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Internet sinon rien

Dossier | publié le : 01.06.2000 | M. Le B.

Les systèmes d'information et l'e-business font exploser le marché du conseil. Les cabinets, qui ne veulent pas rater cette aubaine, gonflent leurs équipes ou se lancent dans de grandes opérations. Alliances, rachats et fusions avec les spécialistes de l'informatique se multiplient.

Faire appel à un cabinet de conseil revenait, il y a quelques années encore, à allumer les balises de détresse. L'entreprise allait mal ou devait, d'urgence, réduire ses coûts pour ne pas être distancée dans la course à la compétitivité. Le consultant arrivait en pompier et dressait un état des lieux censé déboucher sur les grands chantiers de la réorganisation.

Les évolutions du marché ont bouleversé la donne : recourir au conseil n'est plus un aveu de faiblesse mais un signe de croissance. Aujourd'hui, ce sont les fusions-acquisitions, le développement des systèmes d'information et l'irruption de la nouvelle économie qui viennent chambouler l'organisation des entreprises. Selon le Syntec Conseil en management, syndicat professionnel du secteur, près du tiers du chiffre d'affaires du conseil (46 milliards de francs au total en 1998, en croissance de 37 %) est réalisé dans le domaine des technologies et des systèmes d'information. Finie l'époque du conseil-diagnostic. Soucieuses de réagir vite et d'externaliser pour réduire leurs coûts, les entreprises veulent aussi trouver à l'extérieur l'expertise nécessaire pour insuffler le changement. La réflexion et les outils capables de concrétiser cette expertise sont devenus indissociables, donnant naissance à une approche beaucoup plus opérationnelle du métier de consultant.

Progressivement, les spécialistes de l'organisation se sont donc mis à bâtir des solutions, s'engouffrant par la même occasion dans le marché des progiciels, outils qui structurent à la fois le système d'information et les organisations. « Il y a vingt ans, les consultants étaient surtout dotés d'une très bonne culture de l'entreprise, décrit Jean-Marc Thirion, président de Devenir, spécialisé dans la stratégie des cabinets de conseil. Ils ont désormais, en plus, une bonne connaissance du métier du client, de son secteur et des nouvelles technologies, tout en étant capables de manager des équipes rassemblant ces différentes compétences. » L'allemand Plaut (85 consultants en France pour 50 millions de chiffre d'affaires et le double prévu pour 2000) illustre bien cette évolution. Progressivement passé du contrôle de gestion à la stratégie, le cabinet a finalement développé ses propres logiciels pour s'allier, ensuite, à des éditeurs de progiciels, dont SAP. La société continue de recruter des jeunes diplômés de grandes écoles de commerce et d'ingénieurs, depuis toujours berceau des futurs consultants. Mais elle exige, en plus, un réel attrait pour les nouvelles technologies.

Constructeurs et SSII alléchés par le conseil

De tels candidats ne sont pas rares. Certaines écoles de commerce, comme celles de Nice et de Tours, ont commencé à former leurs étudiants aux derniers outils en vogue. « Diplômé en gestion, j'ai pu commencer à développer mes compétences en informatique au cours d'un stage chez Total, témoigne Mathieu Godard, consultant depuis huit ans, dont deux chez Plaut. Je m'occupe maintenant de la mise en place de systèmes d'information chez les grands comptes industriels. Mais chez nous la technique ne doit surtout pas prendre le pas sur l'approche organisationnelle. »

Les pros de l'informatique, constructeurs et SSII, ont fait le cheminement inverse : en partant des outils, ils se sont mis à proposer du conseil. L'enjeu est pour eux d'intervenir en amont de leurs missions traditionnelles et, ainsi, d'accroître leurs parts de marché. « Ces acteurs ont tous développé une branche conseil, qui représente de 5 à 20 % de leur chiffre d'affaires », analyse Gilles Forrestier, rédacteur en chef de Consulting, qui établit tous les ans un palmarès des sociétés du secteur. L'exemple le plus frappant est sans doute celui de Microsoft Consulting. Objectif avoué de ses 120 consultants : placer les technologies de la firme de Bill Gates au cœur des systèmes d'information en mettant en avant leur expertise. Dans la même optique, l'entreprise vient de monter un joint-venture avec Andersen Consulting pour encore mieux s'introduire chez les grands comptes.

