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Vie des entreprises

De l'importance du contrat

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.06.2000 | Jean-Emmanuel RAY

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. » Jadis décrié, car le postulat d'égalité des contractants froissait le droit de la subordination, l'article 1134 du Code civil connaît aujourd'hui une seconde jeunesse avec le renouveau du contrat de travail, donjon inexpugnable pour le salarié.

Le changement permanent caractérisant les entreprises d'aujourd'hui, la tentation est grande d'en faire « bénéficier » également le salarié. Certains contrats, où rien n'est fixe car salaire, horaires et fonctions peuvent être modifiés à tout moment, semblent heurter l'article 1108 du Code civil : « Un objet certain qui forme la matière de l'engagement. »

Contrat ou malentendu ?

« Le contrat autorisait l'employeur à modifier à tout moment les horaires de travail de Mme C., agent de propreté, ainsi que le lieu et les jours d'intervention en fonction des nécessités du service. » Au conseil de prud'hommes, ayant accepté une réduction unilatérale d'horaires de quatre heures hebdomadaires (« Cette modification était conforme aux stipulations contractuelles et ne revêtait pas un caractère abusif »), la Cour de cassation répond le 2 mai 2000 que « la réduction de la durée du travail d'un salarié à temps complet constitue une modification de son contrat de travail que celui-ci est fondé à refuser » (voir cependant l'article 30 de la loi Aubry II s'agissant du passage aux 35 heures par accord collectif). S'agissant de temps partiel au formalisme particulièrement exigeant, l'arrêt du 3 mai 2000 précise que, en l'absence de répartition entre les jours de la semaine et du mois, il s'agissait d'un temps plein puisque « la salariée devait se tenir à la disposition permanente de l'employeur ».

Tout le contrat, rien que le contrat

« La salariée avait été embauchée pour exécuter un certain nombre de tâches précises, énumérées au contrat de travail » (Cass. soc., 2 mai 2000). La chambre sociale rappelle l'importance de la rédaction initiale de celui-ci s'agissant des fonctions exercées : tantôt il permettra la polyvalence, très à la mode depuis le passage aux 35 heures (il faut pouvoir remplacer les collègues partis en jours de RTT), tantôt au contraire il absoudra le comportement jugé fautif ou insuffisant d'un salarié à qui l'entreprise fait assurer une fonction non prévue. Ainsi de ce monteur à qui était reprochée une insuffisance professionnelle dans un travail de maquettiste : la cour d'appel « aurait dû vérifier la qualification contractuelle exacte du salarié » (Cass. soc., 26 octobre 1999). « En l'absence de définition de fonctions dans son contrat de travail, l'inexécution de certaines tâches n'était pas établie » (Cass. soc., 19 janvier 2000 : ni faute grave ni même cause réelle et sérieuse).

Contrat et charge de travail

Le 16 novembre 1999, elle avait déjà mis en garde les entreprises ayant adopté le refrain « travailler moins, mais travailler mieux » (c'est-à-dire souvent : « autant, en moins de temps ») : « Le salarié n'avait pas commis de faute, ne pouvant accomplir le travail demandé dans un temps compatible avec ses horaires. »

Idée reprise le 19 avril 2000 : « Les heures supplémentaires dont le paiement était réclamé avaient été imposées par la nature et/ou la quantité de travail demandé. » Si le contrat prévoit une amplitude de tâches telle qu'il est pour le salarié impossible de les accomplir pendant la durée prévue, le paiement régulier d'heures sup-sup (au-delà du forfait) était prévisible. Pour les mêmes raisons, ce raisonnement pourrait trouver à s'appliquer en cas de forfait jours, comme en dispose expressément l'article 212-15-4-II nouveau du Code du travail (« rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions imposées »).

L'aveu est la reine des preuves

« En proposant lui-même un avenant à la salariée, l'employeur reconnaissait qu'il modifiait le contrat de travail » : l'arrêt du 2 mai 2000 calmera les obsédés de la sécurité juridique, voulant acter le moindre changement des conditions de travail. Leur attention avait dû déjà être attirée par celui du 26 janvier 2000 : l'employeur ayant utilisé la procédure prévue à l'article L. 321-1-2 (prévu pour une proposition de modification du contrat pour motif économique), il ne pouvait ensuite prétendre que la mutation à Pont-Audemer ne constituait qu'un simple changement des conditions de travail. Et le 5 octobre 1999, la chambre sociale n'encourageait pas les entreprises à faire preuve d'une courtoisie excessive si elles souhaitaient voir disparaître un usage : à l'employeur qui avait (trop) poliment demandé à chaque salarié son accord pour la remise en cause individuelle d'un avantage licitement supprimé par accord collectif elle indiquait qu'il avait ainsi reconnu le caractère contractuel de l'avantage en question.

Le contrat, si à la mode aujourd'hui sur le plan individuel et collectif, est donc ambivalent : instrument de rigidité, il peut se révéler être un instrument de flexibilité. S'il est bien rédigé et géré, il peut permettre d'anticiper l'avenir.

FLASH

• Vol de temps

Plus de 25 % du temps passé sur Internet au bureau est consacré à la consultation de sites « de charme », si l'on en croit une enquête américaine. Après l'arrêt du 14 mars 2000 (faute grave pour un salarié d'une société de Bourse passant son temps à prendre des paris sur les élections ou les matchs de foot), celui du 3 mai confirme la position de la Cour de cassation : l'usage abusif du téléphone « pour passer des communications personnelles » peut être cause de licenciement. Mais à condition que la preuve soit licite, donc loyale : ici le salarié avait « admis les faits et proposé le remboursement ».

• Du risque de licencier et de porter plainte

Il était classique de licencier un salarié qui avait commis une infraction pénale et de porter plainte dans le même temps (souvent pour obtenir une transaction favorable). Sauf cas exceptionnel, cette pratique doit aujourd'hui être bannie, comme en témoigne l'arrêt de la Cour de cassation du 27 avril 2000 : licenciée pour complicité de vol, une caissière est relaxée par le tribunal correctionnel (au bénéfice du doute semble-t-il). La lettre de notification énonçant exactement les mêmes faits, « la relaxe du chef de vol s'imposait au juge civil » : défaut de cause réelle et sérieuse.

Auteur

  • Jean-Emmanuel RAY