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Débat

Quelle réforme pour le régime d'assurance chômage ?

Débat | publié le : 01.06.2000 |

Patronat et syndicats doivent, d'ici à la fin du mois, avoir renégocié une nouvelle convention Unedic. Mais, tandis que le Medef entend réformer en profondeur le régime d'assurance chômage pour en faire un outil du retour des chômeurs à l'emploi, la plupart des syndicats estiment avant tout prioritaire d'améliorer l'indemnisation des chômeurs. Quelle réforme conduire ? Trois experts donnent leur opinion.

« La réforme devrait prendre sa place dans une politique de lutte résolue contre la précarité. »

THOMAS COUTROT

Économiste.

Pourquoi réformer l'Unedic ? Pour le Medef, il s'agit de rendre le système d'indemnisation plus « incitatif » à la reprise d'un emploi. En proposant le Care (contrat d'aide au retour à l'emploi), le patronat reconnaît que la dégressivité aveugle des allocations, instaurée en 1992 à des fins d'« incitation » (déjà), est inopérante : chacun sait qu'elle accroît la détresse des chômeurs sans accélérer leur reprise d'emploi.

Le Medef veut donc renforcer l'aspect contraignant de l'incitation en sanctionnant de façon personnalisée le refus d'emploi.

L'enjeu est d'importance et l'impact d'une telle réforme sur le marché du travail serait considérable.

Aujourd'hui, dans la distribution, la restauration, les centres d'appels…, les entreprises multiplient les créations d'emplois précaires, au smic à temps partiel ou « au sifflet », lorsqu'on est convoqué au travail la veille pour le lendemain. Mais, bien que souvent obligées d'accepter ces emplois, beaucoup de personnes ne s'en satisfont pas, comme en témoigne l'essor spectaculaire de la catégorie des demandeurs d'emploi « à activité réduite », ces salariés qui restent inscrits à l'ANPE pour rechercher un vrai travail. Les pénuries de main-d'œuvre dont se plaignent les employeurs, alors que plusieurs millions de personnes restent inscrites à l'ANPE, sont un autre indicateur évident de l'insuffisante qualité de beaucoup des emplois offerts.

Le Medef cherche donc à ajuster les aspirations des demandeurs à la réalité dégradée des emplois. À l'inverse, une réforme progressiste de l'assurance chômage devrait prendre sa place dans une politique de lutte résolue contre la précarité. Les outils en sont bien connus et figurent pour la plupart dans le rapport Belorgey : taxation des emplois précaires, par exemple grâce à une modulation des cotisations Unedic en fonction du degré de turnover observé dans l'entreprise ; droit au passage de temps partiel à temps plein à la demande du salarié ; extension du droit de la « coactivité », harmonisant les droits sociaux entre sous-traitants et donneurs d'ordres ; réunification et harmonisation vers le haut des revenus de remplacement ; responsabilisation accrue des entreprises à travers la mise en place de fonds paritaires territoriaux ou de branche, avec une péréquation nationale, afin d'assurer aux salariés le maintien du revenu entre deux emplois ou pendant une formation.

Au-delà de l'indispensable et urgente amélioration des conditions de vie des travailleurs les plus précaires, la société française pourrait se fixer un objectif ambitieux mais réaliste : une refonte du marché du travail qui permette de concilier mobilité d'emploi et sécurité de vie.

Pourquoi la « nouvelle économie » et la croissance retrouvée rendraient-elles inéluctable une dégradation continue de la norme d'emploi ? Cette question est trop importante pour rester confinée dans une opaque négociation d'appareils entre le Medef et des confédérations syndicales affaiblies et divisées. Il faut lancer un grand débat national autour de ces questions, écouter la voix des chômeurs et des précaires, des acteurs sociaux, des experts, des citoyens. Pour confronter les propositions et procéder à des choix démocratiques en toute connaissance de cause.

« Il faut que l'effort de recherche d'emploi soit à la hauteur de l'effort financier de la société. »

MICHEL DIDIER

Professeur au Conservatoire national des arts et métiers.

Tout régime d'assurance chômage recherche en permanence le bon équilibre entre deux objectifs en partie contradictoires. Le premier est d'éviter qu'un travailleur sans emploi se trouve dans une situation financière socialement insupportable ; c'est la question de l'indemnisation.

Le second objectif est que la différence de situation entre le non-emploi et le travail reste suffisamment significative pour laisser une place à l'effort individuel de recherche d'emploi. Il est vrai qu'il est souvent difficile de trouver ou de retrouver un travail, mais il est non moins vrai que le premier acteur de la recherche d'emploi est l'intéressé lui-même. Jusqu'où doit aller l'effort nécessaire et où commence la situation socialement insupportable ? La réponse est morale et sociologique.

D'un point de vue économique, ce qui est certain est que les prestations de chômage reçues par les uns doivent être payées par les autres, contribuables ou actifs employés. On peut considérer l'indemnisation du chômage comme une forme de contrat entre la société qui impose à tous un régime de cotisations obligatoires et la personne qui recherche un emploi. Or les termes de ce contrat n'ont jamais été clairement définis. Malgré son nom, le régime d'assurance chômage s'est en fait constitué par couches successives comme un régime d'indemnisation. Les termes du contrat social méritent d'être explicités, en équilibrant l'effort demandé à l'intéressé et celui demandé à la société. Le rôle du service public de l'emploi est, dans ce contexte, essentiel pour gérer ce contrat et aider à retrouver un emploi similaire à l'emploi perdu ou à se former pour prendre un emploi différent.

