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Politique sociale

La Chine laisse ses travailleurs malades sur le carreau

Politique sociale | publié le : 01.12.2011 | Émilie Torgemen

Les affections pulmonaires font des ravages chez les ouvriers chinois. Autorités et entreprises s’évertuent à l’ignorer. Le cadre légal est insuffisant pour protéger la santé. Seuls de rares procès paient.

Durant trois ans, Zhang Haichao a taillé des briques antifeu à Xinmi (Henan) dans une de ces usines qui font la puissance de l’économie chinoise. En 2007, le jeune homme de 29 ans a commencé à tousser et à étouffer au moindre effort. Pas de doute pour les hôpitaux de la province et de Pékin consultés, à force d’avaler de la poussière à longueur de journée, le jeune ouvrier est atteint de pneumoconiose, une affection des poumons très invalidante et le plus souvent mortelle ; dix de ses anciens collègues sont morts du même mal. Mais avant d’envisager des compensations, son entreprise exige qu’il soit examiné par le centre de contrôle des maladies ­local, lequel a toujours soutenu que Zhang n’était « que » tuberculeux. En juin 2009, après deux ans de procédure, rendu furieux par ce qu’il considérait comme une fraude, le jeune ouvrier s’est fait ouvrir la cage thoracique : ses poumons sont encrassés de poussière. Le diagnostic est inattaquable. La presse chinoise s’est emparée de l’histoire, son employeur a accepté de verser 615 000 yuans (70 000 euros) de compensation au jeune malade. Zhang a aussi décidé de consacrer le reste de sa vie, estimée à six ans, à soutenir les ouvriers chinois dans le même cas que lui. Joint au téléphone deux ans après l’issue favorable de son combat, il est fatigué et déçu : « Je peux simplement dire que justice a été faite pour moi et quelques autres. Depuis, je suis entré en contact avec de nombreuses personnes qui se battent contre la mort. Mon cas n’a rien changé pour eux, seule une toute petite partie des malades en a profité. »

Qu’importe la victoire de Zhang et le coup de projecteur sur son mal, autorités et entreprises continuent d’ignorer les victimes de la pneumoconiose. D’autant plus facilement que l’arsenal juridique chinois est en défaveur des salariés. Pourtant la pneumoconiose est le mal numéro 1 des travailleurs chinois. Les statistiques officielles font état de 600 000 malades en Chine. Selon un article du Legal Daily publié le 3 mars 2010, le chiffre se situerait bien au-dessus du million… La maladie est apparue à la fin des années 1990. Sur les chantiers, dans les mines, les usines, de nombreux ouvriers ont commencé à se plaindre de fatigue et d’accès de grippe. Ils souffraient en réalité de pneumoconiose.

Identifier le responsable. À Shanghaï, l’avocat Lu Feng s’est fait une spécialité de défendre les malades de la pneumoconiose laissés sur le carreau. « Le premier procès ne sert en général qu’à établir la relation de travail, détaille-t-il. Particulièrement dans la construction, où il y a plusieurs strates de sous-traitants. » Il évoque un cas récent où il a intenté trois procès simplement pour identifier le responsable, soit six mois d’attente. Et encore, l’entreprise a reconnu avoir employé les travailleurs malades en CDD. « Nous avons presque été chanceux. Si l’entreprise s’était contentée de déclarer « je n’ai jamais vu ces personnes », nous n’aurions alors rien pu faire », note maître Lu. La loi sur la prévention et le traitement des maladies professionnelles, les réglementations sur les accidents et celles sur le diagnostic et l’appréciation des maladies professionnelles doivent en principe « protéger la santé et les autres droits des ouvriers ». Mais pour qu’elles ne s’appliquent pas, il suffit que le contrat avec le travailleur soit introuvable. Et les entreprises le savent bien.

Quand la pneumoconiose se déclare, souvent des années après la fin du contrat, il n’est pas rare que l’employé n’ait pas gardé son contrat ou qu’il n’en ait jamais réclamé, notamment parmi les travailleurs migrants, venus des campagnes, qui bougent d’une province à une autre, d’une usine à une autre. Autre obstacle,? pour pouvoir attaquer son employeur, le salarié doit fournir un ensemble de pièces, comme l’évaluation de la dangerosité du site de travail… qui sont entre les mains de l’entreprise.

Les employeurs voyous ont aussi les moyens de contourner ces lois en achetant les médecins. Pour les ouvriers les plus exposés, des visites médicales doivent être organisées avant, pendant et après leur contrat dans les centres locaux habilités. Un centre à la solde de l’entreprise délivrera des certificats sans pneumoconiose. C’est, soupçonne aujourd’hui encore Zhang Haichao, ce qui lui est arrivé. Peu probable que des médecins puissent confondre cette pneumoconiose et la tuberculose… mais la collusion n’a jamais été prouvée.

