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Les MBA résistent à la crise

Dossier | publié le : 01.04.2012 | M. K.

Les fameux cursus en management restent des outils de fidélisation et des accélérateurs de carrière prisés des entreprises. Mais celles-ci durcissent leurs conditions de financement et la sélection des candidats.

Lorsque la conjoncture est mauvaise, que les perspectives s’assombrissent, est-ce vraiment le moment d’offrir un MBA à 50 000 euros à ses cadres les plus prometteurs ? Guillaume de Blic en est convaincu, car s’il a eu la chance de décrocher un MBA, c’est un peu grâce à la crise de 2009 : « De nombreuses entreprises changeaient leurs équipes de direction commerciale pour essayer de relancer les ventes et, comme j’avais de bons résultats, des opportunités se présentaient à moi », explique-t-il. Pour le garder, son entreprise lui a offert cette formation à l’IAE d’Aix-en-Provence, en contrepartie d’un engagement à rester au moins deux ans. Savoir fidéliser ses éléments les plus performants dans les moments difficiles est bien sûr important, mais de là à faire exploser son budget formation… « En réalité, l’impact est marginal, car les MBA ne concernent que de trois à cinq personnes par an sur 10 000 salariés, explique Thierry Guérin, DRH de Renault Trucks. Si on estime qu’un collaborateur a besoin de cette formation pour devenir directeur d’usine ou directeur de filiale, nous la finançons. » La conjoncture a donc peu d’incidence sur ce type d’achat alors que le constructeur de poids lourds a suspendu d’autres formations entre 2009 et 2011 pour des raisons budgétaires.

Pour Merlane, PME spécialisée dans le conseil RH et la formation, crise ou pas crise, il faut investir : « On ne peut pas attendre, car c’est notre cœur de métier, souligne Jean-Claude Merlane, le P-DG, qui a payé un MBA à 12 de ses 100 collaborateurs. Et c’est un bon investissement car les gens en sortent transformés, ils acquièrent une vision stratégique, gagnent en compétences techniques et en gestion business. » Encore faut-il en avoir les moyens, car les tarifs des MBA varient en France de 16 000 euros à l’IAE de Paris à 45 000 euros à l’École des ponts et chaussées, et jusqu’à 90 000 euros pour le plus cher, celui de HEC. L’une des solutions est de trouver des cofinancements. Par exemple, le fonds de formation Fafiec finance 70 % des 30 000 euros que coûte le Management Consulting MBA de l’ESC Toulouse, programme créé à la demande de la branche Syntec. Mais, en dehors de ce cas précis, les financements ne courent pas les rues pour ces formations généralistes et non reconnues par l’État et qui, à ce titre, ne sont pas la priorité du Fongecif ni celle des Opca. Ainsi, le même Fafiec a décidé en 2009 de plafonner son financement à 10 000 euros pour un MBA au titre de la professionnalisation et, depuis, enregistre une forte baisse des demandes, peut-être aussi liée à la conjoncture.

« Plus de MBA pour faire plaisir ». Du coup, en période de crise, on investit, certes, mais pas sur n’importe qui. La sélection des candidats devient draconienne. Ainsi, la banque Natixis a, depuis deux ans, renforcé son processus de sélection des trois ou quatre heureux élus. « Auparavant il n’y avait pas de règle très précise pour accorder un MBA à un collaborateur, explique Blandine Jamin, DRH ; aujourd’hui on veut être sûrs de promouvoir les bonnes personnes. On regarde si le MBA peut déboucher sur une évolution de carrière dans les deux ans au sein du groupe, clairement identifiée par les RH. » Et si ce n’est pas le cas, si le projet ne convainc pas, si l’employeur ne perçoit pas de retour sur investissement rapide, il s’agit alors d’une démarche personnelle que le salarié devra financer lui-même. « Aujourd’hui, on n’offre plus un MBA seulement pour faire plaisir à quelqu’un, constate William Hurst, directeur de la formation continue à l’EM Lyon. La formation doit désormais s’inscrire dans un projet commun, partagé par l’entreprise. »

Marius Billand l’a bien compris. Directeur qualité au centre de formation de La Poste, il a souhaité évoluer vers une fonction de direction plus généraliste et n’a pas ménagé ses efforts pour décrocher son MBA. Après une batterie de tests et d’entretiens qui lui ont permis d’intégrer le « vivier de cadres à potentiel » de son entreprise et d’être suivi par un référent, il a élaboré son projet professionnel en soulignant bien l’intérêt de la formation pour lui et surtout pour l’entreprise. « Dans le cadre de mon MBA à l’Edhec j’ai réalisé une mission de conseil pour La Poste consistant à redéfinir la stratégie de formation de la direction courrier, donc mon employeur a eu un retour sur investissement immédiat. » Et, six mois après, Marius Billand devenait directeur d’un établissement de gestion du courrier. Engagement tenu, donc, de part et d’autre.

