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Politique sociale

La flexibilité à nouveau sur la table en Espagne

Politique sociale | publié le : 01.01.2012 | Cécile Thibaud

Le président Rajoy a sommé les partenaires sociaux de trouver un accord pour flexibiliser le marché et doper les embauches. Sur fond de scepticisme.

La réforme du marché du travail sera le premier chantier du nouveau gouvernement espagnol. Avant même d’avoir pris ses fonctions, le nouveau président, Mariano Rajoy, leader du Parti populaire (conservateur), avait déjà distribué les devoirs. Dès le 30 novembre, il a confié au patronat et aux syndicats une feuille de route pour redessiner de concert le schéma de la négociation sociale et débloquer la situation de l’emploi. À eux de trouver un accord sur la réorganisation du mode de négociation collective, en intégrant l’amélioration de la flexibilité interne des entreprises, la baisse du coût du licenciement, la lutte contre l’absentéisme et le renforcement de la formation et de l’apprentissage. Selon le calendrier annoncé, les partenaires sociaux ont jusqu’au 6 janvier pour mettre sur la table leurs propositions. Passé cette date, a prévenu Mariano Rajoy, le gouvernement légiférera, avec ou sans leur aval.

Dans le flou et l’imprécision qui ont caractérisé le programme de la droite espagnole durant la campagne pour les élections législatives du 20 novembre, une chose a toujours été sûre : le gouvernement sorti des urnes allait revoir la législation du travail. Objectif : flexibiliser le marché de l’emploi et doper les embauches. Une priorité absolue, alors que le pays est plombé par ses 5 millions de chômeurs, soit plus de 21,5 % de la population active. L’Espagne, qui avait généré près de deux tiers des emplois créés au sein de l’Union européenne dans les années 2000, s’est engouffrée depuis 2008 dans un processus de destruction d’emplois dont personne n’entrevoit la fin. L’explosion de la bulle immobilière a provoqué le brutal coup de frein du secteur de la construction et pulvérisé 1,7 million d’emplois, déclenchant un effet domino sur les autres secteurs de l’économie. Aujourd’hui, dans plus de 1,5 million de foyers espagnols, tous les membres sont au chômage !

Nouveau tour de vis social en perspective. Le constat est simple, les solutions sont plus discutées. « On parle de la réforme du droit du travail comme d’une formule magique, mais ne rêvons pas, la loi ne crée pas de l’emploi, avertit Marcos Pena Pinto, le président du Conseil économique et social. Il est raisonnable de flexibiliser et de coordonner le marché du travail. Mais il ne faut pas transformer la réforme en butin de guerre gagné aux urnes. » Car si Mariano Rajoy a été jusqu’ici modéré dans ses déclarations, d’autres ont commencé à dessiner pour lui les contours d’un nouveau tour de vis social. Parmi eux, l’entrepreneur madrilène Arturo Fernandez, représentant de l’aile dure du patronat : « Le café gratis pour tous, c’est fini. Il faut penser d’abord aux obligations et ensuite aux droits », proclame-t-il, avant de réclamer la fin de ce qu’il appelle « l’hégémonie syndicale »: « Il faut revenir à la culture de l’effort, ne plus rêver qu’on est un pays riche », dit-il en préconisant au passage la fin de la santé et de l’éducation gratuites. « Les travailleurs n’ont pas à payer seuls le prix de la crise », argumente Fernando Lezcano, porte-parole du syndicat Commissions ouvrières, qui s’alarme de la précarisation grandissante des salariés. « La réalité, c’est que le droit du travail est piétiné quotidiennement. Dans les petites entreprises, les salaires sont payés avec des mois de retard, baissés sans préavis, et les contrats précaires s’enchaînent au-delà des limites légales. » Mais qui irait se plaindre d’avoir du travail ?

Les syndicats, qui ont jusqu’ici préféré la négociation à la confrontation, s’opposent à l’austérité comme unique remède face à la crise et réclament en parallèle un plan de relance pour réactiver l’économie. Ils protestent contre le démantèlement de la protection sociale, victime des coupes budgétaires déjà opérées par le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, avec la diminution de l’aide aux chômeurs de longue durée et des aides à la famille, le gel des retraites, la baisse de 5 % du salaire des fonctionnaires… Et ce n’est qu’un début : certaines régions ont commencé à donner un nouveau coup de ciseaux, simple prélude, glisse-t-on dans la nouvelle majorité, à ce que va faire le futur gouvernement de Mariano Rajoy. « Il n’y a rien de plus antisocial que 5 millions de chômeurs », affirme Juan Rosell, le président de la confédération patronale CEOE, partisan d’un allégement du coût du licenciement pour améliorer la fluidité du marché du travail.

Au sein des milieux patronaux, aucun doute : la solution passe par des accords d’entreprises permettant aux employeurs de manier le levier de la flexibilité interne, en révisant les salaires et les conditions de travail en fonction des nécessités de production. « Les employeurs perçoivent la législation actuelle comme une entrave à la réactivité des entreprises, explique l’avocat Salvador del Rey, président de l’Institut international Cuatrecasas de stratégie légale en ressources humaines. Il est tellement difficile de modifier les conditions de travail des salariés en cas d’adversité économique que le plus simple et le plus rapide est de licencier, plutôt que de se plonger dans des processus juridiques longs, laborieux et incertains… »

Tandis que patronat et syndicats ont repris le chemin de la négociation, le scepticisme s’installe. « Le passage à droite du gouvernement n’a pas restauré la confiance des marchés financiers ni fait baisser le coût de la dette. Preuve que, quoi qu’il arrive, c’est à Bruxelles que l’avenir se décide, note le politologue Fernando Vallespin, professeur à l’université autonome de Madrid. La réforme du marché du travail va suivre la même ligne, tracée par l’Europe. Si elle permet de desserrer l’étau des marchés, tant mieux ! Et si elle aide à endiguer le chômage, c’est encore mieux… »

Auteur

  • Cécile Thibaud