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Politique sociale

Conseillers ministériels : le grand mercato est lancé

Politique sociale | publié le : 01.04.2012 | Sabine Germain

À chaque élection, les conseillers ministériels se mettent en quête de postes où se recaser au cas où leur patron ne serait pas reconduit. L’hypothèse d’une alternance dope cette fuite des cerveaux.

Il est des cas emblématiques : Anne-Sophie Bordry, passée sans transition du cabinet du ministère de l’Économie numérique à Facebook France, où elle est chargée, depuis novembre 2010, du lobbying ; Michel Guilbaud, directeur de cabinet d’Hervé Novelli, devenu directeur général du Medef en mai 2010, cinq mois avant que son mentor quitte le secrétariat d’État au Commerce, à l’Artisanat et au Tourisme ; Jean-Jacques Kégelart, Benoît Parayre et Jérôme Peyrat, ex-conseillers, respectivement, de Brice Hortefeux, Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet, recasés fin 2011 à l’Inspection générale de l’administration du développement durable ; Lola Bourget, passée il y a tout juste un an du ministère des Sports (où elle a conseillé Rama Yade et Chantal Jouanno) au service des sports de Canal Plus ; ou François Molins, directeur de cabinet du garde des Sceaux Michel Mercier, dont l’arrivée au poste de procureur de Paris a fait grand bruit, en novembre dernier…

Depuis un an, des dizaines de conseillers – on parle de 60 à 70 – ont déserté les cabinets ministériels pour trouver un poste plus pérenne à l’approche de l’élection présidentielle. « Cette migration n’a rien d’exceptionnel, tempère Isabelle*, qui cumule cinq ans d’expérience en cabinet, entrecoupés de passages en entreprise. On peut même dire qu’elle est aussi saisonnière que la migration des cigognes : à l’approche de chaque élection pouvant potentiellement déboucher sur un remaniement ministériel, les conseillers activent leur réseau pour trouver un nouveau point de chute. » Car l’emploi de conseiller est aussi précaire que celui de ministre : « Le jour de mon arrivée, les fonctionnaires du ministère m’ont clairement fait comprendre que je ne faisais que passer alors qu’ils resteraient après mon départ », sourit Laurent, six ans d’expérience auprès de deux ministres. De fait, il a dû faire ses cartons le jour où « son » secrétaire d’État a été promu ministre, décidant de changer du même coup de bureau, de mobilier et d’équipe. « Certains conseillers apprennent que leur ministre est congédié – donc qu’ils perdent leur emploi – par une dépêche AFP, ajoute-t-il. C’est raide… »

L’approche de l’élection présidentielle ne simplifie pas la donne. Parce que l’alternance pourrait mettre la totalité des cabinets sur le carreau. Parce que près de 50 conseillers ont déjà été débarqués il y a dix-huit mois, quand le président de la République a décidé de mettre les cabinets ministériels à la diète : pas plus de vingt collaborateurs pour un ministre et de quatre pour un secrétaire d’État. Et, enfin, parce que la conjoncture n’est pas franchement porteuse : les grandes entreprises, qui n’ont jamais hésité à rendre service à des ministres en offrant un poste et un bureau à leurs conseillers, n’ont plus vraiment les moyens de se payer ce genre de fantaisie. Hormis peut-être EDF, qui vient de recruter la nièce et ancienne chef de cabinet de Michèle Alliot-Marie pour lui confier ses relations institutionnelles ! « En recrutant un ex-conseiller ministériel, les entreprises achètent un carnet d’adresses et un pouvoir d’influence, commente Louise, qui a précisément rejoint un groupe de services après avoir passé cinq ans en cabinet. Mais que vaudra l’influence d’un conseiller de droite si le pouvoir passe à gauche ? »

