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Politique sociale

Le droit de grève menacé au Canada

Politique sociale | publié le : 01.12.2011 | Ludovic Hirtzmann

Le Premier ministre canadien veut casser les syndicats en leur interdisant la grève. Or ceux-ci sont déjà fragilisés par leurs propres erreurs stratégiques et par des scandales.

Rien ne va plus pour les syndicats canadiens. À la mi-octobre, moins de vingt-quatre heures après le dépôt d’un préavis de grève à Air Canada, la ministre du Travail, Lisa Raitt, a menacé les syndiqués de la compagnie aérienne de faire voter une loi spéciale obligeant les grévistes à reprendre le travail. Sous la menace, le syndicat d’Air Canada a plié, comme il y a quelques mois déjà. Les organisations de salariés ont très vite été convaincues que la ministre ne bluffait pas. Lisa Raitt a déjà mis sa menace à exécution en juin lors d’une grève de Postes Canada. En cas de refus de retourner travailler, chaque employé aurait dû payer une amende de 1 000 dollars (710 euros) par jour. Quant au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), il aurait dû débourser des sommes encore plus élevées. « Harper se moque de nos droits. Tout ce qui l’intéresse, c’est de plaire à son électorat de Rednecks [terme péjoratif utilisé pour désigner les ruraux, NDLR] de l’Ouest », confie cette postière québécoise. Même rancœur chez les salariés d’Air Canada : « Le gouvernement conservateur maltraite nos droits et encourage une détérioration des relations de travail », a ­affirmé à l’agence de presse La Presse canadienne Mathieu Pageau, un steward favorable à la grève. Les leaders syndicaux partagent cette colère. Le président du STTP, Denis Lemelin, y voit une « tragédie pour la démocratie », alors que le président du Syndicat des travailleurs canadiens de l’automobile (TCA, représentant une partie des salariés d’Air Canada), Ken Lewenza, s’inquiète de ces mesures radicales. « Les membres du gouvernement Harper ne se préoccupent pas du tout du climat destructeur qu’ils sont en train d’instaurer dans les relations de travail au Canada », a déploré le syndicaliste.

Une haine profonde des syndicats. Ami de George W. Bush, très inspiré par Margaret Thatcher, le Premier ministre canadien a une haine profonde des syndicats et une vision très encadrée de la démocratie. Selon le professeur Reynald Bourque, de l’École de relations industrielles de l’université de Montréal (UDM), « le gouvernement conservateur, fort de sa nouvelle majorité au Parlement depuis les élections de mai dernier, a décidé de régler les conflits par des lois spéciales imposant le retour au travail ». Pour limiter le droit de grève, la ministre du Travail a invoqué « des torts importants causés aux petites entreprises et aux consommateurs » et les conséquences négatives des grèves sur l’économie. « Idéologiquement situé à droite et viscéralement opposé à la contestation syndicale, ­sinon aux syndicats eux-mêmes, Stephen Harper a voulu montrer rapidement par deux menaces de lois spéciales qu’il ne tolérera pas les arrêts de travail », indique le professeur Jean Charest, directeur de l’École de relations industrielles de l’UDM. Pour son confrère Reynald Bourque, « les syndicats représentant les salariés du gouvernement fédéral et ceux relevant des secteurs d’activité sous juridiction fédérale seront exposés à de fortes pressions dans les prochaines années ».

Plus que les syndicats des provinces, ce sont les syndicats sous compétence fédérale pour les entreprises publiques et parapubliques qui sont les premiers menacés par les conservateurs. Pourtant, ces organisations sont riches et puissantes. Lorsqu’un syndicat représente plus de 50 % des employés dans une entreprise, tous les salariés doivent y cotiser. La cotisation est prélevée sur chaque bulletin de paie. Les centrales disposent donc d’importantes réserves. Elles peuvent, lors de conflits, verser jusqu’à 80 % des salaires des grévistes pendant des mois, voire des années. Pour autant, les syndicats ne sont pas à l’abri d’erreurs stratégiques. Ils se sont lancés ces dernières années dans des guerres qu’ils étaient certains de gagner. Or ils ont trouvé face à eux des employeurs déterminés, qui n’ont pas plié, comme dans ce conflit au quotidien Le Journal de Montréal, qui a duré deux ans et qui s’est soldé en début d’année par le licenciement de presque 80 % du personnel !

Au-delà des erreurs stratégiques, il y a des raisons structurelles à la fragilité syndicale. Les jeunes sont de moins en moins attirés par le syndicalisme, à la fois par désintérêt pour le militantisme, mais aussi parce que l’image des organisations est écornée par des scandales. Au Québec par exemple, une commission d’enquête indépendante a mis en évidence des liens entre les syndicats du secteur de la construction et le crime organisé. Du coup, le gouvernement a engagé un bras de fer au début de l’automne. Mais à la différence du pouvoir fédéral, l’objectif de Québec est moins de casser les syndicats que d’en assainir le paysage. Les syndicats de la construction ont le monopole de l’embauche et décident de l’organisation du travail sur les chantiers. « J’ai vu un jeune travailleur se faire tabasser parce qu’il ne voulait pas quitter un chantier. J’ai vu un chantier sur la rive nord [de Montréal] où un gars est parti en ambulance », confiait en octobre au Journal de Montréal la ministre du Travail du Québec, Lise Thériault.

Outre cette image déplorable dans certains secteurs, « les syndicats ont du mal à renouveler leur discours sociopolitique, accroché pour beaucoup aux Trente Glorieuses et à un certain passé de la réalité du travail, alors que le marché a connu des mutations importantes ces vingt dernières années », note Jean Charest. Dans une interview accordée avant de prendre sa retraite au quotidien montréalais Le Devoir, il y a quelques mois, Claudette Carbonneau, la présidente de la Confédération des syndicats nationaux, l’un des deux plus grands syndicats de la Belle Province, s’est voulue optimiste : « Il y a une montée de la droite, mais cela ne signifie pas que nous sommes à genoux. » Reynald Bourque abonde dans le même sens : « Ce tournant aura sans doute comme conséquence un renouvellement des stratégies des grands syndicats du secteur public pour assurer la protection des intérêts de leurs membres. » Son collègue Jean Charest est plus sceptique : « Demain, n’importe quel syndicat en négociation se posera la question : « Vaut-il la peine de tenter un vote de grève sachant que nous ne pourrons probablement pas l’exercer plus de 24, 48 ou 72 heures ?” »

32 % C’est le taux de syndicalisation au Canada en 2010.

Il était de 40 % au Québec (contre 49,7 % en 1992).

Source : ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada.

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann