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Enquête

Moins de cash, plus d’à-côtés

Enquête | publié le : 01.03.2012 | Laure Dumont

Depuis le début de la crise, de rares entreprises françaises ont troqué la sauvegarde de l’emploi contre une baisse de salaire. Sans aller jusque-là, cet élément central du contrat de travail est de plus en plus individualisé et variable, voire noyé dans un package « rémunération globale » au contenu aléatoire.

Elles ne sont pas très nombreuses. Reste que ces initiatives ont marqué les esprits. En 2008, les salariés de Hertz, H-P, Donatello, Osram, Mercuri Urval, entre autres, ont vu leur salaire baisser. L’argument avancé pour justifier une mesure hautement symbolique était qu’il s’agissait de la condition sine qua non pour que l’emploi soit préservé. Ces directions emboîtaient ainsi le pas aux employeurs et syndicats allemands qui avaient utilisé des moyens du même ordre pour traverser la crise. Mais si nos voisins d’outre-Rhin ont signé des accords prévoyant des contreparties, sous forme d’actions notamment, pour compenser le sacrifice assumé par les salariés, les entreprises françaises ont davantage cédé à la tentation d’un chantage à l’emploi finalement bien contre-productif et dont les grands perdants risquent d’être les salariés.

« Si on se contente de dire que baisser les salaires va sauver l’emploi, ça ne fonctionne pas, avertit ­Armand Hatchuel, professeur à l’École des mines ParisTech. Il faut reconnaître que ce sacrifice porté par les salariés permet en fait le sauvetage de l’entreprise et du capital, ce qui n’a rien à voir. » Quand l’entreprise est sauvée. Les « Conti » en savent quelque chose qui avaient accepté une augmentation du temps de travail sans revalorisation de leur salaire pour voir, au bout du compte, leur boîte fermer ses portes dans le carnage que l’on connaît (lire également le portrait de Sami Hamida, page 13).

À la Fonderie du Poitou Aluminium d’Ingrandes, sous-traitant automobile racheté par Montupet en 2009, les 453 salariés ne se sont pas laissé faire. L’issue devrait être un peu meilleure pour eux que pour leurs collègues de Clairoix. À l’été 2011, ils ont refusé tout net la réduction du temps de travail assortie de baisses de salaires de 15 % pour les cadres et de 23 % pour les ouvriers, que les dirigeants ont voulu mettre en place « pour rétablir la compétitivité, sous peine de mettre dangereusement en cause la pérennité du site ». Les salariés ont fait grève pendant deux mois mais, le 20 octobre dernier, la société a été mise en redressement judiciaire.

Un sursis mais pour combien de temps ? Compatissant, Éric Besson est venu sur le site mi-janvier, accompagné d’une large délégation allant de Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, à René Ricol, commissaire général à l’investissement. « On est très méfiants, résumait Patrice Villeret, délégué CGT, après cette visite. On sait que la parole d’un ministre est oubliée dès qu’il est monté dans l’avion. Ici, les gens sont très mobilisés. Ils ne se laisseront pas faire. Nous ne voulons aucune casse sociale. » De fait, le tribunal de commerce de Nanterre a tranché, le 25 janvier. L’entreprise ne fermera pas ses portes, car deux repreneurs potentiels sont en vue, et Renault, son principal client, a renfloué les caisses et pris des engagements pour augmenter ses commandes. Un sursis, mais pour combien de temps ?

Remonté, René Tharagonnet l’est tout autant. Ce délégué syndical CFDT travaille chez Loxam, loueur de véhicules de chantier, depuis vingt et un ans. En 2008, pour résister à la mauvaise conjoncture qui s’annonce, la direction propose aux organisations syndicales de réduire d’une heure le temps de travail hebdomadaire, pendant un an, ce qui implique une baisse de 4,25 % de salaire net. « C’était à prendre ou à laisser, raconte le délégué CFDT. La direction nous a dit que si on ne signait pas cet accord, 250 personnes allaient être licenciées. Quatre organisations syndicales sur cinq ont signé, mais pas moi. Par la suite, on a fait de très bonnes années, preuve que la crise avait bien été anticipée. Mais l’année dernière, rebelote, la direction a proposé d’annualiser le temps de travail sur une échelle de zéro à quarante-quatre heures par semaine. Cette fois, tous les syndicats ont refusé. Et nous avons de sérieuses inquiétudes pour 2012 et 2013. » D’après les syndicats, 100 à 200 postes d’administratifs sur les 3 000 salariés de l’entreprise seraient menacés.