À 80 % issus du secteur public. Sur les quelque 500 conseillers ministériels, auxquels s’ajoute la quarantaine de conseillers appointés par l’Élysée, environ 80 % sont issus du secteur public. « En général, les postes dits techniques sont occupés par des fonctionnaires, explique Laurent. Pour traiter le dossier de l’apprentissage, par exemple, on va chercher un expert du sujet à la Direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle. » En revanche, les postes plus « politiques » (directeur de cabinet, communication, relations avec le Parlement) sont confiés à des contractuels proches humainement et politiquement du ministre. « Il est essentiel d’avoir cette connivence avec son ministre pour porter ses idées », explique Louise. Laurent a poussé son engagement politique jusqu’à décrocher un mandat d’élu local sous l’étiquette UMP. Mais il a croisé des conseillers plus versatiles : « En 2007, les six ministres d’ouverture [NDLR : Bernard Kouchner, Éric Besson, Jean-Pierre Jouyet, Martin Hirsch, Jean-Marie Bockel, Fadela Amara] ont fait venir des conseillers de gauche dans leur cabinet. Certains d’entre eux n’ont eu aucun mal à se recaser dans des cabinets de droite par la suite. »

Un passage en cabinet permet généralement de se constituer un joli carnet d’adresses dans le public aussi bien que dans le privé

Un gros budget salaires. Auteure, en 2007, d’un rapport sur la composition des cabinets ministériels pour la Fondation Ifrap, le think tank libéral qu’elle dirige, Agnès Verdier-Molinié aimerait y voir davantage de conseillers issus du privé. Si les fonctionnaires sont largement majoritaires, c’est, selon elle, pour une raison purement économique : « Les conseillers issus de la fonction publique restent rémunérés par leur administration d’origine. Le ministère ne leur verse qu’une prime de cabinet, variable d’un cabinet à l’autre. En revanche, le salaire des contractuels est entièrement porté par le ministère. » Pour atteindre la parité public-privé, par souci de transparence et pour responsabiliser les ministres, Agnès Verdier-Molinié plaide depuis 2007 pour que les conseillers soient tous rémunérés par le ministère qui les emploie. En vain, jusqu’à présent.

Et pour cause : alors que les ministères sont priés de se serrer la ceinture, la masse salariale de leur cabinet représente un budget considérable. Le député socialiste René Dosière, qui a fait du train de vie de l’État sa spécialité, a établi une échelle de rémunération des conseillers : de 4 477 euros net mensuels pour un jeune conseiller dans un secrétariat d’État et 4 876 euros pour le même jeune dans un ministère, jusqu’à 9970 euros pour les cadors d’un secrétariat d’État et 11 235 euros pour les éminences grises d’un ministre. « Bien qu’élevées, les rémunérations des conseillers au gouvernement demeurent très inférieures à celles accordées par l’Élysée, explique René Dosière. En 2008, la rémunération nette (primes incluses) des cinq conseillers les mieux payés était de 16 479 euros par mois : près de 50 % de plus. »

Grassement payés, les conseillers ? Compte tenu de leur niveau de qualification et de leur engagement, ces émoluments n’ont rien d’extravagant : « En cinq ans de cabinet, j’ai l’impression d’avoir travaillé 24 heures sur 24, et je n’ai jamais pris plus de deux semaines de congé par an », explique Louise, qui ne se remet toujours pas de s’être vu demander par l’administration de restituer les deux semaines de salaire trop perçu alors qu’elle a dû quitter son poste sans préavis en milieu de mois. Elle en garde néanmoins le souvenir de la période la plus exaltante de sa vie professionnelle. Laurent n’a pas la même nostalgie : « J’ai beaucoup aimé ces années de cabinet, mais j’ai eu envie de passer à autre chose. Pour anticiper une éventuelle alternance et par peur d’être catalogué “conseiller ministériel à vie”. »

Hormis quelques hauts fonctionnaires, qui grenouilleront toute leur vie dans les antichambres ministérielles, les carrières en cabinet sont relativement courtes : guère plus de cinq à huit ans auprès de trois ou quatre ministres. Quant au cursus, il est généralement très formaté : une écrasante majorité de Sciences po mâtinée d’une bonne dose d’énarques. Certains ministres n’ont pas peur des profils plus atypiques : Laurent Wauquiez ou, précédemment, Jean-Pierre Raffarin, par exemple. Chez Jean-François Copé, en revanche, mieux vaut être du sérail.

