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L'audit règle ses comptes avec le conseil

Dossier | publié le : 01.06.2000 | J.-Ph. D.

Un à un, les cabinets d'audit voient leur pôle conseil faire sécession. Une séparation souvent subie, qui n'arrange pas vraiment les affaires des auditeurs. Du coup, ils se mettent à leur tour à faire du conseil. Cherchez l'erreur…

Au cabinet d'audit et de conseil RSM Salustro Reydel, la pilule a encore du mal à passer. Il y a quelques mois, 300 consultants – c'est-à-dire la totalité du pôle conseil du cabinet français – sont passés à l'ennemi, en l'occurrence PricewaterhouseCoopers (PwC), l'un des Big Five anglo-saxons. « Cela s'est passé quasiment du jour au lendemain », reconnaît Michel Taly, directeur général associé de RSM Salustro Reydel. Si les consultants ont pu aussi facilement plier bagage, c'est parce que rien ne les relie, en principe, à leurs collègues auditeurs. La législation française impose en effet aux cabinets d'audit et de conseil de séparer juridiquement leurs activités. « Pour éviter tout conflit d'intérêts, un auditeur ne peut certifier les comptes d'une entreprise qui aurait été conseillée par un consultant appartenant au même cabinet que lui », rappelle Michel Leclercq, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC). Bref, entre l'audit et le conseil, la théorie prône le chacun pour soi.

Le conseil, véritable poule aux œufs d'or

Une séparation que les autorités de régulation, et en premier lieu la Commission des opérations de Bourse (COB), souhaitent encore plus effective. Les pôles conseil des cabinets sautent sur l'occasion pour prendre leur indépendance. La valse a commencé en 1989, avec Arthur Andersen Worldwide. À cette époque, son activité de conseil, baptisée Andersen Consulting, dopée par une croissance à deux chiffres, laisse tomber son cousin de l'audit, Arthur Andersen, pour voler de ses propres ailes. Vexé, ce dernier porte l'affaire devant le Tribunal de commerce international. Verdict prévu ce mois-ci. Mais quelle qu'en soit l'issue, le pôle audit d'Arthur Andersen Worldwide sera le grand perdant de l'histoire. Car s'il accepte mal de voir partir le conseil, c'est surtout parce qu'il voit s'échapper la poule aux œufs d'or.

Les missions de conseil, dont les honoraires peuvent atteindre jusqu'à 15 000 francs la journée, sont en effet très lucratives. L'audit affiche des marges bien moins intéressantes. Avec des mandats de commissariat aux comptes qui courent sur six ans, difficile de renégocier les tarifs d'une année à l'autre. Comme ce type de contrat est confié sur appel d'offres, les cabinets se livrent à une guerre des prix sans merci. En outre, le potentiel de développement n'est pas du tout le même entre l'audit et le conseil. Si le premier bénéficie d'une croissance comprise entre 10 et 20 % par an, le second, lui, oscille depuis quelques années entre 30 et 50 %.

Logique, dans ces conditions, que les auditeurs répugnent à voir partir leurs amis consultants. D'autant que l'image du conseil est bien meilleure auprès des jeunes diplômés. Lorsqu'on lui parle d'audit, Jocelyn, 23 ans, étudiant à Sup aéro, répond : « Les chiffres, c'est barbant. » Une fois son diplôme en poche, il rejoindra le cabinet-conseil qui l'a prérecruté.

Un turnover de 20 % chez les auditeurs

Avec un turnover qui frise les 20 %, les cabinets d'audit sont traditionnellement de gros recruteurs. « C'est vrai, nous attirons moins de candidats qu'il y a quelques années, reconnaît Gabriel Galet, directeur général d'Ernst & Young Audit. Mais les personnes que nous embauchons aujourd'hui sont davantage motivées par le métier et nous considèrent moins comme une sorte de troisième cycle qu'il est de bon ton d'arborer dans un CV pour mieux se vendre ailleurs. » Du coup, face au désamour des diplômés des grandes écoles d'ingénieurs et de commerce, certains cabinets en sont réduits à abaisser leurs exigences. « Nous avons progressivement élargi notre recrutement vers des jeunes diplômés sortant de l'université, notamment de troisièmes cycles spécialisés, et des diplômés d'écoles moins prestigieuses », constate Jean-Emmanuel Combes, directeur général développement et ressources humaines de PwC.

Pour Maïr Ferreres, partner chez KPMG Audit, tout est affaire de communication. « Nos métiers sont aussi passionnants que ceux du conseil ; il est temps de l'expliquer. » Notamment en remettant à sa juste place l'aspect comptable. « Il ne faut pas restreindre l'audit à la seule certification comptable, s'insurge Patrick de Cambourg, commissaire aux comptes chez Mazars & Guerard. Il s'agit avant tout d'une technique d'investigation qui peut s'appliquer dans des domaines très variés. » Environnement, qualité, sécurité informatique, éthique… Les domaines que l'auditeur doit prendre en compte ne cessent de s'étendre. Dorénavant, sa tâche consiste à identifier les dangers auxquels l'entreprise peut être exposée et à provisionner en conséquence. Car l'univers de plus en plus concurrentiel dans lequel elle évolue l'oblige à prendre plus de risques.

Des consultants chez les commissaires aux comptes

Réponse du berger à la bergère, les cabinets d'audit ont donc pris l'habitude d'intégrer… des consultants dans leurs effectifs. Comme un commissaire aux comptes ne peut prétendre être expert dans tous les domaines, la loi lui permet de faire appel, dans le cadre de son mandat, à des spécialistes pour l'aider dans sa tâche. « Sur les 15 000 auditeurs qui exercent en France, 40 % sont des spécialistes, estime Jean-Emmanuel Combes, de PwC. Cela va du cambiste à l'ingénieur informatique en passant par l'expert en produits dérivés. » Un mouvement qui se propage avec le développement de la Net économie. « Le retour sur investissement ou le résultat net ne veut pas dire grand-chose pour des start-up, chroniquement déficitaires, remarque Patrick de Cambourg, de Mazars & Guerard. Évaluer la valeur comptable de ces sociétés demande d'appréhender plutôt d'autres éléments. » Ce qu'on appelle le « capital immatériel » et qui englobe, pêle-mêle, la notoriété de la marque, la valeur de ses clients ou sa capacité à fidéliser ses salariés.

« Pour comprendre comment les entreprises fonctionnent, un cabinet d'audit se doit de garder une activité de conseil », estime Michel Leclercq, de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Paradoxalement, la loi l'y autorise en partie. En effet, si un cabinet d'audit ne peut faire du consulting auprès d'une entreprise dans laquelle il exerce un mandat de commissariat aux comptes, le contraire est possible. « L'auditeur peut être un conseiller dans la mesure où il garde son indépendance », résume Gabriel Galet, d'Ernst & Young.

Résultat, tous les cabinets d'audit se mettent à faire du conseil, pour le plus grand bien de leur porte-monnaie et des jeunes diplômés qu'ils embauchent. Arthur Andersen a décidé de spécialiser son pôle conseil stratégique et opérationnel dans le middle market – les grosses PME –, afin de ne pas entrer en concurrence avec son frère ennemi, Andersen Consulting. Ernst & Young a cédé à Cap Gemini uniquement son activité de conseil dans les domaines informatiques. Quant à RSM Salustro Reydel, à peine ses consultants partis chez PwC, il a recréé une cellule conseil qui devrait compter, d'ici à trois ans, 150 consultants. Mais cette fois-ci la quarantaine d'associés du cabinet français posséderont une partie du capital de la nouvelle entité. Chat échaudé…

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  • J.-Ph. D.