Les employeurs voyous ont aussi les moyens de contourner les lois en achetant les médecins

Inspection du travail indigente. Une loi actuellement à l’étude vise à simplifier le processus kafkaïen de diagnostic et d’indemnisation. En revanche, rien n’est fait pour étoffer l’inspection du travail, notoirement insuffisante. « C’est le plus grave », estime Wei Wei, fondateur de l’association de travailleurs migrants chinois Xiaoxiao Niao, depuis sa permanence shanghaïenne. Cette année, l’ONG prévoit de distribuer 60 000 masques, gants et guides à Pékin, Shenzhen et Shanghaï. Selon les médias chinois, 70 % des travailleurs migrants ne portent aucune protection au travail, quand il suffit d’un masque et de systèmes d’aération pour éviter la maladie. « Beaucoup de travailleurs ne comprennent pas les dangers qu’ils courent, leur direction leur cachant les risques pour économiser sur les gants ou les masques », regrette Wei Wei.

Zhong Guangwei en sait quelque chose : dans la mine de charbon du Shaanxi où il a contracté la pneumoconiose, personne ne lui a fourni de masque. Après trois ans de lutte avec son ancien employeur, en janvier 2010, il a remporté son procès et obtenu 490 000 yuans (57 000 euros) de compensation. Le patron de la mine a d’abord tenté de retarder le paiement avec ce calcul cyni­que que Zhong n’avait plus longtemps à vivre. « Je suis retourné devant un tribunal pour faire exécuter la sentence, mais des millions de yuans s’étaient envolés. Le tribunal m’a appris que le patron s’était enfui », raconte Zhong Guangwei. Via Internet, il a réussi une mobilisation sur son cas : grâce aux dons d’inconnus, il vient de subir une opération chirurgicale qui va améliorer son espérance de vie. Vider les caisses, changer le nom de l’entreprise ou déplacer son siège, la tactique, bien connue en Chine, est surnommée « changer de visage ».

Du côté des autorités et du syndicat officiel unique, aucun soutien à espérer : le rôle de la Fédération nationale des syndicats chinois est de veiller aux intérêts supérieurs du Parti – et bien souvent à ceux de ses alliés : les entrepreneurs qui font le succès de « l’économie socialiste de marché ». À Munshuan, un petit village du Sichuan, 75 malades se sont retournés contre le gouvernement de la province. Ils travaillaient dans une mine de zinc privée, également dans le Sichuan, jusqu’en 2003, date à laquelle elle a été fermée sur ordre des autorités. Ce n’est que des années plus tard, quand le premier malade est mort, que ses anciens collègues se sont fait ausculter. Ils ont la pneumoconiose et meurent les uns après les autres. L’entreprise qui les a employés n’existe plus ; ils ont décidé d’attaquer la province qui a laissé opérer cette mine dangereuse durant des années. Les anciens mineurs ne peuvent plus travailler, la province ne veut pas entendre parler de compensation, le comté (sous-division administrative) verse une misère selon la gravité de leur cas. « Je reçois 240 yuans, alors que je dépense 1 000 yuans par mois rien qu’en traitement », s’indigne Chen Xianzhong, l’un des plaignants. En octobre, leur plainte a été rejetée.

Peu de progrès en cinq ans

En 2005, l’association China Labour Bulletin (CLB) s’est intéressée au combat des malades de la pneumoconiose à travers l’étude de l’industrie des pierres précieuses du Guangdong. Cinq ans plus tard, elle est retournée dans les mêmes usines mesurer si des progrès avaient été réalisés. « Il est malheureusement clair que non seulement les problèmes identifiés dans le Guangdong sont irrésolus, mais que le nombre croissant de cas de pneumoconiose à travers le pays rend la situation encore plus sérieuse et plus pressante », conclut le rapport 2010.

Le fondateur de CLB, Han Dongfang, est un ancien leader de Tian’anmen, aujourd’hui une sorte de « syndicaliste sans syndicat » qui, bien qu’interdit de séjour en Chine, réussit à défendre de nombreuses victimes de patrons abusifs.

Dans le rapport de CLB, la victoire des « 180 de Leiyang », soutenus par l’association, est largement analysée. 180 malades originaires des villages du Hunan, autour de Leiyang, contaminés sur les chantiers de Shenzhen, ont choisi de mettre la pression sur les édiles de Shenzhen plutôt que d’attaquer leurs anciens employeurs. Les autorités, craignant un nouveau Solidarnosc, ont préféré lâcher du lest et discuter avec les représentants. La négociation collective, une piste à explorer selon Han Dongfang.

Auteur

  • Émilie Torgemen