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Politique sociale

Le vieillissant Japon réforme ses retraites de fond en comble

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.06.2000 | Michel Temman

Avec 1,5 actif pour un retraité à l'horizon 2005, l'empire du Soleil-Levant ne peut plus faire dans la demi-mesure pour sauver son système de retraite. Le plan qu'il vient d'adopter tient du remède de cheval. Au menu : un allongement progressif de l'âge de la retraite à 65 ans et le développement des fonds de pension.

Lorsqu'il a ouvert les livres de comptes du constructeur automobile Nissan au chapitre « Retraites », Thierry Moulonguet a été saisi d'effroi : ce financier de l'équipe de Carlos Ghosn envoyé par Renault au Japon pour redresser Nissan a découvert un passif supérieur à 30 milliards de francs. Et encore, on ne sait si ce chiffre correspond à la totalité ou à une partie seulement de la nébuleuse des fonds de pension de Nissan, l'équipe française se gardant bien de le préciser. Chez le géant nippon NTT, premier opérateur mondial de téléphonie mobile, la situation est encore plus catastrophique : l'ardoise atteindrait 58 milliards de francs ! Les fonds de pension d'entreprise, dont le passif se compte en plusieurs milliers de milliards de francs, ne sont pas les seuls régimes de retraite mal en point. Les caisses publiques s'apprêtent à vivre les années les plus noires de toute leur histoire. Le ministère de la Santé nippon prévoit un déficit de plus de 34 000 milliards de francs en 2005.

Récemment, le grand quotidien de Tokyo, Asahi, a sobrement résumé la situation : « Le vieillissement de notre population est une fatalité, et nous ne pouvons rien faire contre notre déclin démographique. » Un fatalisme qui porte au Japon le nom de shikata ga naï. Que l'on retourne en effet les chiffres dans tous les sens, l'Archipel est le plus mal loti de tous les grands pays industrialisés. Le taux de fécondité des Japonaises est dramatiquement faible (1,5 enfant par femme), le taux de natalité est ridiculement bas (moins de 10 naissances pour 1 000 habitants), l'espérance de vie augmente comme partout (elle dépasse aujourd'hui 77 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes). Mais, surtout, le vieillissement de la population est plus rapide qu'ailleurs. Les plus de 65 ans, qui sont plus de 21 millions aujourd'hui, seront 32 millions en 2025, d'après les projections de l'ODS, le bureau des études démographiques nippon. Une situation qui fait au moins l'affaire du « senior business ». Et particulièrement de la toute-puissante presse du troisième âge avec ses titres phares, Saraï ou Sampo. Les entreprises se ruent sur cette manne : la firme Nike commercialise des chaussures high-tech pour le troisième âge, tandis que Shiseido, le géant des cosmétiques, fait un tabac avec sa ligne Sucessfull Aging de produits rajeunissants et antirides.

Mais les gestionnaires des retraites s'arrachent les cheveux. À commencer par l'État. Depuis une bonne quinzaine d'années, il s'évertue à rapiécer le régime général par répartition, constitué de la retraite de base, la kokumin nenkin, et de la retraite complémentaire obligatoire pour les salariés du privé, le kosei nenkin hoken. Mais les réformes, élaborées en étroite concertation entre le ministère de la Santé et des Affaires sociales, le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir depuis 1955, le patronat japonais, le Nikeiren, et la grande confédération syndicale Rengö, ne brillent pas par leur originalité. Depuis 1984, elles ont tout bonnement consisté à donner un coup de pouce aux cotisations et à réduire les prestations.

La retraite à 65 ans… en 2025

Changement de registre au printemps dernier. Le projet de loi préparé par l'ex-gouvernement Obuchi, et adopté par la Diète japonaise à la fin mars, tranche radicalement avec le cocktail indigeste administré jusqu'alors. « Le système actuel risquait d'exploser. Il était adapté à l'environnement de forte croissance qui a prévalu du milieu des années 60 jusqu'à la fin des années 80. Mais, avec la conjoncture actuelle, il était devenu anachronique », explique un parlementaire du PLD, membre de la commission de réforme. Principes de base de la réforme ? Tout d'abord repousser progressivement l'âge de la retraite de 60 à 65 ans, à partir de 2013 jusqu'en 2025 pour les hommes et jusqu'en 2030 pour les femmes. Ensuite, indexer les retraites sur le seul indice des prix (la revalorisation actuelle tient également compte de l'évolution – plus favorable – des salaires). Enfin et surtout, transférer les risques de l'État vers les particuliers en introduisant davantage de capitalisation.

Un moindre mal si l'on songe que le Comité économique stratégique, conseil des sages mis en place par l'ex-Premier ministre Keizo Obuchi, avait dans un premier temps suggéré de supprimer purement et simplement le régime d'État et de privatiser totalement le système de retraite à l'horizon 2030 ! Après de très longs débats, le gouvernement a choisi un scénario intermédiaire. Pour les salariés partis à la retraite depuis le 1er avril 2000, les effets du plan Obuchi sont déjà sensibles, puisqu'ils ont vu leurs allocations vieillesse diminuer de 5 %. Le scénario envisagé par la réforme est clairement celui d'un désengagement de l'État. À partir de 2001, le Japon, qui a toujours privilégié la répartition, entend développer des systèmes de retraite par capitalisation, à cotisations définies, directement inspirés du 401K américain, grâce à des incitations fiscales plus attractives qu'aujourd'hui. « Le régime de retraite actuel garantit une retraite égale pour tous. Mais il fait reporter de trop grands risques sur les générations futures, ainsi que sur le secteur privé », explique-t-on au Japan Labor Institute, l'Institut du travail japonais. Le gouvernement espère bien que se constituent, comme aux États-Unis, de puissants fonds de pension privés et autonomes possédés par les retraités.

