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Enquête

Le cactus de la relève militante

Enquête | publié le : 04.05.2012 | Stéphane Béchaux

Malgré une image positive, les syndicats peinent à recruter des adhérents et plus encore des militants. Bien souvent, des néophytes se retrouvent aux responsabilités sans la formation nécessaire. Au détriment du dialogue social.

Réunion de section mardi prochain, rendez-vous à la cabine téléphonique… Si aucun délégué syndical n’a jamais convié ses troupes de la sorte, rares sont ceux qui connaissent des problèmes de place. Avec 8 % de salariés encartés – et seulement 5 % dans le secteur privé, très majoritairement dans les grandes entreprises –, la France constitue le plus vaste désert syndical d’Europe. Dans le commerce ou le bâtiment, les taux de syndicalisation n’atteignent même pas 3 %. « Tout le monde ment sur ses effectifs. Dans le commerce, une section moyenne, c’est cinq ou six adhérents. Une belle section, une vingtaine », confie Éric Scherrer, président du Seci CFTC. Des difficultés d’implantation que confirme son homologue cégétiste, Karl Ghazi : « Le syndicalisme s’appuie sur l’action collective. Or, dans certains secteurs des services, comme la restauration rapide, le turnover dépasse les 100 % par an. Les salariés s’en vont, les délégués aussi. » Des 1400 adhérents partis, comme lui, de la CFDT fin 2010 pour rejoindre la CGT, plus des trois quarts ont depuis déserté.

Dans les bastions historiques du syndicalisme comme la métallurgie, la rotation des troupes est moins effrénée. Les syndicats sont parvenus à stopper l’hémorragie du début des années 80 qui les a vus perdre plus de la moitié de leurs adhérents. Mais le paysage a néanmoins radicalement changé. « On est présents dans plus d’entreprises, mais avec des effectifs plus réduits. Cette dispersion améliore notre capacité à rebondir mais fragilise nos sections et complique les successions », commente Dominique Gillier, leader des métallos CFDT. Une tendance observée au niveau national.

Un maillage plein de trous. D’après les chiffres du ministère du Travail, 44 % des salariés déclaraient, en 2005, qu’un syndicat était présent dans leur entreprise, contre 40 % en 1996. Un « paradoxe français », selon la Dares, qui observe que les organisations tricolores « ont un faible nombre d’adhérents relativement aux autres pays européens ou de l’OCDE, mais couvrent assez largement le tissu productif ». Un maillage plein de trous. Car les centrales ne parviennent pas à adapter leur structuration aux mutations de l’activité économique. « Leur déficit organisationnel est immense. Elles ont le plus grand mal à épouser les nouveaux modes d’organisation du travail. Il y a bien des expériences de syndicats multiprofessionnels dans des bassins d’emploi, des sites industriels ou des centres commerciaux, mais le droit du travail ne prévoit pas ces cas de figure », juge Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Ires.

Boudées par les jeunes et les précaires, sous-représentées dans les PME, les organisations hexagonales jouissent pourtant d’un capital sympathie en hausse. « Dans les années Tapie, on pâtissait d’une image exécrable, celle de bolcheviks voulant bouffer du patron. Plus maintenant. Quand on distribue des tracts, on est bien accueillis, les salariés nous soutiennent », approuve un cégétiste de la Fnac. Les résultats des élections professionnelles dans l’Hexagone lui donnent raison : la participation s’y maintient à un niveau élevé, aux alentours de 64 %, et les scores des « sans étiquette » s’affichent en recul sensible. Sauf que cette perception favorable ne se transforme pas en adhésions. « Les salariés ne voient pas au nom de quoi ils devraient dépenser une centaine d’euros chaque année pour une cotisation qui ne leur apporte aucun droit ni avantage supplémentaire. Le premier frein, c’est le prix », affirme Djema Chaïb, délégué syndical FO de Darty Ile-de-France.

