logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“Le lobby gris a déjà pris le pouvoir”

Actu | Entretien | publié le : 01.04.2012 | Laure Dumont, Sandrine Foulon

Les seniors ont la force du nombre et le temps de s’investir socialement. L’entre-soi se développe, note la chercheuse, mais il faut éviter les « ghettos de vieux ».

Un enfant sur deux qui naît aujourd’hui sera sans doute centenaire, expliquez-vous dans votre ouvrage Vivre un siècle. Une excellente nouvelle ?

Nous vivons en effet une révolution silencieuse. Jusque dans les années 60, les progrès de la médecine, conjugués avec l’existence d’un État providence, avaient surtout réussi à faire reculer la mortalité infantile. Les études montrent que nous vivons aussi plus longtemps grâce à une baisse de la mortalité aux âges avancés. Sans céder au fantasme de la vie éternelle, les recherches en biologie du vieillissement ouvrent des perspectives encourageantes.

Le monde du travail s’est-il adapté à cette nouvelle donne ?

Pas vraiment. La vieillesse est une notion très relative. On peut considérer qu’il s’agit en fait des dix dernières années de la vie ; le seuil varie selon les individus. Et pourtant nous percevons toujours la vieillesse comme un statut, une construction sociale. Son seuil a été fixé à 60 ans, puis à 65 ans selon une logique économique. Notre système de retraite naît d’un consensus social : le patronat militait pour un abaissement de l’âge du départ à la retraite, les « vieux » étant considérés comme moins productifs, et les syndicats permettaient ainsi à des salariés usés de prendre une retraite bien méritée.

La réforme des retraites a pourtant changé les règles.

Mais dans les faits cela ne fonctionne pas. D’un côté, les salariés partent toujours en moyenne à 57,5 ans. Les préretraites, financées par les entreprises, voire déguisées, continuent… On retrouve le triptyque salariés-employeurs-État qui s’entend pour faire partir les gens plus tôt. Et de l’autre, on donne une vision trompeuse de la retraite. Le débat, archirebattu, est considéré dans les mêmes termes économiques : puisqu’on vit plus longtemps, travaillons plus longtemps ; pour récupérer deux ou trois points de PIB, augmentons la durée de cotisation… Ainsi, on évite le débat sur l’évolution nécessaire des solidarités dans une société qui vieillit, dans un contexte économique différent des Trente Glorieuses, avec des carrières qui ne sont plus homogènes, des trajectoires hachées… Toutes les options de la réforme des retraites et des conséquences pour les individus n’ont été ni explicitées ni discutées.

Comment rétablir l’équilibre ?

En donnant aux gens toutes les cartes pour se déterminer. Les modèles de protection sociale ne sont pas forcément transposables d’un pays à l’autre. Mais si nous choisissons par exemple de conserver notre système par répartition et de privilégier la retraite par points, sans tomber dans les comptes notionnels à la suédoise où chaque génération cotise pour elle, nous pouvons décider collectivement, via des rendez-vous quinquennaux, du niveau de solidarité que nous voulons. Pourquoi cotisons-nous ? Quand je change de travail, l’assurance chômage me permet-elle de me reconvertir ou juste de gagner du temps pour retrouver un emploi dans le même domaine ? Puis-je réellement me former ? Le système manque de souplesse. Je crois beaucoup à l’apport des think tanks et des fondations de recherche qui montent en puissance pour alimenter les débats contradictoires.

Vous évoquez le lobby gris. Redoutez-vous qu’il prenne le pouvoir ?

En quelque sorte, il l’a déjà pris. Simplement parce que les trentenaires et les quadras sont trop occupés à trouver un emploi, un logement, à fonder une famille. Ils n’ont pas le temps de s’investir pleinement dans la vie politique nationale et locale, associative, syndicale… Les seniors ont bénéficié de l’ascenseur social, vivent mieux que leurs enfants. Ces baby-boomers ont d’autres aspirations. Et prennent des décisions qui engagent l’ensemble de la société. Ils ont la force du nombre et si j’ose dire la vie devant eux. Dans les zones comme la Bretagne ou le Midi où ils sont venus s’implanter, on assiste à une réorientation des dépenses publiques vers la construction de maisons de retraite ou des investissements sécuritaires au détriment de crèches.

Comment faire en sorte que jeunes et vieux soient sur la même longueur d’onde ?

Faire de la mixité générationnelle relève d’un mythe similaire à celui de la mixité sociale pour les villes. Ça ne marche pas. On ne forcera jamais riches et pauvres, vieux et jeunes à vivre ensemble. En revanche, on peut permettre à chacun de naviguer entre plusieurs statuts professionnels : c’est sur la notion de mobilité des moins favorisés qu’il faut travailler. Désenclaver certaines zones par un réseau de transports en commun adapté leur permettrait d’aller vers l’emploi. On n’évitera pas l’entre-soi des personnes âgées, à l’image des « Sun Cities » américaines qui émergent en France ; mais, au moins, pour éviter les « ghettos de vieux », laissons jeunes et vieux réinventer la ville par leurs usages et le « vivre ensemble » par leurs rencontres.

HÉLÈNE XUAN

Économiste.

PARCOURS

Directrice scientifique de la chaire Transitions démographiques, transitions économiques de la Fondation du risque, Hélène Xuan vient de publier Vivre un siècle (éd. Descartes & Cie). La fondation réunit des chercheurs de différentes disciplines issus du Centre d’études actuarielles (CEA), de l’Ensae, de Polytechnique et de Paris-Dauphine et est financée par Allianz, Axa, Groupama, la Société générale, Scor, CNP, Médéric et Quatrem.

Auteur

  • Laure Dumont, Sandrine Foulon