Des réseaux étoffés. Le jour où ils doivent rebondir dans le secteur privé, les conseillers ministériels n’ont qu’une solution : faire fonctionner leur réseau. Ça tombe bien : un passage en cabinet permet généralement de se constituer un joli carnet d’adresses dans le public aussi bien que dans le privé. « Quelques ministres, soucieux de l’avenir de leurs collaborateurs, n’hésitent pas à multiplier les coups de fil pour leur trouver un point de chute », observe Pierre. D’autres s’en lavent les mains. Les conseillers n’ont alors plus qu’à multiplier les candidatures spontanées auprès d’ex-collègues passés eux aussi dans le privé ou auprès de sociétés avec lesquelles ils ont été amenés à traiter certains dossiers. Cibles privilégiées : les états-majors de grandes entreprises et les départements « affaires publiques » des grosses agences de communication.

À défaut de cabinets de recrutement spécialisés, il existe des réseaux plus ou moins formels destinés à aider les conseillers à rebondir : La Bulle, fondée par Jean-Marie Caillaud (actuellement en poste au cabinet du ministère du Développement durable), est le plus actif, avec environ 300 membres ; le réseau Richelieu, très présent sous l’ère Chirac, s’est un peu assoupi ; Connexion parlementaire est, comme son nom l’indique, plutôt destiné aux collaborateurs des députés et des sénateurs…

À l’approche de l’élection présidentielle, tous les réseaux s’activent : chacun est conscient qu’en cas d’alternance il sera difficile de rebondir. Pour les conseillers contractuels, qui cherchent un poste dans le privé. Mais aussi, pour la première fois, pour les fonctionnaires : jusqu’à présent, le passage en cabinet a toujours fait office d’accélérateur de carrière dans la fonction publique. La mise en œuvre de la RGPP et le non-remplacement d’un fonctionnaire parti à la retraite sur deux risquent de rendre certains retours au bercail difficiles. « Les fonctionnaires peuvent effectivement avoir du mal à retrouver un poste intéressant, mais au moins ils sont payés », ironise un ex-conseiller du cabinet du secrétariat d’État à l’Emploi qui, quelques mois après avoir finalisé la création de Pôle emploi, a dû aller pointer à l’agence la plus proche de chez lui…

* Tous les prénoms ont été changés à la demande des conseillers qui n’ont accepté de témoigner qu’anonymement.

Quand la fiction s’en mêle

À défaut de réellement me faire toucher l’histoire en marche, mes cinq ans d’expérience dans deux grands cabinets ministériels m’ont permis de soulever un coin du rideau et de mieux comprendre les coulisses du pouvoir », explique Louise. Soulever ce coin de rideau : c’est ce que la fiction propose désormais à des Français passionnés de politique. La BD Quai d’Orsay, qui relate les tribulations d’un jeune conseiller chargé de rédiger les discours d’un garde des Sceaux ressemblant étrangement à Dominique de Villepin, le téléfilm « les Hommes de l’ombre » et son combat de deux conseillers en communication pour gagner une élection présidentielle, ou le film l’Exercice de l’État et les désillusions d’un ministre des Transports et de son directeur de cabinet contraints de se convertir à la Realpolitik ont séduit des Français longtemps privés de fictions réalistes et contemporaines « à l’anglo-saxonne ». « Ces histoires, très documentées, restituent bien la vie d’un cabinet, estime Pierre (sept ans d’expérience dans trois cabinets). Seule l’échelle de temps m’a semblé peu réaliste. Il a sans doute fallu accélérer le tempo pour les besoins de la dramaturgie. » Lors de la dernière cérémonie des Césars, Michel Blanc, le directeur de cabinet de l’Exercice de l’État, a été récompensé alors qu’Olivier Gourmet, le ministre, est reparti bredouille. « Un pied de nez à Nicolas Sarkozy qui cornaque ses ministres avec des directeurs de cabinet surpuissants », s’amuse un journaliste politique…

Quai d’Orsay, de Christophe Blain et Abel Lanzac, éditions Dargaud, tome I, paru en mai 2010, tome II, paru en décembre 2011. « Les Hommes de l’ombre », série en six épisodes diffusés en janvier et février 2012 par France 2.

L’Exercice de l’État, film de Pierre Schoeller, sorti en octobre 2011.

5 à 8 ans en moyenne : on ne fait pas longtemps carrière dans les cabinets ministériels.

Auteur

  • Sabine Germain

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