Il ne faut recourir à la baisse des salaires qu’en dernière extrémité, après avoir utilisé toutes les autres possibilités légales, défend Denis Falcimagne, directeur de projet à Entreprise & Personnel. Il faut jouer sur le blocage des salaires, le chômage partiel de longue durée, les comptes épargne temps et les RTT ou aller puiser dans les sommes disponibles sur les PEE, une fois passé le délai de blocage. On pourrait aussi envisager que l’entreprise souscrive à un système assurantiel pour préserver l’emploi ou qu’elle prévoie de restituer les sommes perdues par les salariés une fois la crise passée, sous forme de compléments d’intéressement ou de participation, par exemple. »

Cette dernière piste se heurte toutefois au verrou du salaire, par nature négocié entre un individu et une entreprise. Pour l’instant, ses variations éventuelles ne peuvent être soumises à un accord collectif et tout changement le concernant doit faire l’objet d’un avenant au contrat de travail. Dans quelle mesure les « pactes de compétitivité » annoncés par le président de la République aux Français à la fin janvier vont-ils enfreindre cette règle ? Pour l’instant, les syndicats ne veulent pas en entendre parler… mais auront-ils vraiment le choix ? Car, s’il y a bien une évolution qui leur échappe, c’est celle du salaire, qui devient, depuis une dizaine d’années, de plus en plus individuel, variable – y compris chez les non-commerciaux et les non-cadres – et englobé dans des packages variant considérablement d’une entreprise à l’autre.

Hasard ou pas, en période de vaches maigres, les entreprises ont développé ces dernières années un savant discours sur tous les à-côtés du salaire devenu en­tre-temps « rémunération ». Cette notion recouvre tant la mutuelle, les primes, les avantages en nature (voiture de fonction, frais kilométriques, miles cumulés par les cadres grands voyageurs), la formation, les titres-restaurants que la participation et l’intéressement – ce qu’en d’autres temps on appelait les avantages sociaux. Des petits plus par nature variables ou aléatoires. « Dans le contexte social et économique actuel, observe Ariane de Calbiac, consultante en rémunération globale chez Aon Hewitt, l’entreprise socialement responsable continue de diversifier le package de ré­munération au travers de dispositifs de retraite, tels que le Perco, et agit par des actions de communication auprès des salariés pour les sensibiliser à ce thème. »

Faut-il y voir un retour du paternalisme ? « L’entreprise n’est plus uniquement un vecteur de travail, reconnaît Ariane de Calbiac, le salarié attend d’elle qu’elle joue un rôle social, ce qui n’est d’ailleurs pas en contradiction avec la tendance à l’individualisation des rémunérations. » En témoigne le succès dans les grandes entreprises du BSI – bilan social individualisé –, appelé aussi Birem, pour bilan de rémunération. Ce document de deux à quatre pages, souvent envoyé directement au domicile du salarié pour accentuer la dimension personnelle, récapitule tous les éléments de la rémunération de l’année écoulée. « Les entreprises se sont aperçues qu’elles vendaient mal leur package. Avec le BSI, elles disent : on prend soin de vous, voilà les outils à votre disposition, utilisez-les », explique Frédéric Béziers, directeur France et Luxembourg chez Hays. Dans les grands groupes, ce sont souvent les départements marketing qui sont chargés de cette mise en forme, et pas forcément les ressources humaines.

Ce document, certes à vocation pédagogique, serait un outil de fidélisation. En montrant à un salarié la totalité de ce qu’il dépense pour lui, un employeur se place sur un marché du travail parfois très concurrentiel. Ce faisant, il pousse ceux qui seraient tentés d’aller voir ailleurs à un certain niveau d’exigence en termes de package. En outre, pour ceux qui restent, le BSI est un argument de modération de la revendication salariale sur le thème : voyez déjà tout ce dont vous bénéficiez.