Plus individualistes et consuméristes que leurs aînés, les Français n’adhèrent plus guère par conviction, goût du militantisme ou esprit de solidarité. « Certains salariés ont des prédispositions à l’action collective qui vont s’incarner, se cristalliser dans des contextes de travail conflictuels. Mais l’engagement n’est plus jamais automatique ni désintéressé », décrypte la sociologue Sophie Pochic, qui, au travers de ses recherches, a ausculté les cédétistes. Un constat partagé par les militants syndicaux, toutes étiquettes confondues. « Dans 99 % des cas, les gens se syndiquent pour régler un problème individuel. Ils veulent d’abord sauver leurs fesses, pas mener des actions collectives », observe Valérie Pringuez, secrétaire de l’union locale CGT de Roubaix. Comportement extrême, mais très répandu, celui du salarié qui prend une carte pour être défendu gracieusement devant les prud’hommes puis disparaît dans la nature une fois son contentieux réglé.

Rétifs à l’adhésion, les salariés le sont plus encore au militantisme syndical. Hormis pour se protéger, ils ne se bousculent pas pour briguer des mandats dans les instances. Ultrachronophage et de plus en plus technique, la représentation du personnel tient parfois du masochisme. Elle met en danger la carrière professionnelle, déborde sur la vie privée, mine le moral à force de négocier réductions d’effectifs et plans de prévention des risques psychosociaux. Du bénévolat qui, au final, rapporte davantage de coups que de fleurs. « Il est beaucoup plus difficile d’être élu ou délégué syndical aujourd’hui qu’il y a trente ans. Vous devez intervenir sur des sujets très complexes, sur lesquels il est quasi impossible de dégager des positions collectives partagées par tous. Les collègues sont toujours prêts à vous débiner, jamais à s’investir ou à prendre la relève », souligne Gilles Karpman, directeur général du cabinet de conseil en relations sociales Idée Consultants.

Dans les très grandes entreprises, notamment publiques, généreuses en moyens syndicaux, les successions se font encore à l’ancienneté. Barrés par les seniors, qui n’ont guère envie de reprendre une activité opérationnelle après des années de militantisme, les jeunes peinent à accéder aux responsabilités. Partout ailleurs, c’est plutôt l’inverse : en l’absence de concurrence, les bonnes volontés se retrouvent immédiatement bombardées à des postes très exposés. « C’est l’une des grosses plaintes des nouveaux adhérents. Ils sont trop vite aspirés dans des fonctions à responsabilité, sans formation syndicale préalable. On leur demande de faire trop rapidement des choix entre carrière et engagement », observe la sociologue Sophie Pochic. Ce que confirme le cédétiste Dominique Gillier. « Autrefois, les savoir-faire se transmettaient avec le temps. Aujourd’hui, à cause de l’instabilité économique, il est plus difficile d’acquérir de l’expérience. On fait de très gros efforts pour former nos responsables mais il faut sans cesse recommencer », abonde le syndicaliste.

Dans ce contexte, remplir les listes lors des élections CE-DP tourne souvent au casse-tête. Faute de troupes suffisantes, la plupart des syndicats se montrent peu regardants sur les compétences ou la motivation des candidats. Beaucoup en sont même réduits à présenter sous leurs couleurs des salariés lambda, non adhérents. « C’est une erreur. En acceptant de figurer sur votre liste, ces salariés considèrent simplement qu’ils vous ont rendu service. Une fois élus, ils ne font rien », juge Éric Scherrer (CFTC). Peu résistent pourtant à la tentation, à l’heure où la représentativité se mesure dans les urnes. Et tant pis si le dialogue social s’en trouve appauvri. « Dans les instances, vous avez toujours deux ou trois élus qui s’impliquent et tiennent la barre. Les autres regardent passer les trains. Ou, pis, jouent contre leur camp », remarque un consultant. « Les élus n’ont souvent ni le temps ni les compétences pour remplir leur fonction. Certains en viennent à sous-traiter l’exercice de leur mandat à des experts ou à des avocats. Ils ont besoin d’être accompagnés en permanence, y compris dans la définition de leur stratégie et la construction de leurs revendications », complète Valérie Pérot, experte auprès des CHSCT pour le cabinet Aepact.

