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Vie des entreprises

Avant-projet sur l'épargne salariale : vers un nouveau type de salariat ?

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.06.2000 | Françoise Favennec-Héry

Largement inspiré par le rapport Balligand-de Foucauld, l'avant-projet sur l'épargne salariale cherche à rendre cette forme de rémunération plus « solidaire », à favoriser l'épargne à long terme, ainsi qu'à améliorer la représentation des salariés dans les organes de direction des sociétés. En creux : une évolution en profondeur du rapport salarial.

Le départ de M. Strauss-Kahn et l'arrivée de M. Fabius au ministère des Finances ont, pendant quelque temps, écarté la question de l'épargne salariale du devant de la scène. Alors qu'un sondage récent révèle que les jeunes accepteraient une rémunération plus modeste à condition d'être actionnaires de leur entreprise, le débat est à l'heure actuelle relancé. L'actionnariat salarié va-t-il connaître de beaux jours et l'avant-projet sur l'épargne salariale est-il de nature à y contribuer ? Parallèlement à l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale de dispositions fiscales sur les stock-options et de mesures visant à une plus grande transparence en ce domaine, le gouvernement a soumis à une vaste consultation un avant-projet de loi sur l'épargne salariale. Le sujet est sensible et susceptible de diviser majorité plurielle et organisations syndicales.

1° Le texte proposé reste très largement conforme aux conclusions du rapport Balligand-de Foucauld

Il en épouse les constats. Le rapport remis au Premier ministre le 28 janvier 2000 relevait, en effet, l'extrême complexité du système à l'heure actuelle en place : dispersion des mécanismes (participation, intéressement, plan d'épargne d'entreprise…), succès inégal des différentes formules proposées (multiplication des accords d'intéressement, accroissement des plans d'épargne d'entreprise), superposition de mesures répondant à des objectifs diversifiés (incitation à la performance, participation aux bénéfices, association à la valeur de l'action…). Il mettait également l'accent sur le caractère inégalitaire de l'accès à l'épargne salariale : inégalités entre petites et grandes entreprises, inégalités entre types de salariés selon la durée de leur contrat. Il constatait que l'épargne salariale est davantage vecteur d'iniquités que correctrice de celles-ci : elle est en effet d'autant plus abondante que le salaire est élevé et que l'ancienneté dans l'entreprise est importante. Elle est, de plus, essentiellement le fait des grandes entreprises.

Le rapport regrette enfin le coût élevé des différents dispositifs d'exonération pour les finances publiques, alors que, conjointement, l'épargne salariale a un faible impact sur les relations sociales dans l'entreprise et sur l'évolution de l'emploi… De tels constats, en partie négatifs, appellent des réformes.

À cet égard, l'avant-projet semble faire siennes les différentes orientations défendues par le rapport. Extension du champ de l'épargne salariale, amélioration de la rémunération globale des salariés, contribuant ainsi à une croissance durable, volonté de favoriser une « gouvernance » d'entreprise ne faisant pas concurrence au dialogue social, souhait de diriger l'épargne française vers les entreprises, reconquête progressive des fonds propres des sociétés françaises, association des partenaires sociaux sont autant de thèmes repris du rapport.

Ils s'inspirent d'une même finalité.

2° L'avant-projet prend la forme d'une sorte de « credo »

Il fixe davantage une orientation qu'il ne construit un dispositif immédiatement opérationnel. Il ouvre ainsi un large champ de propositions dont seules certaines d'entre elles seront peut-être développées et reprises. Le principe inspirateur est de rendre l'épargne salariale plus « solidaire ». Le terme est en apparence peu éclairant. Il suppose un changement de cap. L'épargne salariale n'aurait plus une finalité individualisée et personnelle, mais elle poursuivrait un objectif d'intérêt général. L'avant-projet a vocation à substituer un mécanisme collectif à un dispositif individuel, à en améliorer l'accès au plus grand nombre, y compris dans le secteur public, à favoriser l'emploi de cette épargne à des fins éthiques centrées plus particulièrement sur l'emploi et le soutien aux entreprises d'insertion. Il se fixe également comme objectif le développement local et l'accroissement des fonds propres des PME par la création d'instances recevant une part substantielle de l'épargne, dont 50 % devraient être investis dans des titres non cotés. Il entend aussi valoriser l'investissement en actions. Globalement, l'avant-projet cherche à instituer une épargne « plus large, plus durable, plus transparente ».

3° Les mesures proposées tournent autour de deux axes

Le premier volet vise tout d'abord à encourager l'épargne salariale afin de diriger une part de l'épargne française vers les entreprises. Cela suppose une extension des différents modes d'épargne déjà institués aux petites et moyennes entreprises, par la voie du plan d'épargne interentreprises. Grâce à un regroupement géographique (la région) ou professionnel, plusieurs petites unités peuvent s'unir et instituer un plan d'épargne. Le processus repose sur un accord collectif entre partenaires sociaux. Le fonds serait alimenté par des versements des salariés, des mandataires et des entreprises du champ considéré. Ce type de regroupement a plus de chances d'aboutir que ceux ayant trait à la mise en place d'institutions représentatives du personnel à l'intérieur d'un même site. L'objectif d'élargissement du champ d'application passe aussi par une extension des mécanismes d'actionnariat aux salariés des entreprises publiques ou privées à participation publique. Il nécessite également que les salariés mobiles ou précaires, et donc insérés peu de temps dans l'entreprise, puissent accéder à ces différents mécanismes. Pour ce faire, la condition d'ancienneté requise pour pouvoir bénéficier des dispositifs d'épargne salariale serait ramenée de six mois à trois mois.