Avantages en nature. Avec la crise, et les budgets d’augmentation qui stagnent, voire baissent, les employeurs actionnent de plus en plus de leviers pour amadouer et fidéliser leurs troupes. Il n’est pas rare de les voir brandir les offres sociales du comité d’entreprise comme un argument de recrutement et proposer des avantages en nature, moins coûteux que la surenchère salariale. En 2009, à côté de Rennes, on a vu le patron d’un magasin Tip Top Affaires équiper ses cinq vendeurs, caissières et manutentionnaires de véhicules neufs, au lieu de leur proposer des augmentations symboliques. « En région, une partie de la négociation d’embauche peut porter sur la voiture de fonction, la carte essence et les notes de frais, souligne Frédéric Béziers. Globalement, les jeunes commerciaux sont assez demandeurs de ces avantages en nature. Ils aiment qu’on leur lance des défis, individuels ou collectifs, avec des iPad à gagner ! » Pour les plus âgés, certains employeurs proposent maintenant des bilans retraite individualisés.

Reste que les grands oubliés de cette évolution – ou dérive ? – du salaire vers les packages sont les salarié des TPE et des PME, les plus malmenés par la conjoncture actuelle. Pour eux, le salaire demeure le cœur du sujet.

Fabien, 31 ans, vendeur à la Fnac, dans la Somme.

“J’ai été embauché à la Fnac en 2002 comme libraire à 1 144 euros par mois pour 36 heures de travail par semaine. Il y a encore six ans, je touchais tous les mois une prime en fonction d’objectifs fixés par le magasin. Elle était invariablement de 120,46 euros. C’était une façon de nous motiver. La direction a changé les règles de calcul. Je touche désormais 10 à 30 euros par mois, et 200 euros à Noël. La participation et l’intéressement ont aussi été divisés de moitié. On a encore une prime de vacances de 200 à 300 euros. Cette année, on a aussi touché 200 euros pour la prime Sarko. Lors des négociations salariales, la direction a proposé une augmentation de 1 % l’an dernier et 50 centimes de plus sur les titres-restaurants. La grille de classification a également été changée. Avant il y avait trois échelons, maintenant il y en a neuf pour devenir vendeur qualifié et passer cadre. Après dix ans à la Fnac, mon salaire est de 1 477 euros primes comprises. Ce qui m’inquiète, c’est l’annonce du plan social. La direction supprime 310 postes en France, gèle les embauches et les salaires. Sans nous dire pour combien de temps.”

Marc, 44 ans, responsable de la location chez Loxam.

“Je suis entré chez Loxam il y a vingt ans, comme chauffeur. J’avais 24 ans et je gagnais 6 500 francs net. Je travaillais de 7 h 15 à 18 h 30-19 heures. Pendant six ans, je n’ai pas compté mes heures. Une année, j’ai reçu une prime qui était censée compenser les heures supplémentaires, et j’ai été très déçu. Du coup, je me suis contenté de faire mes huit heures par jour. Aujourd’hui, je gagne 1 500 euros net par mois. Avec mon amie, qui est fonctionnaire et qui a des conditions d’emprunt assez intéressantes, nous nous sommes lancés dans une activité complémentaire pour notre retraite. Nous rachetons des appartements que nous rénovons, sur notre temps libre, et nous les louons. Je pense qu’il faut se bouger en dehors de l’entreprise, se prendre en main pour gagner un peu plus.”

Des minima à la traîne

Certaines branches professionnelles sont irrémédiablement vouées à courir derrière le smic. Chaque année, la revalorisation de ce dernier entraîne mécaniquement un « écrasement des grilles ». Sauf que 2011 est un cru particulier puisque l’augmentation de 2,1 % du smic a été exceptionnellement avancée du fait de l’inflation. Intervenue le 1er décembre 2011, elle a fait glisser sous les minima des secteurs qui les avaient pourtant renégociés et rehaussés en 2011. Ainsi, à la veille du relèvement, au 30 novembre 2011, « seules 16 branches, soit 9 % des branches de 5 000 salariés du secteur général, avaient encore un minimum conventionnel en deçà du smic », soulignait la Direction générale du travail (DGT), qui se félicitait du fait que, malgré un contexte macro­économique difficile, « la dynamique positive des négociations salariales a pu être maintenue par les partenaires sociaux ». Mais, début 2012, 97 branches de plus de 5 000 salariés, soit près de la moitié des conventions collectives concernées, affichent des minima conventionnels inférieurs au smic.

Auteur

  • Laure Dumont