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Politique sociale

Plus besoin de licencier pour dégraisser

Politique sociale | publié le : 01.02.2012 | Éric Béal

Entre emplois flexibles, outils de la GPEC, ruptures conventionnelles…, réduire les effectifs sans licenciements secs est devenu aisé. Les entreprises ne s’en privent pas.

Contrairement à la tradition, l’approche de l’élection présidentielle ne freine plus les suppressions d’emplois. Ces derniers mois ont vu se succéder les annonces, avec un millier de postes supprimés en 2012 chez Air France-KLM, 1 200 chez Areva, plusieurs centaines à la Société générale et chez BNP Paribas. Et un plan d’économie, présenté en janvier par la Fnac, prévoyant 310 suppressions de postes en France. Le président de la République n’a pas attendu la nouvelle année pour réagir. En novembre 2011, à l’annonce d’une réduction de quelque 4 000 postes chez PSA Peugeot Citroën, il convoque Philippe Varin, le président du directoire. « Je peux vous assurer qu’il n’y aura pas de plan social en France chez PSA », affirme Nicolas Sarkozy à la fin de l’entretien. Et d’expliquer que « les 2 000 salariés les plus directement concernés seront tous reclassés, soit à l’intérieur du groupe, soit à l’extérieur, notamment chez ses prestataires »…

Flexibilité externe. Tour de prestidigitation ou exercice de communication politique ? Ni l’un ni l’autre. Chez PSA, la flexibilité est d’abord externe. Plus de la moitié des postes supprimés s’appuient sur la réduction de l’intérim, des CDD et le départ des salariés de sous-traitants mis à disposition sur les sites de production. Résultat, présentant son dispositif d’accompagnement du « redéploiement des emplois », la direction du groupe automobile a indiqué que ces mesures concernaient 1 900 collaborateurs en CDI. Autre solution, le gel des embauches. Alexandre de Juniac, le nouveau P-DG d’Air France, prévoit de geler celles des personnels navigants en 2012, les départs naturels provoquant une réduction des effectifs. La méthode est bien connue en interne puisqu’il n’y a plus d’embauche de personnel au sol depuis février 2009. Même solution chez Areva, où Luc Oursel, le P-DG, compte sur les 1200 départs naturels annuels pour faire des économies au cours de son plan quinquennal.

Au-delà de ces comptes d’apothicaires, les entreprises ont d’autres moyens pour diminuer leurs effectifs sans licencier. « Les plans sociaux et les licenciements économiques ne sont plus l’alpha et l’oméga en matière de réduction des effectifs. Depuis quelques années, les grandes entreprises privilégient les résiliations à l’amiable du contrat de travail », souligne Dominique Paucard, responsable du pôle licenciements et restructurations chez Syndex et spécialiste de l’accompagnement des comités d’entreprise. Le volontariat est en effet très prisé des DRH. Pour restructurer ses activités de banque de financement et d’investissement, la Société générale a choisi de négocier un accord de méthode préalable au plan social. Le texte privilégie les départs volontaires et les reclassements internes. « Il fallait rassurer les équipes et sécuriser la restructuration sans passer par une négociation longue sur le PSE », explique-t-on à la DRH, où l’on admet avoir bon espoir que les aides financières aboutiront à plusieurs centaines de départs. Un objectif qui ne gêne pas la CGT, signataire de l’accord. « Nous avons obtenu les garanties pour que les salariés touchés puissent être reclassés en interne, insiste Philippe Fournil, l’un des négociateurs CGT. Mais c’est vrai que les indemnités de départ – jusqu’à 280 000 euros – sont très attractives. »

Mobilité externe via la GPEC. Depuis quelques années, les départs volontaires peuvent également s’organiser sans respecter les règles applicables aux licenciements économiques. Grâce à la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005. En rendant obligatoire la négociation d’accords sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) tous les trois ans pour les entreprises de plus de 300 salariés, ce texte a donné aux DRH l’occasion de négocier des clauses permettant d’anticiper les mesures d’accompagnement à la mobilité interne et externe, en dehors de tout PSE. Signé en mars 2007, l’accord de GPEC de Peugeot Citroën Automobile SA propose des indemnités financières extralégales, de la formation et des prêts remboursables à taux zéro pour les créateurs d’entreprise. Le groupe complète ces propositions avec une majoration de l’indemnité de départ volontaire à la retraite. En tout, un salarié gagnant 1 300 à 1 400 euros net par mois peut se voir offrir 40 000 à 50 000 euros pour partir. Difficile de dire non. « L’accord de GPEC a ouvert un guichet départs permanent, estime Hassan Asgour, DS CFDT. Je connais des salariés qui n’ont pas résisté à la tentation et ont prétendu avoir un projet de création d’entreprise pour toucher les indemnités. Mais seuls 15% de ceux qui partent de cette façon réussissent, les autres se retrouvent rapidement à Pôle emploi. »

La GPEC a donné aux DRH l’occasion de négocier des clauses permettant d’anticiper les mesures d’accompagnement à la mobilité interne et externe, en dehors de tout PSE

Le secteur public connaît une évolution similaire. En novembre, la direction de DCNS a annoncé un plan de départs volontaires concernant les ouvriers d’État positionnés sur des « emplois sensibles »: 150 à 200 départs de ce type sont espérés d’ici à fin 2014. Une proposition pour « respecter l’équité avec leurs collègues du ministère de la Défense qui bénéficient de dispositions équivalentes dans le cadre de la RGPP », assure Alain Guillou, le DRH. Cette volonté d’éviter PSE et licenciements économiques secs commence à se voir dans les statistiques. Alors que le nombre de licenciés économiques s’élevait en moyenne à 24 000 chaque mois durant l’année 2000, il n’est plus que de 13 000 dans les onze premiers mois de 2011, d’après les statistiques du ministère du Travail.