« Le fait de bien définir en amont à quoi va servir le MBA permet d’éviter les déceptions et les frustrations », ajoute Benoît Arnaud, directeur d’Edhec Executive. Mais ne suffit pas toujours à obtenir un financement total de l’employeur. Sur une promotion d’executive MBA, seule une minorité d’étudiants sont subventionnés à 100 % par leur entreprise, et cette proportion est en baisse depuis trois à quatre ans. Les écoles sont unanimes sur ce point : dans un contexte de crise, le coïnvestissement est devenu quasi systématique. « L’entreprise attend une implication du salarié, lui demande d’utiliser son DIF, ses RTT, de payer les frais de déplacement, voire une partie des frais d’inscription », note Bertrand Moingeon, directeur général adjoint de HEC. C’est le cas de STMicroelectronics, leader sur le marché des semi-conducteurs, qui continue à former une dizaine de cadres en MBA tous les dix-huit mois, mais ne finance jamais en totalité : « On demande toujours au salarié d’en payer la moitié, car cette formation est une valeur ajoutée pour lui, même quand c’est un projet partagé par l’entreprise », souligne François Suquet, DRH du département de recherche et développement.

De plus en plus d’étudiants en MBA autofinancent donc tout ou partie de leur formation. Thierry Coudent est de ceux-là. Ingénieur chimiste au sein du laboratoire pharmaceutique Lilly France, responsable d’un service depuis sept ans, il se sentait bloqué dans son poste et ne parvenait pas à évoluer. Après un bilan de compétences, il se décide pour le MBA des Ponts et Chaussées. Mais il ne figurait pas dans les revues de talents, et son employeur ne l’a pas suivi. « Sur un coût total de 39 000 euros je n’ai obtenu que 5 500 euros par le DIF et je dois prendre un jour de congé toutes les deux semaines pour suivre la formation. » Un sacrifice qui commence à payer néanmoins puisque, avant même la fin de son MBA on lui a proposé une mission de chef de projet. « Ce n’est pas encore une promotion mais c’est un tremplin pour évoluer ensuite. Ma direction a vu que j’étais motivé ; je vais finir par être identifié comme un potentiel intéressant », ajoute-t-il, confiant. Un nombre croissant d’étudiants, salariés ou en reconversion, font ainsi le pari coûteux que le MBA jouera bien son rôle d’« accélérateur de carrière ».

Un marché juteux mais tendu

Les MBA connaissent-ils une baisse de fréquentation liée à la crise ? À l’Edhec, le nombre de candidatures a augmenté de 35 % en deux ans. À HEC aussi, les demandes sont plus nombreuses malgré l’augmentation des tarifs. À l’inverse, l’IGS et l’École des ponts et chaussées avouent avoir plus de mal à remplir leurs promotions. À l’IAE de Paris, l’International MBA se porte bien, mais la formule à plein temps ne fait plus recette. Du coup, pour fidéliser leurs clients, quelques écoles offrent des rabais, les tarifs se négocient. « Cette évolution est moins liée à la conjoncture qu’à un marché des MBA devenu complètement pléthorique », estime Frédéric Wacheux, directeur du Cereq. En effet, l’offre se démultiplie. Ainsi, l’EM de Lyon, qui propose déjà un format week-end, un autre sur trois semaines bloquées, un à temps plein et un en Chine spécialisé dans les télécoms, veut monter encore une nouvelle formule dans cinq lieux à travers le monde. « Sur un marché tendu, il faut savoir se différencier ; or la demande évolue vers des formules plus à la carte et plus internationales », constate Bertrand Moingeon, directeur général adjoint de HEC. Les cursus en anglais avec de nombreux voyages d’études ou des modules à l’étranger marchent bien mais attirent surtout des étudiants étrangers. « La dimension internationale est certes importante, mais pas à n’importe quel tarif », estime Bruno Guirado, directeur de la formation chez Natixis. Les entreprises accordent de l’importance à la notoriété de l’école, mais regardent aussi les aspects pratiques : que ça ne soit pas trop loin et que ça ne prenne pas trop de temps à leur salarié. En période de crise les modules d’entrepreneuriat ont la cote car les MBA comptent davantage d’étudiants en reconversion professionnelle ou en création d’entreprise. Pour faciliter les démarches d’autofinancement, l’Edhec et les Ponts et Chaussées ont mis en place des prêts bancaires à 2 % remboursables sur sept à dix ans. De son côté, l’IGS entend réduire ses coûts en proposant des cursus plus courts avec une partie en e-learning. La plupart des écoles ont des projets de nouvelles formules de MBA pour l’année prochaine, preuve que le marché reste porteur, malgré une concurrence désormais mondiale.

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  • M. K.