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Idées

Faut-il interdire les licenciements “boursiers” ?

Idées | DÉBAT | publié le : 01.04.2012 |

La chambre sociale de la Cour de cassation examinera le 11 avril le pourvoi formé par la société Viveo, spécialisée dans les logiciels bancaires, qui avait vu son PSE annulé le 12 mai 2011 par la cour d’appel de Paris pour absence de motif économique. Une décision très attendue…

Pascal Lokiec Professeur à l’université de Paris Ouest-Nanterre-la Défense.

Efficace d’un point de vue médiatique, le concept de licenciement boursier devient réducteur si l’on entend par là ceux dictés par la volonté d’augmenter le cours de l’action. Bien sûr, on peut concevoir un régime plus strict pour ces licenciements particulièrement choquants dans un contexte de crise. Mais il semble plus pertinent de raisonner à partir de la catégorie, plus large, de « licenciement d’économie », qui regroupe ceux dictés par une volonté de réduire les coûts. Or si ces licenciements sont illégitimes, c’est-à-dire sans cause réelle et sérieuse, ils sont parfaitement possibles dès lors que l’entreprise est prête à payer en cas d’action en justice. Et même encouragés par une certaine doctrine qui prône la violation de la règle de droit lorsque le bilan coûts/avantages est positif.

Que faire contre cette logique particulièrement discutable dès lors que, derrière les suppressions d’emplois, des personnes sont visées ? L’enjeu ne se situe pas tant sur le terrain de la règle de droit qui condamne les licenciements d’économie, que sur celui des sanctions. Une première solution consiste à augmenter le coût des licenciements, mais elle achoppe sur la difficulté à définir le montant adéquat, qui dépend notamment de la capacité financière des entreprises. Des propositions nouvelles ont été faites pour renchérir l’impact financier du licenciement qui consistent à exiger le remboursement des subventions publiques perçues par l’entreprise ou à lier marque et territoire pour lutter contre les délocalisations. Sans nier l’impact de telles mesures, une interdiction constitue le seul moyen véritable pour éviter la violation efficace du droit du licenciement. La question de la nullité entre alors dans le jeu, avec pour obstacle les dispositions étriquées du Code du travail qui ne le prévoient qu’en cas d’absence ou d’insuffisance du PSE. Il suffit pour l’entreprise qui licencie des centaines de salariés sans motif économique de présenter un PSE conforme pour que son projet ne puisse être remis en cause ! À moins que la Cour de cassation ne suive le raisonnement initié par la cour d’appel de Paris et n’admette que la procédure de licenciement pour motif économique est nulle ou inexistante en l’absence d’un tel motif. On comprend, aux réactions passionnées qu’a suscitées cet arrêt, que les enjeux sont tout autant juridiques que politiques !

Pierre Ferracci Président du Groupe Alpha.

Au-delà d’une réflexion sur le pouvoir des juges dans l’affaire Viveo, qui fait l’objet de débats passionnés, on peut légitimement s’interroger sur l’avenir de la négociation collective lorsque les entreprises et les salariés sont confrontés à des restructurations. On peut également se demander si on ne se trompe pas de chemin en laissant entendre que l’amélioration de la compétitivité de notre économie passe par un surcroît de déréglementation du marché du travail. Depuis 2008, la montée en puissance des ruptures conventionnelles, dont une part essentielle a une origine économique, le développement de plans de départs volontaires et la mise en œuvre d’accords de GPEC, parfois de qualité bien médiocre, ont fortement relativisé le poids des PSE. À conjoncture équivalente, ils sont en recul très net. Pourtant, au travers d’accords de méthode souvent décriés, la négociation sur le fond et la forme des restructurations avait progressivement pris le pas sur une information-consultation bien formelle et désuète. De vrais débats sur la pertinence des motifs économiques ont eu lieu. Et si on peut comprendre qu’il ne faut pas attendre d’affronter des difficultés extrêmes dans l’entreprise pour procéder à des mesures d’ajustement, on ne peut se satisfaire que la notion de compétitivité soit utilisée de façon arbitraire et sans débat contradictoire pour justifier n’importe quelle restructuration. Ce qui est donc en jeu aujourd’hui, c’est de savoir si on veut laisser une place à un dialogue social constructif et à la négociation pour arrêter le principe et les modalités d’une restructuration. La crise a remis en cause bien des certitudes. Tous les dirigeants d’entreprise n’ont pas la même conception de la compétitivité et des normes de rentabilité qui l’accompagnent. Ne pas créer les conditions d’un vrai débat contradictoire dans l’entreprise avant de prendre des décisions lourdes de conséquences pour les salariés, c’est aussi provoquer une profusion de démarches procédurales. Il ne faut pas, ensuite, s’étonner que les juridictions compétentes prennent une place que l’absence de dialogue et de négociation leur a donnée.

Enfin, alors que le marché du travail a vu son fonctionnement s’assouplir considérablement, réclamer, comme le font certains, une totale liberté de manœuvre, c’est se tromper sur les ressorts de la compétitivité de nos entreprises et de notre économie.

Jean-Jacques Gatineau Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Deux bonnes raisons de modifier le droit du licenciement, qu’il faut rendre plus accessible économiquement et juridiquement. I° Les obstacles économiques et juridiques posés aux employeurs qui doivent – c’est parfois vital – licencier sont tels que ces licenciements soient deviennent impossibles, soient sont voués à une annulation gravement préjudiciable pour l’employeur. Le coût d’une procédure de licenciement économique est prohibitif pour une entreprise qui connaît de réelles difficultés financières. Les plans sociaux et leur cortège de mesures d’accompagnement ne sont à la portée que d’entreprises en réelle bonne santé financière, c’est-à-dire celles qui sont seulement dans l’obligation de prendre des mesures préventives afin de préserver leur compétitivité menacée. À ce coût prohibitif vient s’ajouter une insécurité juridique grandissante, à l’instar de l’arrêt Viveo, où les avocats comme les magistrats rivalisent d’imagination pour assurer la meilleure protection possible des salariés, au prix de la mise en péril des autres emplois que le licenciement économique avait pour but de protéger.

Comment être sûr, par ailleurs, d’avoir choisi le bon périmètre d’analyse des difficultés économiques ? Comment garantir que les tentatives de reclassement ont été suffisamment personnalisées ? Comment être assuré que toutes les propositions possibles et imaginables de reclassement ont été faites aux salariés dont le poste était supprimé ? L’insécurité juridique est la même en matière de licenciement pour motif personnel. À ce sujet, on ne peut que s’inquiéter du développement de ce concept d’irrégularité ayant « nécessairement » causé un préjudice. Les conséquences en sont connues : il n’y a plus de plans sociaux et les licenciements même les plus justifiés sont systématiquement contestés. II° Pour limiter les contentieux inutiles et pour permettre le juste recours aux procédures de licenciement, il conviendrait de les sécuriser en évitant des chausse-trapes que seuls les juristes de droit social blanchis sous le harnois sont capables d’éviter. À cet égard, pourquoi créer de nouveaux concepts – telle la nullité – quand le législateur ne l’a pas prévu. Il est inutile de multiplier les indemnités pour des irrégularités formelles qui n’ont causé aucun préjudice. Il faudrait envisager de mutualiser le coût des licenciements économiques en réservant un recours contre les employeurs qui détournent les procédures de leur finalité.