logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les ficelles des patrons allemands pour payer moins

Politique sociale | publié le : 01.03.2012 | Thomas Schnee

Afin de baisser les coûts du travail, les employeurs d’outre– Rhin usent à fond de la sous-traitance et de l’intérim. Résultat : un ? monde du travail à plusieurs vitesses.

La modération salariale observée depuis dix ans en Allemagne est-elle la clé de la compétitivité retrouvée ou bien une forme peu solidaire de dumping social ? En tout cas, outre-Rhin, les entrepreneurs semblent yavoirprisgoût.En jouant sur les zones grises de la loi, ils n’hésitent pas à recourir à toutes les méthodes possibles pour faire baisser leurs coûts de production. Dernière en date, l’externalisation de pans entiers de la production confiés à des sous-traitants dont les salariés sont souvent des intérimaires payés jusqu’à 40 % moins cher.

Sur le parking de l’usine BMW de Leipzig, l’une des plus récentes du constructeur, les habits de travail en disent long sur ce modèle économique qui est en train de se développer en Allemagne. La majeure partie des salariés qui pénètrent dans l’usine porte d’impeccables bleus de travail, frappés du logo BMW. Mais une autre partie, non négligeable, arbore les logos de l’équipementier français Faurecia, de SAS, issu d’un joint-venture entre Faurecia et Continental, du spécialiste du transport et de la logistique Kuehne und Nagel ou encore de Wisag. Ce que Holger Timmer, spécialiste de la question à IG Metall, appelle ironiquement la « production moléculaire » ou encore l’« usine fragmentée »: « C’est une nouvelle forme de taylorisme qui se développe. Mais cela ne se fait même pas avec ses propres salariés. »

Sur le site de Leipzig, plus d’une vingtaine d’entreprises sous-traitantes ont passé des contrats (Werkvertrag) avec le constructeur pour réaliser des tâches précises comme le nettoyage, la logistique, mais aussi le montage de pièces automobiles. Dans un atelier, les 200 salariés de Wisag, une grosse entreprise de services industriels, montent ainsi des axes de transmission pour BMW. À cette fin, le constructeur a passé un contrat avec ThyssenKrupp Automotive, qui sous-traite à son tour à Wisag : « Les salariés des sous-traitants ne doivent pas pénétrer dans les zones de production des salariés de BMW. Sinon, on pourrait supposer que ces salariés travaillent durablement pour BMW. Ce qui serait illégal », explique Holger Timmer.

Quatre familles de travailleurs. À Leipzig cohabitent désormais quatre familles de travailleurs : les employés de BMW, les intérimaires employés en direct par le constructeur, les salariés des entreprises sous-traitantes, mais aussi les intérimaires employés par ces mêmes sous-traitants. Bien que tous soient intégrés dans le processus de production de l’usine et effectuent souvent des tâches similaires, ils ne touchent évidemment pas les mêmes salaires. Ce qui est le but de la manœuvre. Au bas de l’échelle, les rémunérations s’échelonnent ainsi de 7 à 17 euros l’heure. « Et ce phénomène touche désormais toutes les activités de l’entreprise », note Klaus Dörre, spécialiste des questions de travail à l’université d’Iéna. Selon lui, 40 % de l’activité de R & D de l’usine seraient également assurés en externe.

Pour les experts, l’origine de ce que le leader d’IG Metall, Bertold Huber, qualifie de « nouvelle maladie du travail » vient de l’intérim. Depuis le début des années 2000, face à des syndicats affaiblis et une conjoncture économique en dents de scie, les patrons allemands ont d’abord réussi, avec l’assentiment ou les protestations molles des politiques de tout bord, à obtenir des accords collectifs modérés. En 2003, les réformes du marché de l’emploi lancées par Gerhard Schröder ont ensuite provoqué l’explosion des minijobs dans les services et de l’intérim en général. Ce qui a conduit à l’apparition d’un monde du travail à plusieurs vitesses. Aujourd’hui en meilleure posture, les syndicats ont décidé de faire campagne pour améliorer la situation des intérimaires. Avec succès. L’intérim s’est ainsi doté d’un salaire minimum de branche (7,89 euros l’heure à l’Ouest et 7,01 euros à l’Est) en décembre. Par ailleurs, les accords d’entreprise sur l’égalité salariale entre personnel maison et intérimaires se multiplient. Chez Siemens, par exemple, l’accord collectif signé avec IG Metall prévoit un passage progressif à l’égalité salariale mais aussi l’embauche automatique des intérimaires en CDI au-delà de dix-huit mois de présence. Avec, pour corollaire, une augmentation du coût du travail.

Reste que l’intérim, combiné à la sous-traitance, présente de nombreux avantages. L’entreprise achète un service sans embaucher de personnel supplémentaire. Les représentants des salariés n’ont donc pas leur mot à dire et le donneur d’ordres n’a pas à engager de procédures de licenciement lorsqu’il veut se séparer de la main-d’œuvre d’appoint. Enfin, dans la plupart des cas, les salariés ne sont pas soumis aux mêmes accords collectifs que le personnel régulier. Dans le commerce, on a vu des sous-traitants spécialisés dans la logistique et la gestion d’entrepôts se réunir en une fédération patronale, la Fédération du magasinage et de la logistique, afin de pouvoir conclure un accord collectif avantageux avec un petit syndicat peu regardant (HDV). L’accord, valable jusqu’en 2015, prévoit un salaire minimum horaire qui oscille de 6 à 6,50 euros, avec vingt jours de congé annuel, des heures supplémentaires payées seulement au-delà de la 173e heure effectuée dans le mois ou la possibilité de renouveler jusqu’à quatre fois des CDD de trois ans, sans avoir à le motiver.

En sondant 900 comités d’entreprise dans le Land du Bade-Wurtemberg, le syndicat IG Metall a découvert que 70 % des entreprises concernées pratiquent le « prêt » de salariés. La moitié des CE interrogés estime que ce phénomène aboutit inévitablement à une réduction des effectifs. Mais lutter contre les abus est difficile car de tels contrats ne sont pas illégaux. Et il faut pouvoir prouver qu’une entreprise utilise durablement ce type de main-d’œuvre pour réduire ses coûts. Enfin, il n’existe aucune statistique sur le sujet. C’est d’ailleurs la réponse qu’a faite récemment le gouvernement fédéral d’Angela Merkel à la question d’un parlementaire. Ne disposant d’« aucune donnée fiable sur le sujet », l’exécutif ne voit pas de raison d’agir.

Auteur

  • Thomas Schnee