Un dialogue qui tourne à vide. Peu portés sur les relations sociales, la plupart des dirigeants se satisfont du fonctionnement très imparfait de leurs instances. Voire y contribuent en décourageant les bonnes volontés, quand bien même ils se privent ainsi d’un utile lieu d’échanges et de remontées du terrain. Mais certains DRH s’inquiètent des conséquences de ce dialogue social à la française, qui tourne de plus en plus à vide. « À tort ou à raison, notre système est conçu pour fonctionner dans la confrontation et le compromis. Ce qui nécessite d’avoir des élus bien formés, soutenus, représentatifs. À défaut, ceux-ci s’arc-boutent sur le respect formel du droit du travail, sans se soucier de ce que cela apporte aux salariés », explique Philippe Canonne, DRH des parfumeries Sephora. « Les directions ne peuvent pas dialoguer en direct avec les salariés, elles ont besoin de partenaires sociaux qui les représentent réellement. Quand le renouvellement ne s’opère pas, on tombe dans un syndicalisme de protection, de corporatisme. Avec des militants qui ne cherchent pas à négocier les évolutions, mais à conserver leur place et leur rôle », enchérit le DRH Europe d’une compagnie d’assurances. « Sans présence syndicale, vous prenez le risque d’avoir un management hors des clous. Avec des contre-pouvoirs de bon niveau, vous gagnez au contraire en professionnalisme et en efficacité », conclut Alain Mauriès, DRH des Verreries Pochet. Un plaidoyer pour le dialogue social qui n’a guère cours aujourd’hui dans l’Hexagone.

Christophe Hiou
Secrétaire général du syndicat CGT de la raffinerie Total de Donges (Loire-Atlantique)

“Je suis venu au syndicalisme en arrivant à Donges. J’ai adhéré à la CGT. La section était à l’image de la pyramide des âges du site. Beaucoup de quinquas mais aussi une bande de jeunes trentenaires. Jacky Le Guennec, l’ancien secrétaire général, a pensé à moi lorsqu’il a préparé son départ en retraite. Je l’ai fait mariner pendant six mois avant d’accepter en 2006. C’est une décision difficile. J’avais peur et aussi besoin du soutien d’autres militants. Jacky m’a formé pendant six mois. Mais tant que vous n’êtes pas seul aux commandes, finalement, vous ne savez pas faire. Charly Foulard, l’ancien DSC du groupe Total, m’a aussi servi de tuteur. C’est une responsabilité de diriger un syndicat sur un site classé Seveso II. Ces deux hommes ont été mes pères syndicaux. J’avais 32 ans à l’époque. Les responsables syndicaux des autres raffineries ont tous vingt ans de plus que moi. Au début, ils me le faisaient sentir – sur le mode « jeune, tu sais pas ». Ça fait deux ans que je prépare à mon tour ma succession. J’ai des appels du pied pour prendre des responsabilités au iveau national chez Total.”

Christophe Hiou est le personnage principal du documentaire Bleu pétrole, de Nadège Trébal (sortie nationale le 30 mai).

Farida Khelifi
Déléguée syndicale CGT d’ID Log (filiale logistique d’Okaïdi) et secrétaire adjointe de l’union locale de Roubaix

“Dans le commerce, c’est très mal perçu de dire qu’on est syndiqué, on peut se faire virer. Chez ID Log, je suis la bête noire de la direction. Elle essaie de m’isoler en me mettant au placard mais ça ne m’empêche pas d’avoir des adhérents et des élus. À mon sens, un délégué syndical qui dit être bien vu par sa boîte, c’est qu’il fait mal son travail. Le matin, de 6 heures à 13 heures, je suis à l’entrepôt ; l’après-midi, de 14 heures à 18 h 30, je reçois des salariés à l’union locale. Ça me fait des semaines de soixante heures. En général, les gens viennent nous voir parce qu’ils ont des problèmes. On fait beaucoup de psychologie, on est des assistantes sociales.

Auteur

  • Stéphane Béchaux