logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Résiliation : succès statistique, doute judiciaire

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.02.2012 | Jean-Emmanuel Ray

Les bonnes nouvelles étant rares, ne boudons pas notre plaisir. La résiliation conventionnelle connaît un succès statistique croissant : 254 871 ruptures conventionnelles ont été homologuées en 2010, et déjà 234 399 entre le 1er janvier et le 1er novembre 2011. Quant aux refus d’homologation par l’administration, ils ont diminué de 21 % fin 2008 à 7 % fin 2011.

Ce mode apaisé de rupture est donc entré dans les mœurs sociales. « Au regard du profil des salariés et des emplois concernés, la rupture conventionnelle ne se résume ni à une démission améliorée ni à un licenciement déguisé. Tout en mordant sans doute sur l’un et l’autre, elle paraît bien tenir son rôle propre sur le marché du travail », constatait fin 2011 le Centre d’analyse stratégique. Démissionner paraît d’ailleurs aujourd’hui bien irrationnel : entre la résiliation conventionnelle homologuée, la prise d’acte très (trop) largement ouverte par la chambre sociale de la Cour de cassation et larésolution judiciaire du contrat, partir ainsi sans aucune indemnité de rupture ni être pris en charge par l’assurance chômage témoigne d’un QJ (quotient juridique) limité. Mais trente-six ans après le divorce par consentement mutuel, et contrairement aux très noires prévisions des marchands de complexité voyant leur échapper un très juteux marché, le contentieux de cette innovation somme toute assez naturelle reste plus que marginal.

Depuis 1804 et en application de l’article 1134 du Code civil, les parties peuvent convenir de mettre fin au contrat qui les lie « par consentement mutuel ». Né le 25 juin 2008, l’article L. 1231-1 du Code du travail aurait-il interdit ce recours ? D’excellents esprits le pensent. Mais, à l’instar de la Cour de Paris, le 12 mai 2010, nous estimons au contraire que « cette loi n’interdit pas aux parties le souhaitant pour des raisons de convenances personnelles de recourir à la rupture amiable négociée ».

LA RC2 (L. 1231-1) N’A PAS TUÉ LA RC1 (1134 DU CODE CIVIL)

En droit coexistent donc la RC1 de 1804 et la RC2 de 2008, aux effets très, très différents. Mais, dans les faits, l’irruption de la RC2 2008 a tué sur place la RC1 1804. Un salarié d’accord avec son employeur sur le principe d’une résiliation conventionnelle exige aujourd’hui la RC2 qui préserve en particulier ses droits au chômage. Et, a fortiori en cette période de crise, l’employeur pouvant se séparer ainsi, « sans autre forme de procès », d’un collaborateur est prêt à financer l’indemnité de rupture obligatoire prévue avec la RC2, parfois sous la menace d’une prise d’acte, voire d’un long arrêt maladie…

Le petit monde des juristes attend donc avec crainte ou gourmandise les premiers arrêts de la chambre sociale, si souvent aimantée par le droit du licenciement. Ils pourraient faire quelque bruit si, oubliant le succès de ce mode pacifié de rupture, la possibilité de rétractation puis l’obligation d’homologation, le profil très atypique de certaines affaires remontant jusqu’à elle (ah ! l’accidenté du travail parti avec 1 000 euros !) mais aussi la double légitimité de la RC2, ses magistrats voulaient donner à la fois aux partenaires sociaux (ANI du 11 janvier 2008) et au législateur (loi du 25 juin 2008) de roides leçons de défense des travailleurs.

« ON S’AIME TROP, ON SE QUITTE » ? RC2 ET LITIGE ANTÉRIEUR

A-t-on déjà vu un employeur et un salarié fort contents l’un de l’autre jouer « Séparons-nous, Folleville » lorsque tout va bien ? Une RC2 veut forcément dire qu’en amont il y a volonté de se séparer. Pourquoi diable ? Souvent après un vrai différend, ou des petits accumulés ; et, comme dans d’autres domaines, l’un veut plus que l’autre. Avec la jurisprudence actuelle, c’est le principal écueil auquel se trouve aujourd’hui confrontée la RC2 ; et son arrêt de mort si la Cour de cassation y prête la main. La cour de Riom avait ainsi décidé le 18 janvier 2011 qu’une rupture conventionnelle ne pouvait être librement consentie dans un contexte conflictuel en matière de salaire. Certes peut-on tenter d’éteindre un tel litige avant la signature de la RC2…

En sens inverse, la cour de Montpellier a légitimement énoncé le 16 novembre 2011 que « l’article L. 1237-11 ne contient aucune disposition interdisant le recours à la rupture conventionnelle en cas de litige opposant les parties antérieurement ou concomitamment à la signature de la convention de rupture », ajoutant que « les débats parlementaires n’ont à aucun moment porté sur le point de savoir si la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle devait être subordonnée à l’absence d’un litige antérieur ou concomitant ».