Entamée depuis vingt ans, l'évolution des cabinets de conseil s'accélère avec la montée en puissance de l'e-business. Pour rafler la plus grosse part de cet alléchant gâteau (le marché du conseil dans le commerce électronique affiche une croissance de 50 %), ils doivent intervenir sur la globalité des projets, de la stratégie à la réalisation. Et, pour rester réactifs et résister à la menace des start-up qui proposent cette offre globale, recruter sur les nouveaux métiers du Net ne suffit pas. Les grosses structures doivent mettre en place des départements entièrement dédiés aux projets de la nouvelle économie. A. T. Kearney, filiale du géant de l'informatique EDS, s'attelle ainsi à la création d'une équipe capable de proposer des sites Internet clés en main. Une trentaine de nouveaux consultants, débauchés chez l'un des grands cabinets anglo-saxons, seraient déjà venus grossir ses rangs.

Même philosophie au pôle conseil, stratégie et opérations d'Arthur Andersen Management, qui ambitionne de se focaliser à 100 % sur l'e-business. Une façon de se démarquer de son cousin et concurrent Andersen Consulting, impossible à devancer sur les systèmes d'information. « Le marché est tellement dynamique que les projets sont à peine ficelés quand nous les lançons, explique Henri Tcheng, associé chargé des télécommunications, des médias et d'Internet. Nous devons être assez réactifs pour les recadrer au fur et à mesure de leur réalisation. » D'ici à un mois, le cabinet prévoit de recruter une vingtaine de techniciens et de designers pour son webstudio. La moitié de ses 300 consultants devraient être formés à l'e-business.

Mais certains ont dû se rendre à l'évidence : recruter sur un marché de l'emploi particulièrement tendu n'est pas une mince affaire, et développer une nouvelle expertise ne se fait pas du jour au lendemain. Si bien que, pour mettre en œuvre leur stratégie tentaculaire, beaucoup se sont résolus à des mariages de raison. Conclu au mois d'avril, le rachat par Bull Consulting de la société Osis, spécialisée dans les systèmes d'information, en est une preuve. « Osis nous offrait la possibilité d'être mieux positionnés sur la définition des besoins, alors que nous étions bien placés sur la mise en œuvre », explique Don-Pierre Pompei, vice-président de Bull Consulting. Une intégration qui devrait permettre au nouveau groupe, fort de plus de 2 000 personnes, d'être plus proche des directions générales que des directions informatiques. Donc d'aborder des marchés plus importants. « Les consultants amont et les consultants opérationnels devront apprendre à travailler en totale symbiose, estime François Chiron, responsable de la division business intelligence d'Osis. La perspective de pouvoir travailler ainsi sur de plus gros projets est très motivante, sachant que les consultants bâtissent forcément leur réputation sur la nature de leurs missions. »

Le mastodonte Cap Gemini-Ernst & Young

Il y a un an, le rachat de la branche conseil de KPMG par la société américaine CSC obéissait à la même logique. « La technologie et la connaissance de l'entreprise représentent une alliance à 50-50, indique le vice-président du groupe, Patrick Larredo. Nous sommes aujourd'hui capables d'intégrer les différentes compétences en créant des équipes mixtes sur les projets. » Autre rapprochement, celui d'Orgaconseil avec la SSII Sopra. Objectif pour le cabinet, qui emploie actuellement quelque 200 consultants : bénéficier des ressources nécessaires pour se développer dans l'e-business, qui devrait représenter 60 % de son chiffre d'affaires en 2001, contre 30 % cette année. Sur le plan financier, le cabinet devient filiale à 100 % de Sopra. Côté effectif, 200 consultants de la SSII, triés sur le volet pour leur expertise technique, rejoindront Orgaconseil pour se concentrer sur les projets e-business.