Pas de garantie sur la prestation

Concrètement, la réforme prévoit deux formes de capitalisation. La première, à laquelle les entreprises cotiseront, concernera 12,5 millions de salariés sur les 34 millions du secteur privé, ceux qui adhèrent déjà à un fonds de pension maison. La seconde, où seuls les individus cotiseront, est destinée aux 20 millions de travailleurs indépendants et aux salariés des PME. Dans les deux cas, plusieurs produits d'épargne seront proposés, en fonction du montant des cotisations, qui devrait varier entre 10 000 et 50 000 francs par an. La sortie pourra s'effectuer sous forme de rente ou de capital, à partir de 60 ans si le salarié a cotisé au moins dix ans.

Ce système viendra s'ajouter aux multiples formes d'épargne retraite mises en place de longue date par les entreprises japonaises : pécules de départ (taishokukin), trusts (tekikaku nenkin) ou fonds de pension d'entreprise (kikin). À la différence que le nouveau régime de capitalisation ne garantira plus un niveau de prestation préalablement défini. Et que les fonds seront gérés par des sociétés financières.

Plusieurs enquêtes menées en 1996 et en 1998 auprès de 100 fonds de retraite d'entreprise ont en effet révélé de graves lacunes dans leur gestion : rentabilité médiocre des placements, défaut de provisionnement des engagements de retraite, opacité des passifs réels, modicité des pensions versées et, dans certains cas, chute de leur montant après cinq ans de retraite. Le financement de la retraite devient un tel casse-tête pour certaines entreprises qu'elles préfèrent externaliser leur main-d'œuvre en recourant à l'intérim. Ce qui fait le bonheur de Pasona, la première entreprise de travail temporaire japonaise, avec 230 000 intérimaires. « De nombreuses sociétés ne peuvent plus garantir de retraite à leurs employés et commencent à recruter du personnel par l'intermédiaire d'agences spécialisées », se félicite Yasuyuki Nambu, le dynamique patron de Pasona.

Les quinquas toujours au rebut

D'autres entreprises choisissent de faire appel à des organismes financiers extérieurs pour gérer les plans de retraite de leurs salariés. Ce mouvement d'externalisation est très nettement perceptible dans les banques, les sociétés d'assurance vie et autres organismes financiers, qui sont d'ailleurs en train de provisionner les pertes potentielles, c'est-à-dire la différence estimée entre les recettes et les dépenses des années à venir. La réforme Obuchi va officialiser le mouvement.

Comme elle compensera la moindre générosité des employeurs à l'égard des partants. Le traditionnel pécule de départ n'est en effet plus considéré comme un dû. De plus en plus d'entreprises l'intègrent dans leur système de rémunération au mérite. C'est le cas du groupe pharmaceutique Fujisawa Pharmaceuticals, qui a mis en place cette année un système de capitalisation par points lié au mérite et à la performance. D'autres le remettent purement et simplement en cause. La chaîne de restauration Wamin a ainsi décidé de supprimer le pécule à la fin 2000, sans l'intégrer dans son système de rémunération. Seuls les employés ayant plus de trois ans d'ancienneté recevront les sommes qui ont été épargnées.

À marche forcée, le Japon se prépare donc au pic démographique du siècle prochain. Un choc particulièrement brutal puisqu'il n'y aura plus en 2005 que 1,5 actif pour un retraité. Toutefois, ce plan de sauvetage des retraites japonaises ne convainc pas totalement les experts. « Il s'agit d'un effort désespéré du gouvernement pour pérenniser le système des retraites, mais il faudra quand même augmenter les cotisations ou réduire les pensions. L'avenir s'annonce donc sombre », estime Takashi Asaba, économiste au Fuji Research Institute.

En tout état de cause, la mise en œuvre de cette réforme suppose que les employeurs nippons changent de comportement à l'égard des quinquagénaires (voir encadré ci-contre). Les cols blancs ou les manutentionnaires aux cheveux grisonnants sont en effet les premières victimes de la remise en cause de l'emploi à vie et des coupes sévères opérées dans le textile, la métallurgie ou l'automobile. Difficile de demander aux salariés de cotiser jusqu'à 65 ans tout en les mettant au rebut après 50 ans.

Les anciens au travail !

La retraite à 60 ans sera bientôt du passé pour les Japonais, mais certains ne s'en plaindront pas. C'est le cas de Shigeo Hirano, qui milite depuis dix ans pour l'emploi des salariés âgés. Pour de vrais jobs et pas seulement les petits boulots que beaucoup effectuent pour améliorer leur retraite, par exemple la signalisation des chantiers de travaux publics. En 1990, à 65 ans, il crée une agence spécialisée pour les retraités sexagénaires, baptisée Mystar 60 – 60 pour 60 ans. Basée à Osaka, elle fait travailler aujourd'hui à temps partiel près de 300 retraités, essentiellement qualifiés dans les secteurs à forte technologie comme l'informatique. En 1998, Mystar s'est offert une grande campagne de publicité. Son message : « L'âge n'a rien à voir avec l'uniforme. La retraite dans la vie, ça n'existe pas. Recherchons ingénieurs entre 60 et 70 ans. » De fait, la moyenne d'âge des candidats de Mystar est de 64 ans. Autre initiative allant dans le même sens, Matsushita offre désormais à ses salariés la possibilité de travailler après 60 ans, jusqu'à 65 ans maximum. L'entreprise met fin au contrat du salarié volontaire, mais celui-ci peut signer un contrat à durée déterminée d'un an renouvelable.

Auteur

  • Michel Temman