Parallèlement les entrées à Pôle emploi dans la catégorie « autres cas » explosent, passant de 135 000 à environ 200 000 dans la même période. Tandis que les « autres licenciements » augmentent légèrement. Dirigeant du cabinet Latitude RH, Xavier Tedeschi estime que c’est la logique inflationniste des négociations préalables aux plans sociaux qui explique cette situation. « Négocier un plan social est de plus en plus compliqué, indique-t-il. Les représentants syndicaux s’appuient sur les PSE antérieurs pour obtenir de meilleures conditions de départ. Afin d’échapper à ce piège, les entreprises et en particulier les PME utilisent l’évolution du droit du travail pour inciter les salariés à partir. »

Reste un dernier moyen de se séparer d’un salarié, c’est la rupture conventionnelle. Depuis 2008, une entreprise peut proposer une rupture conventionnelle, ou séparation à l’amiable, sans avoir besoin d’accuser le salarié de tous les maux pour justifier son licenciement. Très utilisée par les PME, la formule est néanmoins surveillée de près par les Direccte, indique Xavier Berjot, avocat associé au sein du cabinet Ocean Avocats et auteur de la Rupture conventionnelle (éditions Afnor, 2011) (voir interview, ainsi que la chronique de Jean-Emmanuel Ray, page 50). « La Direction générale du travail a fourni des indices pouvant caractériser le recours abusif à la rupture conventionnelle pour éviter un PSE. Dix demandes d’homologation sur trente jours. Une demande sur trois mois, faisant suite à dix demandes sur les trois mois antérieurs. Ou encore des demandes d’homologation qui, combinées à des licenciements pour motif économique, conduisent au dépassement des seuils », précise l’avocat.

Ce mode de séparation connaît un succès croissant. D’autant plus que les indemnités de départ accordées dans ce cadre bénéficient des mêmes dispositions fiscales que celles versées pour un licenciement économique.

Au premier semestre 2011, 137 000 ruptures conventionnelles ont été officialisées, soit 15 000 de plus que pour la même période en 2010. « Les employeurs cherchent à éviter les contraintes associées au licenciement économique. Quant aux salariés, ils revendiquent de plus en plus la possibilité d’obtenir des indemnités extralégales », note Dominique Paucard. Une convergence qui est peut-être le signe avant-coureur d’une nouvelle relation salariale.

Xavier Berjot Avocat associé au sein du cabinet Ocean Avocats
« Les départs volontaires pour motif économique ne dispensent pas d’un PSE »

Les entreprises annoncent des réductions d’effectifs sans licenciements économiques. Comment est-ce possible ?

Les entreprises ont tendance à privilégier les départs volontaires, qui sont mieux acceptés par les salariés. Il n’est d’ailleurs pas rare, en pratique, que les candidats au départ soient plus nombreux que les postes à supprimer. Cela étant, l’article L. 1233-3 du Code du travail soumet ces départs volontaires aux règles applicables aux licenciements économiques. Avec obligation d’un PSE quand les seuils de mise en place sont atteints, procédure identique et indemnités similaires.

Est-il possible de contourner le PSE pour procéder à une réduction d’effectifs ?

Non, même les évolutions législatives les plus récentes ne permettent pas de contourner l’obligation de mise en place d’un PSE, contrairement à une croyance répandue. Les licenciements économiques sont principalement régis par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui a réformé le régime du licenciement pour motif économique, notamment pour en prévenir la survenance dans les entreprises économiquement saines. Cette loi a aussi renforcé le rôle des représentants du personnel et de l’administration du travail dans le processus.

Un plan de départs volontaires permet-il d’éviter un PSE ?

Non. Les plans de départs volontaires sont soumis aux règles applicables aux licenciements économiques. Ainsi, l’employeur a l’obligation de mettre en place un PSE lorsque au moins 10 ruptures du contrat de travail sont envisagées sur une période de trente jours dans une entreprise d’au moins 50 salariés, que ces ruptures du contrat de travail se matérialisent par des licenciements ou des départs volontaires. Les règles à respecter dans ce cadre sont toutes celles qui régissent le licenciement économique, notamment en matière d’information-consultation du comité d’entreprise. La Cour de cassation considère ainsi que « les dispositions des articles L. 321-1 et suivants du Code du travail [aujourd’hui L. 1233-3 et suivants] sont applicables à toute rupture des contrats de travail reposant sur un motif économique, peu important que les emplois soient supprimés par voie de départ volontaire » (Cass. soc., 4 avril 2006 n° 04-48.055). L’employeur doit donc être conscient de ce que les départs volontaires pour motif économique, comme d’ailleurs les ruptures d’un commun accord pour ce même motif, ne dispensent pas de la mise en place d’un PSE.

Les ruptures conventionnelles peuvent-elles être un substitut aux PSE ?

Le Code du travail prévoit que la rupture conventionnelle n’est pas applicable aux ruptures de contrats de travail résultant des PSE (article L. 1237-16 du Code du travail). Par ailleurs, l’article L. 1233-3, alinéa 2, indique que les dispositions du chapitre iii surle « licenciement économique » sont applicables à toute rupture du contrat de travail, à l’exclusion de la rupture conventionnelle. Cela étant, comme la Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 9 mars 2011, lorsqu’elles ont une cause économique et s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel ainsi que les obligations de l’employeur en matière de PSE (Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581). Certaines entreprises utilisent la rupture conventionnelle comme substitut au PSE, mais il s’agit d’une situation marginale.

Auteur

  • Éric Béal