Récemment, le rachat de la branche conseil d'Ernst & Young par le groupe Cap Gemini a fait plus de bruit. Question de taille : ensemble, les deux protagonistes forment désormais un mastodonte en mesure de répondre aux développements internationaux de ses clients. « Nous n'étions pas capables d'intégrer toutes les compétences nécessaires, explique Patrick Lheure, l'un des 35 associés à détenir une partie du capital de ce cabinet de 700 consultants. Aujourd'hui, nos clients nous demandent de mettre en place des projets pilotes en six semaines, ce qui sera désormais plus facile à faire. » Les Big Five anglo-saxons trouvent dans cette fusion un intérêt capitalistique. Mais pas seulement : « Le modèle du partnership [système coopératif dans lequel chaque associé, ou partner, est détenteur d'actions] a vécu, estime Miguel de Fontenay, un autre partner. Il est plus facile pour les analystes d'évaluer une société qui affiche des résultats annuels consolidés qu'une structure où tout est disséminé entre plusieurs associés. En plus, le partnership implique une recherche de consensus, donc des délais de réaction trop longs pour aborder correctement les nouveaux marchés. »

Des indépendants irréductibles

Bien décidés à être des partenaires à part entière des entreprises, les cabinets débordent d'imagination. Dernière trouvaille des Big Five : s'associer à la création de start-up du secteur des nouvelles technologies en entrant dans leur capital. Andersen Consulting a ainsi participé au développement du tout nouveau site bfinance.fr destiné aux directeurs financiers, une mission de conseil de plusieurs millions de francs payée pour moitié en actions.

Reste que les consultants ont en face d'eux des clients de plus en plus avertis, capables de décrypter la stratégie de leurs prestataires. « Les gros cabinets apparaissent souvent comme des bulldozers qui coûtent très cher, opèrent de manière standardisée et ont tendance à s'incruster », résume sans ambages le cabinet IDRH, dans les conclusions d'une enquête réalisée auprès d'une trentaine de directions générales. C'est justement cette image que veulent battre en brèche les derniers cabinets de taille moyenne, et en particulier ceux qui ont résisté à l'envie de se marier à des spécialistes de la technique. Certains ont même préféré divorcer après une fusion mal digérée, telle la société S2Com (43 consultants), spécialisée dans la stratégie et le management. « Nous nous sommes associés il y a deux ans à un groupe industriel, rappelle Daniel Martin, son directeur. Mais nous nous sommes aperçus que le monde du conseil et celui de l'industrie cohabitent très mal. En outre, les gros clients se fichent de trouver une offre intégrée dans le même cabinet. »

Avec ses 350 consultants spécialisés dans la stratégie, l'organisation et les ressources humaines, Eurogroup Consulting prône également l'indépendance face aux grands industriels de l'informatique. « Lorsqu'on fait du reengineering dans une fonction achat, nous restons libres de choisir l'outil adapté, argumente Nicolas Balland, manager au sein du pôle industrie et services. Notre vocation est de rester des généralistes, plus proches du métier de nos clients. » Plutôt lucides, les entreprises préfèrent, il est vrai, ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. « On ne veut pas se faire prendre la main par des cabinets qui veulent tout faire, tranche Antoine de Chauvelas, directeur de l'organisation de Renault. Cela signifie qu'en amont, dans la définition des projets, il reste beaucoup de place pour les petits cabinets. »

En clair, ce marché très mouvant est assez large pour accueillir tout le monde. Et les exemples de petites structures qui remportent des appels d'offres face aux géants de la stratégie ou du conseil foisonnent. « Les clients recherchent avant tout une relation de proximité avec leur prestataire », renchérit Patrice Stern, du cabinet Interconsultants, qui travaille entre autres avec Yves Saint Laurent et Aéroports de Paris. La chance des consultants indépendants et des très petites structures est justement de pouvoir se spécialiser dans des niches, un métier spécifique ou un secteur d'activité. « Les clients achètent surtout une qualité de dialogue, de méthode et une capacité à innover », ajoute Jacques Perroto, président de la Chambre des ingénieurs-conseils en management. Le secteur, qui voit se créer 7 000 entreprises par an, n'a donc pas fini de se regrouper… et de s'atomiser.

Auteur

  • M. Le B.