Hypothèses à ne pas confondre avec des pressions patronales tout à fait déplacées, façon « c’est ça ou le licenciement pour faute, sans parler des solides casseroles que l’on va te coller », comme dans l’arrêt de la cour de Versailles du 15 décembre 2011. La collaboratrice d’un cabinet d’avocat ne fait manifestement pas l’affaire ; le patron du cabinet (spécialisé en droit du travail ?) lui adresse une lettre : « Le manque de confiance dont vous faites l’objet de la part des clients, de vos partenaires et de vos collègues apparaît incompatible avec le maintien de vos fonctions en l’état au sein de la société. Il ne m’apparaît pas néanmoins opportun, compte tenu de la spécificité du métier d’avocat, de mettre en avant vos erreurs et manquements de façon plus précise, ni d’engager une procédure unilatérale, avant d’examiner avec vous la possibilité d’une mesure alternative qui préservera des relations confraternelles et ne ternira pas la poursuite de votre parcours professionnel. Une rupture amiable me paraît être la voie la plus adaptée à notre statut professionnel spécifique. Je vous invite à m’indiquer si vous êtes susceptible d’engager des discussions dans ce cadre. À défaut de réponse le 15 juin 2009, je considérerai que vous ne souhaitez pas envisager une rupture contractuelle de votre contrat. »

Il n’est guère étonnant que la cour de Versailles ait estimé que « la rupture conventionnelle supposant un consentement donné par le salarié en connaissance de cause et dont l’intégrité doit être assurée, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’employeur pour détourner des garanties accompagnant un licenciement » (ici personnel, avec requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse). Tout cela n’est pas sans rappeler la jurisprudence sur les plans de départs volontaires : d’accord, si l’entreprise a offert une vraie alternative ; non si cette dernière s’est résumée à « la porte par départ volontaire, sinon la porte par licenciement économique ».

RC2 ET LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES

En termes de « procès-dures » comme de contrôle judiciaire (reclassement dans l’ensemble du groupe international, contrôle de la cause réelle et sérieuse, etc.), le droit du licenciement économique est le plus redouté des entreprises car le moins sûr sur le plan juridique, mais aussi économique, voire médiatique. D’où les craintes initiales d’une utilisation massive de la RC2 pour échapper à toutes ces vastes obligations.

Si l’on voit mal une entreprise signer 456 RC2 le même jour, une telle fraude n’était pas à exclure pour les ruptures proches du seuil fatidique des 10 licenciements sur trente jours qui oblige à monter un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). L’arrêt rendu par la chambre sociale le 9 mars 2011 yamisbon ordre : « Lorsqu’elles ont une cause économique et s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l’une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l’employeur en matière de plan de sauvegarde de l’emploi ;

« Attendu que pour débouter le comité et les syndicats de leur demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement limitée au seul projet de 18 licenciements économiques proprement dits, l’arrêt retient que les ruptures conventionnelles résultant d’un motif économique échappent légalement au droit du licenciement économique ;

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que de nombreuses ruptures conventionnelles résultant d’une cause économique étaient intervenues dans un contexte de suppressions d’emplois dues à des difficultés économiques et qu’elles s’inscrivaient dans un projet global et concerté de réduction des effectifs, la cour d’appel a violé les textes sus-visés. »

En l’espèce, la fraude était manifeste, et le juge l’a légitimement sanctionnée s’agissant de la procédure liée au PSE. Mais sur le fond il a dû qualifier la cause de la rupture : ce que tout le système voulait justement éviter, car c’est la chose des parties. Or, en droit du travail, de la cause du contrat de séparation à la cause réelle et sérieuse du licenciement, la frontière est ténue. Mais, dans ce même arrêt, la Cour de cassation a aussi précisé que n’étant pas partie à ces ruptures, ni le comité d’entreprise ni les syndicats n’avaient qualité pour agir en annulation.

LE CONTENTIEUX DU REFUS D’HOMOLOGATION

Divisé par trois en trois ans, le refus d’homologation était au début de l’année 2011 dans 4 cas sur 10 motivé par une indemnité inférieure au minimum légal, et dans 3 cas sur 10 par le non-respect du délai de rétractation : pas de quoi fouetter un chat, et facilement améliorable. Mais son contentieux est très médiatisé bien que statistiquement insignifiant : l’avalanche de procès annoncée fin 2008 n’a évidemment jamais eu lieu s’agissant a priori d’une rupture d’un accord commun, et non d’un licenciement générant de vieux comptes à régler, sinon un travail de deuil professionnel.

Il s’agit cependant d’un ovni judiciaire : souvent initié devant le conseil de prud’hommes sur demande commune de l’employeur et du salarié, il met en cause l’administration du Travail, un peu ébahie de se retrouver sur le banc des accusés. Le tonitruant arrêt de la cour de Versailles a admis le 14 juin 2011 qu’un conseil de prud’hommes délivre, en référé, l’homologation refusée par la Direccte. Il semble stupéfiant qu’un juge judiciaire délivre lui-même une homologation administrative destinée à limiter les fraudes en amont. L’annulation du refus de l’administration doit conduire les parties à négocier une seconde RC2, cette fois conforme.

FLASH
La RC2 des RP

L. 1237-15 : « Les représentants du personnel peuvent bénéficier des dispositions de la présente section […]. La rupture conventionnelle est soumise à l’autorisation de l’inspecteur du travail. » Après avoir vérifié que la consultation du comité d’entreprise a été faite et que le consentement du salarié est parfaitement éclairé, l’inspecteur ne délivre donc pas ici une homologation mais une véritable autorisation spécifique après enquête contradictoire. Le rapport au BIT du ministère du Travail de décembre 2011 remarque d’ailleurs « un usage parfois discutable, voire illégal au regard des obligations légales, et des pratiques déloyales à l’encontre du salarié protégé ». Il est donc important que ce soit le délégué lui-même qui soit en rapport avec l’Inspection du travail.

Quel contrôle effectuera le Conseil d’État sur cet acte administratif si particulier ? Se contentera-t-il du contrôle de la liberté de consentement ? Examinera-t-il la somme – souvent beaucoup plus importante que pour un simple salarié – donnée au délégué en s’interrogeant sur sa cause ? Si le mandat est hors commerce, trouver du travail sera plus difficile. Quid en cas d’annulation ? Rendez-vous en 2013…

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray