Six siècles nous séparent de l’apparition du chômage en Occident, qu’Yves Zoberman a pris le parti de raconter sous l’angle de la lutte de l’homme et de la femme contre la vulnérabilité du travail. Un point de vue inédit qui fait de son livre un petit événement. Son essai se partage en deux époques : la première où « l’Histoire fait le chômage » et la seconde qui voit le chômage devenir un des moteurs de notre Histoire. La césure se situe au Royaume-Uni en 1795, quand les magistrats anglais réunis à Speenhamland décident de créer une indemnité pour les pauvres, sans contrepartie de travail ni enfermement. À partir de ce moment, le chômage devient un problème économique et social. Mais la partie la plus neuve de l’ouvrage réside dans l’histoire du chômage à l’époque où le phénomène n’a pas de nom. La Bible en donne une version très positive, celle du repos réparateur que Dieu s’octroya après avoir conçu l’Univers, même si les textes saints se veulent d’abord une glorification du travail. Très vite, dans l’Antiquité, la hantise de l’oisiveté fait son apparition. On prend des mesures pour redistribuer des terres aux paysans au chômage. Les familles riches généralisent le don. C’est en Angleterre, au XIV^e siècle, que se met en place la machine à fabriquer du chômage. Les propriétaires terriens décident d’enclore le plus de champs possible afin de tirer le maximum de la terre à moutons. Cette lutte sans merci contre les petites exploitations paysannes a une conséquence importante : « l’exode d’une grande partie de la population dépourvue de moyens socialement acceptables de gagner sa vie ». Zoberman montre ensuite l’évolution décisive introduite par Luther et Calvin, qui donnent au travail un place centrale, la volonté de leur Dieu étant que l’accomplissement de l’homme sur Terre se réalise par le travail. En France, la première politique efficace contre le chômage sera instituée par Necker et Turgot, avec l’établissement des ateliers de charité. Commence alors une période, plus familière, de gestation du chômage moderne, liée à l’exode rural et à la révolution industrielle, « l’invention du chômage » en tant qu’être statistique, la mise en place de mécanismes d’assurance pour couvrir les risques sociaux, et l’internationalisation du problème au début du XX^e siècle, puis la Grande Dépression. Avec cette dernière, estime l’auteur, « le chômage, donnée économique, dépasse son statut de question sociale pour devenir un fait politique ». Et il le sera encore dans la campagne présidentielle.

Une histoire du chômage. De l’Antiquité à nos jours, Yves Zoberman. Éditions Perrin. 340 pages, 22,50 euros.