Le projet tend également à favoriser l'épargne à long terme (dix ou quinze ans) par le biais d'un plan partenarial d'épargne salariale (PPES). Cet outil aurait pour objectif d'assurer une meilleure adéquation de l'épargne aux besoins de financement de long terme de l'économie française, tout en permettant aux salariés d'allonger la durée de leur engagement et de réaliser des projets d'importance : achat d'une résidence, préparation de leur retraite, financement d'une année sabbatique. Le PPES pourrait être alimenté par le versement des sommes issues de la participation et l'abondement par l'entreprise serait plus largement ouvert.

Le nouveau texte cherche enfin à développer l'actionnariat salarié sur la base du volontariat et à favoriser l'investissement de l'épargne en actions par l'adoption de mesures fiscales encourageantes : institution d'une provision pour investissement en franchise d'impôt, de 25 % lorsque la participation est investie en titres de l'entreprise. L'incitation n'est pas seulement individuelle. Elle concerne également l'ensemble des actionnaires, obligés de se prononcer sur l'actionnariat salarié tous les trois ans ou à chaque augmentation de capital. Le dispositif reste cependant incitatif.

Le second volet tend à substituer un mécanisme collectif à un processus encore souvent individuel, exception faite de l'intéressement. L'épargne salariale doit être le fruit d'une volonté commune. Le texte gouvernemental élargit l'obligation annuelle de négocier, qui ne porte actuellement que sur les salaires et la durée du travail, au domaine de l'épargne salariale. Si l'on en juge par le développement des accords sur les matières objets de négociation obligatoire, cette orientation peut être de nature à relancer l'épargne salariale ou tout du moins à créer en ce domaine une sensibilisation, voire un réflexe de négociation.

Le souhait d'inscrire l'épargne salariale dans un nouveau « contrat social », selon l'expression des rapporteurs, MM. Balligand et de Foucauld, se traduit également par la volonté d'améliorer la représentation des salariés. Par quelle instance celle-ci doit-elle être assurée ? Quel doit être le rôle du comité d'entreprise et celui des syndicats ? Pour l'instant, et s'agissant de l'actionnariat salarié, se pose avec acuité la question difficile de la présence des salariés actionnaires au conseil d'administration de la société. Il est proposé, dans le texte en discussion, d'abaisser le seuil à partir duquel la proportion du capital détenu par le personnel entraîne la tenue d'une assemblée générale, destinée à évoquer la nomination d'un ou de deux administrateurs parmi les salariés actionnaires. Mais la question de la représentation est plus générale et suscite des passions : représentation des actionnaires, mais aussi représentation des salariés. Le débat est lancé.

L'idée soutenue par M. de Foucauld est de réactiver, à cette occasion, le thème de la « gouvernance » d'entreprise, les salariés devant, à ses yeux, siéger au sein des organes de décision des entreprises. Le but est de doter les sociétés anonymes d'administrateurs représentant l'ensemble du personnel. Cette ambition peut laisser circonspects ceux qui connaissent les pratiques des entreprises et le pouvoir exact des conseils d'administration. Elle nécessite, de plus, une évolution de certains syndicats de salariés, qui se refusent à se transformer en « gestionnaires de portefeuille ».

4° Ce programme très (trop ?) vaste aura-t-il les moyens de ses ambitions ou ne se traduira-t-il que par quelques mesures parcellaires ?

On peut tout d'abord craindre la diversification des différentes mesures proposées. La multiplicité des objectifs peut faire douter de leur efficacité. Toutes ces orientations sont-elles susceptibles d'être suivies ?

À la lumière des premières réactions, on peut également se demander si la question de l'épargne salariale, si souvent évoquée, est suffisamment mûre ou si elle suppose du temps pour permettre une évolution des mentalités. Quelques réticences au développement de l'épargne salariale ont déjà été formulées : l'opposition capital-travail resurgirait-elle à cette occasion ? Quelques crispations frileuses se sont exprimées, relatives notamment à la représentation des salariés dans les organes de direction des sociétés. Quelques doutes ont été émis sur l'importance de la question en termes de pouvoir : les salariés n'auraient pour seul but que la recherche de compléments de rémunération et d'avantages fiscaux et seraient peu intéressés par une présence réelle au sein des organes dirigeants de la société.

Un tel projet nécessite en tout cas une large concertation. Il serait dommage de ne pas saisir l'occasion pour engager une vaste réflexion sur le sujet et sur l'évolution corrélative du rapport salarial. Celui-ci se résume-t-il encore au rapport synallagmatique : prestation contre rémunération, ou prend-il une autre dimension ?

Il serait réducteur de limiter l'initiative gouvernementale à ce qu'écartaient pourtant, d'emblée, MM. Balligand et de Foucauld :

– ne voir dans l'épargne salariale qu'un instrument de rémunération concurrent du salaire ;

– transformer simplement l'épargne salariale en épargne retraite.

La discussion relative à la sortie de l'épargne à long terme en rente ou en capital, déjà engagée par certains opposants au projet, démontre à quel point le sujet est sensible…

Les débats à venir seront instructifs sur l'évolution de la relation de travail en France. Le chantier de l'épargne salariale est ouvert.

Auteur

  • Françoise Favennec-Héry