Le chômage est à coup sûr un mal social, mais c'est le résultat de tous les dysfonctionnements et rigidités d'une société. De ce point de vue, le fait qu'il y ait en même temps 2 500 000 personnes qui ne trouvent pas l'emploi qu'elles veulent et 800 000 emplois proposés par l'ANPE et non pourvus, qui ne trouvent pas une personne adaptée et volontaire pour les occuper, montre que beaucoup de progrès restent à faire. Si l'on tient compte que les offres d'emploi passant par l'ANPE représentent moins de la moitié du total des offres, le nombre des emplois non pourvus est peut-être de l'ordre de 2 millions. Ce chiffre est en augmentation avec la reprise économique, et les entreprises interrogées par l'Insee déclarent des difficultés d'embauche de plus en plus grandes pour beaucoup de qualifications.

Les économistes anglo-saxons ont défini le concept de mismatch du marché du travail. C'est la somme des demandes d'emploi et des offres d'emploi non satisfaites à un moment donné, qui mesure le degré de mauvais ajustement du marché du travail. Ce mismatch est en France de près de 4 à 4,5 millions, soit un tiers de l'emploi marchand ! Face à un tel chiffre, on ne peut pas éluder aujourd'hui une réflexion d'ensemble sur les moyens d'améliorer le fonctionnement du marché du travail.

« Pour activer l'assurance chômage, il faut d'abord indemniser correctement. »

CAROLE TUCHSZIRER

Chercheuse à l'Ires, coauteur avec Christine Daniel de « l'État face aux chômeurs », éd. Flammarion, 1999.

Dans le cadre des discussions qui se sont engagées entre les partenaires sociaux sur l'avenir de l'Unedic, le Medef défend l'idée qu'il faut transformer l'assurance chômage en un instrument actif au service d'une politique de retour à l'emploi. Cette logique de l'activation est présentée par le patronat comme une « révolution ».

Pourtant, l'histoire nous enseigne que le placement a toujours été au fondement de l'assurance chômage. Les premières caisses syndicales d'assurance chômage liaient, dès la fin du XIXe siècle, l'octroi d'allocations à la recherche d'un emploi. Le Fonds national de chômage, créé en 1914 par l'État, suivait ce schéma-là. La création de l'Unedic, en 1958, n'a pas dérogé à la règle, poussant même loin son intervention sur le marché du travail. Des prestations de chômage sont ainsi versées aux jeunes ou aux agriculteurs qui n'ont pas cotisé, dès lors qu'ils cherchent un emploi dans les secteurs en croissance. L'objectif affiché par l'Unedic est bien d'accompagner la mobilité professionnelle et non de rester cantonnée à une indemnisation passive.

Dans les années 80, le discours sur l'« activation des dépenses passives » refait surface, mais dans un contexte bien différent. En effet, ce discours s'accompagne d'une réduction importante des droits des chômeurs, particulièrement marquée pour les précaires, les jeunes et les chômeurs de longue durée. Pour eux, l'« activation » préconisée par l'Unedic n'a guère de sens, puisqu'ils sont majoritairement privés du droit à l'assurance chômage : ces chômeurs sont ainsi renvoyés vers d'autres dispositifs gérés par les pouvoirs publics. Mais une autre catégorie a été épargnée par les réductions de droits indemnitaires : les chômeurs de plus de 55 ans ayant cotisé longtemps au régime. Pour eux, le taux de couverture est demeuré très élevé, près de 90 %. Mais force est de constater qu'ici la logique est purement passive puisqu'il s'est agi de les inciter financièrement à se retirer du marché du travail en les dispensant de rechercher un emploi. Restent finalement des salariés déjà bien insérés dans l'emploi, licenciés depuis peu de temps – seule catégorie qui jusqu'à présent a été concernée par les mesures d'activation de l'Unedic. On voit bien les limites d'une telle politique : peu développée quantitativement et concentrée sur les catégories de chômeurs les moins en difficulté. Peut-on parler de politique « active » de l'emploi dans de telles conditions ? Et pour quelle légitimité ?

Le durcissement des conditions d'indemnisation opéré par l'Unedic a ainsi fait perdre à cette institution la place qui était la sienne dans le champ de l'emploi. Le Medef souhaite aujourd'hui que l'Unedic reprenne la main sur ce terrain. Quoi de plus légitime ? Y parvenir suppose, dans le cadre des négociations avec les organisations syndicales, de définir les conditions d'une réelle « économie des droits et des devoirs » associant l'ensemble des acteurs de la politique de l'emploi. Pour réactiver l'assurance chômage, l'Unedic devra réintégrer dans sa politique indemnitaire le « risque précarité » auquel sont exposés les salariés précaires, les jeunes et les chômeurs de longue durée. On ne reclasse activement que si l'on indemnise correctement les chômeurs.