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Repères

Un pavé dans la mare syndicale

Repères | publié le : 01.06.2000 | Denis Boissard

C'est un drôle de pavé que la CFDT a lancé le mois dernier dans la mare du syndicalisme hexagonal. Un pavé qui, curieusement, n'a guère fait de vagues au-delà des cénacles confédéraux. Et pourtant, c'est une remise en cause radicale du droit syndical que la centrale de Nicole Notat propose de mettre en œuvre. Endossant un vieux cheval de bataille de la CGT, la confédération cédétiste préconise tout d'abord de lier la validité d'un accord collectif à la signature d'un ou de plusieurs syndicats majoritaires (dans la branche ou l'entreprise). La ratification majoritaire a fait son entrée par la petite porte dans le droit français via la loi Aubry II sur les 35 heures : le bénéfice du dispositif d'allégement de cotisations patronales est en effet subordonné à la signature d'un accord « majoritaire ». La CFDT suggère rien de moins que d'étendre cette règle à tous les accords collectifs. Et donc d'abandonner le vieux principe de notre droit du travail selon lequel un accord est parfaitement valable même s'il est signé par un syndicat ultraminoritaire dans l'entreprise, dès lors que celui-ci est considéré comme représentatif.

Exit aussi les critères classiques de la représentativité syndicale (les effectifs, l'indépendance, les cotisations, l'expérience et l'ancienneté) : l'audience électorale serait à l'avenir le seul critère déterminant, et elle serait mesurée grâce à des « élections de représentativité » organisées le même jour dans toutes les entreprises d'une même branche, selon une périodicité à fixer. Mieux, le vote se ferait sur le nom du délégué syndical (celui-ci restant désigné par l'organisation) ou sur un élu présenté sur liste syndicale, l'intéressé étant en quelque sorte adoubé comme négociateur par les salariés de l'entreprise.

Exit encore le Yalta syndical de 1966, autrement dit la représentativité automatique accordée aux cinq « grandes » confédérations et à elles seules, et leur monopole de présentation au premier tour des élections professionnelles dans l'entreprise. Assez courageusement, la CFDT propose de rouvrir le jeu en faisant entrer en lice tous les syndicats légalement constitués dans un scrutin à un seul tour.

Dernière suggestion : les règles stipulées par les accords collectifs de branche et d'entreprise ne seraient plus gravées dans le marbre ad vitam aeternam, mais seraient à l'avenir conclues pour une durée déterminée.

C'est donc un véritable aggiornamento que propose la CFDT. Si l'on cherche à relégitimer l'action syndicale en France, il est souhaitable que ces suggestions ne restent pas lettre morte. Car notre modèle de pluralisme syndical est à bout de souffle. L'accord minoritaire ne posait guère de problème tant qu'il y avait du « grain à moudre » et qu'il s'agissait de négocier des avantages supérieurs à ceux octroyés par la loi ou la convention de branche. Son bien-fondé devient beaucoup plus contestable lorsqu'il s'agit de négocier des accords « donnant-donnant », dérogatoires à la loi et susceptibles de chambouler les conditions de vie des salariés. Difficile, de surcroît, de défendre l'autonomie contractuelle des partenaires sociaux face à l'intervention du législateur si l'on ne garantit pas les conditions d'une négociation équilibrée.

Quant à la représentativité de plein droit accordée aux cinq « grandes » confédérations, elle a à l'évidence contribué à fossiliser le paysage, à pérenniser sa balkanisation et, in fine, à affaiblir le syndicalisme tricolore. Non seulement la prérogative ainsi accordée aux centrales historiques est un sérieux obstacle à toute recomposition, mais elle est en outre, de façon assez choquante, instrumentalisée pour interdire à des syndicats parfois localement bien implantés (comme l'Unsa ou SUD) d'avoir des élus du personnel. L'image du syndicalisme n'a rien à gagner à des pratiques anticoncurrentielles.

Derrière les propositions cédétistes, c'est l'essence même du mouvement syndical qui est en cause. Le syndicalisme français s'est longtemps vécu comme le représentant historique, l'incarnation naturelle, voire l'avant-garde éclairée du salariat…, d'où la désignation et non l'élection des délégués, et leur monopole en matière de négociation avec l'employeur. Son lent déclin conduit la CFDT à opérer une sorte de révolution copernicienne. La légitimation par la voie élective conduirait en effet à faire du syndicat un simple mandataire auquel les salariés consentent une délégation pour négocier. Un sacré bouleversement.

Mais le pari est risqué. Il suppose que la logique majoritaire conduise à terme les syndicats à se regrouper (les petites confédérations perdant tout poids dans la négociation, sauf comme force d'appoint) et à prendre leurs responsabilités dans le jeu contractuel. Le calcul implicite est celui de la conversion définitive de la CGT (qui jouerait, avec la CFDT, un rôle pivot dans le nouveau dispositif) à une pratique conventionnelle et réformiste. Ce n'est pas gagné.

Auteur

  • Denis Boissard