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“Les salariés ont besoin d’être valorisés”

Actu | Entretien | publié le : 04.05.2012 | Éric Béal

Alors que l’argent n’est pas le moteur de la motivation de la plupart des salariés, deux sur trois ont une rémunération individualisée. Une source de désengagement dans bien des cas, d’après ce chercheur.

Selon vos recherches, la rémunération ne joue pas un rôle important dans la motivation au travail. Comment l’expliquer ?

Nous avons soumis un millier de salariés – employés, ouvriers, techniciens, agents de maîtrise, cadres – à une centaine de questions sur leur perception de pratiques managériales quant à la rémunération et à la motivation au travail. Il en ressort que seulement 6 à 8 % des variations de la motivation au travail peuvent être expliquées par les systèmes et les montants de rémunération. Celle-ci n’exerce pas d’effet de levier. Elle est plutôt un outil d’accompagnement d’une politique RH et d’un projet d’entreprise et n’a pas la capacité à résoudre à elle seule les problèmes de productivité, de qualité, de performance, de réactivité ou de créativité posés à l’entreprise.

À quoi peut-on s’attendre quand on modifie la rémunération des salariés ?

Quand vous accentuez l’individualisation des rémunérations, vous parvenez à modifier le comportement de certaines populations : les commerciaux, les traders ou les financiers. Pour ces professions, l’argent gagné est un facteur primordial de motivation, et la compétition est une valeur importante. Mais, dans un grand nombre de métiers, l’engagement des salariés est lié à leur sentiment d’être utiles, à leurs valeurs ou à l’intérêt intrinsèque de leur activité. La rémunération individualisée est deux fois moins efficace pour motiver cette seconde catégorie de salariés, qui s’attache en revanche à l’équité et à la procédure d’attribution des éventuelles augmentations individuelles et des primes.

Comment l’individualisation des rémunérations peut-elle impacter positivement la motivation des salariés ?

Les récompenses financières doivent s’accompagner d’encouragements réguliers. Les salariés sont très sensibles à la considération dont on fait preuve à leur égard, à la courtoisie et au respect qui leur est témoigné. Ils ont besoin d’être valorisés. Le système de rémunération ne doit pas être perçu comme un mécanisme de contrôle de leurs décisions et comportements, mais comme un encouragement à progresser. Il doit aussi se doubler d’une communication transparente sur les objectifs, les résultats, les succès et les échecs. Mais peu de cadres sont formés pour accompagner leur équipe de cette manière. Or si le management n’est pas à la hauteur, l’individualisation des rémunérations provoque de la démotivation.

De quelle manière ?

Chez les salariés qui ne sont pas principalement motivés par l’argent, cela peut engendrer des perturbations : sentiment de perte d’autocontrôle, effet d’éviction puis mal-être au travail et turnover. Dans un premier temps, les gens se prennent au jeu et se mettent la pression pour répondre aux exigences. Puis l’ambiance se détériore. Le management par objectif pousse les salariés à se concentrer sur leur mission personnelle et à laisser tomber la convivialité. Finalement, un cercle vicieux se met en place, uniquement régulé par le départ des salariés épuisés par le système et leur remplacement par de nouveaux embauchés.

Pourquoi une majorité d’entreprises indi­vi­dualisent-elles alors les rémunérations ?

Le modèle de GRH a connu un renversement au cours des années 80. Les organisations bureaucratiques, dominantes dans les grandes entreprises, arrivaient à bout de souffle. Dans ce contexte, la théorie de l’agence, qui relie la motivation des managers au contrat signé avec les actionnaires et aux récompenses financières qu’il prévoit en cas de bonne gestion, a beaucoup influencé les dirigeants. Les managers ont appliqué ce type de relation à leurs proches collaborateurs, puis petit à petit à l’ensemble des salariés. C’est devenu une nouvelle norme de bonne gestion.

La crise n’incite-t-elle pas les entreprises à revenir aux augmentations générales ?

Les annonces actuelles vont dans ce sens, mais il faudra attendre l’enquête de l’Insee sur 2010 pour tirer des conclusions. Si cette tendance se confirmait, elle pourrait s’expliquer par la réduction des budgets imposée aux DRH. Elle aboutit à des augmentations individuelles minimes qui décrédibilisent le dispositif et suscitent des tensions. Dans ces conditions, mieux vaut mettre l’accent sur les récompenses non financières, la qualité du dialogue sur les objectifs individuels, le feed-back en matière de compétences ainsi que la formation. En outre, les augmentations générales préservent la bonne ambiance et le travail d’équipe, qui sont des atouts précieux face à la crise.

PATRICE ROUSSEL

Directeur du Centre de recherche en management à l’université Toulouse 1 Capitole, responsable du master Management international des RH et professeur de GRH.

Il a notamment publié

Comportement organisationnel, vol. 3 : théories des organisations, motivation au travail, engagement organisationnel, avec J. Rojot et C. Vandenberghe (éditions De Boeck, 2009).

Auteur

  • Éric Béal