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Retraite : la fin du régime Agirc ?

Dossier | publié le : 01.12.2011 | Valérie Devillechabrolle, Sabine Germain

Pour la première fois, la présidence de l’Agirc risque d’échapper à la CFE-CGC. Tout un symbole à l’heure où le régime de retraite complémentaire des cadres, à bout de souffle, subit une sévère révision à la baisse. En attendant un détricotage total ?

Sauf coup de théâtre, l’Agirc se prépare à vivre une véritable révolution de palais à l’occasion du renouvel­lement, en janvier, de son conseil d’administration. Alors que depuis sa création, en 1947, la caisse de retraite complémentaire des cadres a toujours été présidée – en alternance avec le patronat – par un représentant de la CFE-CGC, Bernard Van Craeynest, le vice-président de l’Agirc candidat à sa propre succession, devrait cette fois-ci se retrouver face à un autre prétendant issu des rangs syndicaux en la personne de Jean-Paul Bouchet, secrétaire général de la CFDT Cadres. « La CFE-CGC ne peut pas conserver la présidence de l’Agirc après avoir démoli l’accord du 18 mars comme elle l’a fait », justifie Jean-Louis Malys (CFDT), en référence à la « politique de la terre brûlée » pratiquée, selon lui, par la confédération des cadres tout au long de cette âpre négociation visant à consolider l’équilibre financier des régimes de retraite complémentaires.

Plus précisément, les trois signataires de l’accord (la CFDT, FO et la CFTC) et le collège patronal, placé de facto en position d’arbitre, reprochent à la CFE-CGC d’avoir franchi le Rubicon en déposant, avec la CGT et l’Union des familles en Europe, un recours devant le Conseil d’État à l’encontre de l’extension de l’accord.« Nous ne pouvions pas cautionner la mascarade que constitue cet accord qui ne résout ni la question du financement de l’Agirc ni celle de son avenir ! » s’insurge Bernard Van Craeynest. Car pour les opposants à ce putsch syndical, porter à la présidence de l’Agirc un candidat issu de la seule organisation de salariés ouvertement favorable au rapprochement des régimes Arrco et Agirc constitue avant tout un acte politique. « Voter pour le candidat CFDT est une façon pour le patronat de donner les clés de l’Agirc à ceux qui souhaitent son démantèlement », met en garde Sylvie Durand, administratrice (CGT) de l’Agirc. Notamment dans la perspective du débat prévu en 2013 concernant une éventuelle réforme systémiquedes régimes de retraite par répartition : « Cela préfigure-t-il l’avènement d’un grand régime par points unifié ? » s’interroge, sans être dupe, Marc Vilbenoît, l’ancien président de la CFE-CGC.

Du côté de la future majorité de gestion, on s’en défend : « Notre soutien à la candidature CFDT ne vaut pas accord pour la disparition de l’Agirc, à laquelle nous sommes opposés », remarque Philippe Pihet de Force ouvrière. « Je ne serai pas le fossoyeur de l’Agirc », souligne de son côté Jean-Paul Bouchet, patron de la CFDT Cadres, qui ajoute : « S’il n’est pas question de conserver à tout prix un régime pour sauvegarder les intérêts catégoriels d’une organisation, il ne s’agit pas non plus d’aboutir nécessairement à un régime unique ou de gommer toutes les spécificités du régime cadres. »

Les taux de remplacement de l’Agirc alignés sur ceux de l’Arrco. Reste qu’à la faveur de l’accord du 18 mars, les différences entre les régimes cadres et non cadres ont, une nouvelle fois, été rabotées, au nom de la restauration de l’équilibre financier des régimes. À commencer par les taux de rendement (6,70 % pour Agirc contre 6,59 % pour l’Arrco en 2010), voués à être alignés sur celui de l’Arrco en l’espace de deux ans de façon à dégager 7,4 milliards d’euros d’économies sur le seul régime cadres à l’horizon 2030. Moyennant « une baisse du taux de remplacement de 24 % sur l’ensemble de la carrière », dénonce Éric Aubin (CGT) et au prix d’un « nivellement par le bas des prestations », s’insurge Danièle Karniewicz (CFE-CGC). « Nous n’avons fait qu’appliquer des dispositions de principe ratifiées en 1996, y compris par la CFE-CGC », relève Jean-François Pillard, le chef de file de la délégation patronale.

