia où Jean-Christophe Sciberras a regroupé plusieurs CE.

Autre source de complication pour les DRH, la nécessité de piloter les relations sociales en tenant compte des différents niveaux de représentativité qui n’existait pas avant 2008. Quand une entreprise multi-site signe un accord au niveau national, il devient plus difficile à transposer dans les établissements où la couleur du DS local n’est pas celle des organisations représentatives. « Au final, les entreprises nous disent que cette loi n’améliore pas le dialogue social, souligne Jean-Christophe Debande. La plus grande complexité est sans doute le prix à payer pour plus de démocratie sociale. Mais la loi n’a pas résolu deux choses : la question des adhérents et celle des vocations. » Le problème reste entier pour les partenaires sociaux.

Véronique De Magy
RSS CFTC à la Caisse d’épargne Loire Centre

“On a perdu notre représentativité en octobre 2011. Jusqu’ici l’accord syndical de la Caisse d’épargne Loire Centre nous octroyait cinq mandats de délégués syndicaux et un mandat de délégué central. Nous disposions de 700 heures de délégation pour faire tourner la section et de 4 200 euros versés par la direction à chaque syndicat. À présent, j’ai quatre heures de délégation avec le mandat de représentant de section syndicale. Je couvre seule six départements et 200 points de vente. N’étant plus représentative, je n’ai plus l’information. Je me sens has been . C’est très frustrant, car la CFTC ne participe plus à rien localement. J’ai beau chercher, je ne vois pas comment animer et développer une section sans moyens. Heureusement, je suis toujours permanente syndicale car j’ai gardé le mandat de trésorière du syndicat CFTC des Caisses d’épargne.”

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy