logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Les DRH monde reprennent de la hauteur

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.02.2012 | Laure Dumont

On les a crus aux ordres, rompus par la crise, éclipsés par les financiers. Au cœur des enjeux de l’entreprise, les DRH monde des groupes français sont aussi des vecteurs de cohérence et de vision essentiels.

Place des Carmes. Siège de Michelin, à Clermont-Ferrand. Le saint des saints. Une salle de réunion immense, remplie de tables rondes en bois clair. Jean-Michel Guillon y entre à grands pas en souriant, le regard direct. Le DRH du groupe clermontois est un grand homme sympathique et affable. Un pur Bib, comme on dit ici. Depuis maintenant plus de cent ans que dure l’aventure, le cœur de Michelin continue de battre en Auvergne, mais la pulsation se répercute dans le monde entier, des banlieues de Shanghai aux plantations brésiliennes en passant par les quartiers tranquilles et verdoyants du vieux Sud américain.

Mondialisé dès les années 70 par un François Michelin visionnaire, le groupe est aujourd’hui marqué par l’organisation matricielle mise en place par son fils, Édouard. Un quadrillage qui comprend notamment huit zones géographiques. S’il est physiquement basé à Clermont-Ferrand, Jean-Michel Guillon est un globe-trotteur qui passe, chaque année, au moins une semaine complète dans chaque zone, au contact des « personnels » parce que, faut-il le rappeler, chez Michelin « l’homme n’est pas une ressource ». « Notre premier principe, où que l’on soit dans le monde, est que l’on ne recrute pas une expertise mais une personne, insiste Jean-Michel Guillon. Ensuite, il nous importe qu’une fois ce cadre RH donné la spécificité de chaque pays soit respectée. »

Un quinqua français et blanc. Demeurer garant de la culture d’un groupe tout en restant ouvert et attentif à tous ses développements et évolutions : être DRH « monde », avec un périmètre mondial, est un vaste programme, qui demande autant de convictions que de plasticité. À l’heure de la mondialisation galopante, du multiculturalisme, de la diversité tous azimuts, mais aussi des grandes remises en question suscitées par la crise, qui sont ces fameux DRH groupe ? Quels sont leurs profils, leurs missions, quels rôles jouent-ils réellement auprès de leurs P-DG et quel impact ont-ils sur la stratégie ? La financiarisation des entreprises a-t-elle eu raison de la fonction, finalement ?

Sans surprise, les DRH des 40 plus grosses entreprises françaises, celles qui constituent le CAC 40, sont, à une écrasante majorité, des hommes, blancs et français, dans la cinquantaine en moyenne et dotés d’un bagage académique assez homogène qui s’articule autour de deux dominantes : droit et école de commerce. Étonnamment, on compte peu de « grosses têtes » issues du sérail du top des grandes écoles françaises (un X, quelques énarques…).

Sur les 40, on trouve huit DRH « étrangers », chez Axa, EADS, Lafarge, par exemple, et seulement neuf femmes, comme chez LVMH, Schneider, à la Société générale… Les plus seniors du panel sont plutôt issus de la fonction RH alors que les plus jeunes (la benjamine en tête Christel Heydemann, 36 ans, DRH d’Alcatel) proviennent davantage de l’opérationnel et du business. La plupart d’entre eux font partie du comex.

Voilà pour le portrait-robot. Faut-il déplorer son uniformité, voire un certain conformisme ? Incontestablement, sur la question du « genre ». Mais pas forcément pour le reste. Comme l’illustre la réussite internationale de quelques­uns de nos champions comme Saint-Gobain, LVMH, Danone ou L’Oréal, les Frenchies ne sont pas si mal dotés dans la grande compétition mondiale des talents.

Selon David Slack, consultant d’origine britannique basé en France depuis trente ans et qui a formé près de 5 000 expatriés, français et étrangers, chez des industriels français, aux enjeux du multiculturalisme, les Français tirent bien leur épingle du jeu : « Depuis cent cinquante ans, on pousse les Européens à regarder vers le Grand Ouest, à épouser le référentiel anglo-saxon de l’efficacité. Les Français, en particulier, ne cessent de se dévaloriser à ce propos cmais ils se sont évertués à adopter ce modèle. Or l’ouverture actuelle sur l’Asie nous apporte une nouvelle manière de penser, de voir le monde. Et là, les Français savent construire la confiance et trouver des points communs avec les Asiatiques. Avec leurs capacités d’analyse, de réflexion et de modélisation, ils ont finalement beaucoup à leur apporter. »

Pour Isabelle Calvez, ex-DRH de Groupama, la fonction de DRH international va désormais bien au-delà du choc des cultures. Dans l’ouvrage Regards de femmes DRH sur un monde en mutation (Edgard Added et Autres, éd. Pearson, 2011), elle défend l’idée selon laquelle le management doit être une compétence universelle : « On peut s’interroger sans fin sur la difficulté pour les DRH de mettre en place des politiques vraiment internationales. On peut débattre à l’infini des différences entre les cultures […]. Et si le rôle des DRH était non pas de résoudre ces questions infinies, mais de les dépasser ? […] La clé ? Elle ne réside pas dans les grandes théories, mais dans l’action, en tournant les collaborateurs vers le même objectif. »

Autre exigence qui revient dans les témoignages des DRH : la cohérence, alors qu’ils sont, de fait, pris dans un grand écart permanent entre les plus hautes sphères de l’entreprise et le terrain. « Mes informations proviennent aussi bien des managers, que des collaborateurs ou des élus du personnel, et je dois en faire la synthèse, raconte Jeremy Roffe-Vidal, le DRH de Capgemini. Les problématiques RH sont souvent similaires dans l’ensemble des pays. Mes échanges réguliers avec les 200 premiers managers du groupe sont transparents et me permettent d’agir en temps réel où cela est nécessaire. » Pour garder le contact, ce DRH d’origine allemande passe quatre à cinq jours par semaine en déplacement de juillet à décembre et deux jours hebdomadaires l’autre moitié de l’année.

