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« Les jeunes ouvriers ont porté la dynamique de l’extrême droite »

Actu | Entretien | publié le : 01.03.2012 | Stéphane Béchaux

Pour ce chercheur en sciences politiques, la droitisation du vote ouvrier repose sur le renouvellement des générations. Une tendance de fond qui profite au FN.

Dans l’imaginaire collectif, le vote ouvrier est associé à la gauche. Est-ce une réalité ?

La vision du col bleu doté d’une conscience de classe reste très prégnante dans l’imaginaire collectif. Et pourtant, les ouvriers ne votent pas, par essence, à gauche. Le vote de gauche des ouvriers, c’est, historiquement, le fruit d’un gros travail du Parti socialiste et surtout du Parti communiste qui, lors de l’industrialisation de la France, ont pris en charge les intérêts de la classe ouvrière pour en façonner les opinions et les comportements. Dans l’Hexagone, on ne peut parler d’un « vote de classe » que sur une période relativement courte, du milieu des années 30 à la fin des années 70, lorsque les enjeux socio-économiques dominaient la compétition entre partis. Mais, même pendant cette période, il existait des mondes ouvriers de droite, comme en Alsace, en Haute-Savoie, dans le Jura, l’Ain ou le Doubs.

Les cols bleus sont-ils, aujourd’hui, devenus des électeurs lambda ?

Leur survote à gauche, c’est fini. Le processus de rééquilibrage a pris plus de vingt ans mais il s’est achevé le 21 avril 2002. Ce jour-là, pour la première fois sous la Ve République, les ouvriers n’ont accordé aucun avantage aux candidats de gauche. Leur vote s’est donc banalisé, à une particularité près : on constate aujourd’hui que les ouvriers de droite votent beaucoup plus pour le Front national que pour la droite modérée. Cette radicalisation remonte aux élections européennes de 1984. Les cols bleus de droite qui sont partis, à l’époque, vers le FN y sont restés.

La droitisation du vote ouvrier s’explique-t-elle par des changements individuels de comportement ?

Ces changements existent mais restent assez marginaux. Ce qui pèse très lourd dans la droitisation du vote ouvrier, c’est le renouvellement des générations. Les anciens, qui ont intégré le marché du travail pendant les Trente Glorieuses, à l’époque où le PC et les syndicats étaient puissants, sont restés très fidèles à la gauche. Mais pas les nouvelles cohortes, rentrées dans le jeu électoral à partir du début des années 80. Contrairement à leurs aînés, ces jeunes ouvriers ont sans cesse connu la crise et le chômage de masse. Et le Front national a toujours fait partie de l’offre électorale, autour de l’enjeu de l’immigration. Ce sont ces nouvelles générations qui ont porté la dynamique de l’extrême droite. Beaucoup plus que de rares ouvriers communistes ralliés au lepénisme.

Le FN a-t-il de beaux jours devant lui dans les milieux ouvriers ?

La gauche a perdu la maîtrise du débat politique lorsqu’elle s’est ralliée aux politiques néolibérales. Depuis, elle n’arrive plus à faire entendre son discours redistributif dans une économie dérégulée. Aujourd’hui, les enjeux dominants ne sont plus socio-économiques mais ethnoculturels. Tant que ces questions restent au centre du jeu, il n’y a aucune raison que le Front national régresse chez les ouvriers. Même si le Front de gauche s’est peut-être ouvert un espace, en agrégeant rejet de la mondialisation et défense des immigrés.

Les ouvriers qui votent pour l’extrême droite peuvent-ils se laisser tenter par la gauche ?

Quand on a voté trois ou quatre fois pour le même parti, des habitudes se créent. Les réserves de voix ne se trouvent pas principalement de ce côté-là pour la gauche. Celle-ci a beaucoup plus à gagner à ré-investir ses anciennes terres d’implantation, dans lesquelles la participation s’est effondrée. Contrairement aux idées reçues, les ouvriers ne vivent d’ailleurs pas majoritairement dans les villes. Mais dans les milieux ruraux ou périurbains.

La gauche peut-elle gagner l’élection présidentielle sans le soutien des cols bleus ?

Ce ne sont pas les ouvriers qui porteront François Hollande au pouvoir. Mais plutôt les habitants des centres-villes, les professions intellectuelles supérieures, les sans-religion, les Français d’origine étrangère. Car ce sont eux qui composent aujourd’hui le noyau dur du Parti socialiste. Pour ce dernier, les ouvriers représentent désormais davantage un enjeu symbolique fort qu’une cible prioritaire. Ils font certes partie de son identité, de son projet historique d’émancipation. Mais le PS n’a pas besoin d’un soutien massif des ouvriers pour devenir majoritaire. Ce phénomène n’est pas typiquement français. En Grande-Bretagne ou en Allemagne, les victoires passées de Tony Blair et de Gerhard Schröder ne reposaient pas uniquement sur le vote ouvrier, loin s’en faut.

FLORENT GOUGOU

Doctorant au Centre d’études européennes de Sciences po.

PARCOURS

Titulaire d’un master de recherche en sociologie politique à l’IEP de Paris, Florent Gougou est assistant de recherche au CEE. Âgé de 29 ans, il soutiendra, courant 2012, sa thèse de science politique consacrée aux mutations du vote des ouvriers en France et en Allemagne depuis 1945.

Auteur

  • Stéphane Béchaux