L’autre volet non négligeable d’harmonisation acté dans l’accord concerne les avantages familiaux. À l’Agirc, ils ont absorbé près de 1 milliard d’euros en 2009 (4,4 % des prestations, contre 1,8 % à l’Arrco). En limitant la majoration pour trois enfants élevés à 10 % et surtout en la plafonnant à 1 000 euros par an pour toute liquidation prenant effet à compter du 1er janvier 2012, l’Agirc va certes réaliser une économie estimée à 2,2 milliards d’euros d’ici à 2030. Mais au prix de quelques plumes laissées par certains : « Avec 60 000 points Agirc acquis, un cadre père de trois enfants pouvait prétendre à une majoration de retraite égale à 2 200 euros par an. Avec la réforme, il va perdre 1 200 euros par année de retraite. Ce qui n’est pas négligeable », observe ainsi Philippe Caré du cabinet Siaci Saint-Honoré.

Toutefois, ce nivellement ne s’arrêtera sans doute pas là. Car sous couvert de poursuivre cette « mise en cohérence des régimes de retraite complémentaires », l’accord du 18 mars prévoit aussi la création d’un groupe de travail paritaire afin de passer au peigne fin, d’ici le premier semestre 2013, les droits directs et dérivés ainsi que tous les autres avantages spécifiques. Autrement dit les pensions de réversion – elles mobilisent 15 % des prestations tant à l’Agirc qu’à l’Arrco – et les mécanismes de solidarité financière instaurés pour financer les points Agirc des cadres et assimilés bénéficiaires de la garantie minimale de points (GMP) – laquelle équivaut à 120 points Agirc (770 euros en 2011) et concerne ceux dont la rémunération ne dépasse pas 39 146 euros en 2011.

Or, comparée à l’évolution de la masse salariale de l’encadrement, l’augmentation plus rapide du plafond de la Sécurité sociale sur la base duquel est calculée cette GMP fait exploser le nombre de ses bénéficiaires. En 2010, celle-ci concerne 36 % des cotisants Agirc (contre 25 % en 1995). Et cette proportion devrait, selon les services de l’Arrco et de l’Agirc, continuer à grimper pour dépasser les 40 % en 2030. « Sachant que 25 % des cadres gagnent aujourd’hui moins que le plafond de la Sécurité sociale, le principal combat à mener pour sauver l’Agirc est celui de l’augmentation de la rémunération principale des cadres », souligne Jean-Paul Bouchet (CFDT).

Le patronat ne semble toutefois pas sur la même longueur d’onde. « Il faut tenir compte de l’évolution du salariat et comprendre que l’appartenance à tel ou tel régime n’est plus constitutive de l’exercice d’un certain niveau de responsabilité », explique ainsi Jean-François Pillard, le délégué général de l’UIMM. Autrement dit, décode Danièle Karniewicz, « le modèle de l’Agirc est devenu trop onéreux » pour un patronat aujourd’hui soucieux d’en réduire la voilure. Sauf qu’à chercher à le détricoter à tout prix, « il risque de faire tomber au passage tout ce qui fondait le statut cadre de 1947 », ajoute l’ancienne présidente (CFE-CGC) de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Mais le pire est encore à venir. Car en dépit de cette révision à la baisse à marche forcée, l’Agirc est encore loin d’être sauvée des eaux. Certes, l’accord est censé lui permettre de repousser la date d’extinction de ses réserves de 2017 à 2023. Sauf que le scénario était bâti sur des hypothèses économiques plus favorables qu’aujourd’hui. Et que cela ne lui évitait pas, à court terme, d’accumuler les déficits techniques : 2,7 milliards d’euros en 2011 et 3 milliards d’euros en 2012, ramenés après transferts de solidarité en provenance de l’Arrco respectivement à 1,7 milliard d’euros et 1,9 milliard d’euros. De quoi verser de l’eau au moulin des partisans d’un rapprochement : « L’Agirc n’a plus les moyens de s’en sortir toute seule », observe Jean-Louis Malys. « Un régime unique permettrait surtout de siphonner les réserves de l’Arrco pour renflouer l’Agirc », met en garde de son côté Éric Aubin (CGT). Même Bernard Van Craeynest est obligé d’en convenir : « Nos mécanismes de gestion sont à bout de souffle », reconnaît-il. Pas sûr, en revanche, que sa solution alternative conduisant à refondre un grand régime contributif des cadres intégrant un étage obligatoire d’épargne retraite collective trouve grâce aux yeux du patronat…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Sabine Germain