“On voit arriver des DRH qui sont tout sauf des béni-oui-oui” (Carine Dartiguepeyrou)

Marianne Laigneau, la DRH d’EDF, considère la fonction RH comme « la garante de la cohérence et de la culture du groupe, au-delà de la diversité des pays [où EDF est implanté]. Le DRH agit dans une organisation complexe, matricielle, qui mêle les fonctions corporate, les métiers, les zones géographiques ; mais au fond mon rôle est avant tout d’incarner l’ambition sociale du groupe impulsée par le président tout en restant à l’écoute du terrain. » Cette énarque et normalienne appelle cela l’« effet hélicoptère », et passe 30 % de son temps en déplacement à l’étranger. Nommée en 2010, elle a fait tout au long de l’année 2011 un roadshow dans l’ensemble des sites étrangers du groupe.

De la hauteur de vue et de la cohérence tout en maintenant le lien social. Et ce n’est pas tout : il faut aussi être écouté – et entendu – dans les comex et les codir. Le sont-ils vraiment ? « De plus en plus, note Catherine Blondel, psychanalyste et coach de dirigeants. Avec la montée au zénith de la souffrance au travail et des préoccupations sur les conditions de travail, les DRH portent cette parole dans les comités de direction et vivent une vraie relégitimation. Ils retrouvent une certaine fierté et un rôle stratégique car ces risques sociaux sont eux-mêmes devenus stratégiques. »

On les croyait supplantés par leurs collègues DAF… mais c’est une autre réalité qui se dessine aujourd’hui. « Dans la plupart des groupes du CAC 40, on est encore dans l’ère industrielle, et les DRH actuels en sont représentatifs, souligne Carine Dartiguepeyrou, consultante et prospectiviste, coauteure du DRH du IIIe millénaire (éd. Village mondial, 2009), mais c’est la fin d’une époque. Même s’il s’agit d’une tendance encore minoritaire, on voit arriver dans les entreprises les plus évoluées des DRH qui sont tout sauf des béni-oui-oui. Des DRH stratèges qui ont des convictions, un goût naturel pour la prospective, une vraie posture éthique et une exigence de cohérence entre ce qu’ils annoncent et ce qu’ils font. »

Des DRH « au cœur de la pâte ». Sans oublier l’ancrage et la compréhension fine du business. Comme le souligne Muriel Pénicaud, DRH de Danone, « le business partner est un concept dépassé ; le DRH doit être plus au cœur de la pâte ». À son initiative, le groupe alimentaire français s’est donné dix ans, d’ici à 2020, pour bâtir, en y associant étroitement les DG opérationnels et 50 DRH mondiaux, une nouvelle vision RH. Désormais, la rémunération des dirigeants, par exemple, est calculée selon trois critères : le social, le management et le business.

Pour le DRH de Capgemini, l’association étroite aux décisions stratégiques est cruciale et ses répercussions sont très concrètes : « Je dois savoir quelles sont les orientations dans nos métiers pour l’année à venir, car mon rôle est ensuite de les traduire en matière de compétences. Or, pour réorienter une machine de recrutement, il faut bien six mois. » Garants de la culture, ouverts aux évolutions, proches des métiers et du terrain, attentifs aux enjeux stratégiques tout en veillant au maintien du lien social, réactifs mais aussi visionnaires… Mission impossible ou métier d’avenir ?

Jeremy Roffe-Vidal, 41 ans, DRH groupe de Capgemini, 120000 salariés dans 40 pays.

« Je sers de soupape »

« Ma responsabilité est d’être un vecteur de cohérence dans la mise en place des principaux process, en m’assurant notamment du respect de l’équité, du développement du dialogue social et de l’efficacité du management local. »

Jean-Michel Guillon, 52 ans, DRH du groupe Michelin, 111000 salariés dans 18 pays.

« Je suis une sorte de gardien du temple »

« Aujourd’hui, tout l’enjeu, qui dépasse Michelin mais sur lequel Michelin est déjà avancé, consiste à combiner la mécanique des processus et de la standardisation avec toute la créativité et la responsabilité des personnes. »

Jeremy Roffe-Vidal,

41 ans, DRH groupe de Capgemini, 120 000 salariés dans 40 pays.

“Je sers de soupape”

« Ma responsabilité est d’être un vecteur de cohérence dans la mise en place des principaux process, en m’assurant notamment du respect de l’équité, du développement du dialogue social et de l’efficacité du management local. »

Jean-Michel Guillon,

52 ans, DRH du groupe Michelin, 111 000 salariés dans 18 pays.

“Je suis une sorte de gardien du temple”

« Aujourd’hui, tout l’enjeu, qui dépasse Michelin mais sur lequel Michelin est déjà avancé, consiste à combiner la mécanique des processus et de la standardisation avec toute la créativité et la responsabilité des personnes. »

Marianne Laigneau,

47 ans, DRH groupe EDF, 160 000 salariés dans 25 pays.

“Je dois être un capteur”

« Ma priorité est de m’assurer que la vision RH, dans ce que nous voulons être en termes de valeurs, d’ADN, de RSE, réponde aux attentes des salariés en appui de la stratégie du groupe. »

Auteur

  • Laure Dumont