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L’épargne retraite collective en berne

Dossier | publié le : 01.12.2011 | V. D.

Turbulences des marchés financiers, instabilité juridique : les plans d’épargne collectifs sont boudés par les salariés. Les professionnels du secteur souhaitent une remise à plat pour les redynamiser.

Réunis mi-octobre dans le cadre du congrès Reavie, à Cannes, les gestionnaires d’épargne retraite collective faisaient grise mine. Alors que tous, un an auparavant, misaient sur les possibilités ouvertes par la réforme de 2010 pour augmenter un taux d’équipement des entreprises limité à 27 % (41 % pour les plus grandes), selon l’enquête 2011 de la FFSA, le marché de la retraite collective apparaît « totalement sinistré » cette année, observe Yanick Philippon, de Generali. Et sur les fameuses retraites chapeaux à prestations définies ? « On est en plein marasme », indique Typhaine Delorme, de Gan Eurocourtage. Alors que celles-ci représentaient encore près de 60 % des cotisations en épargne retraite collective en 2009, selon la Drees, « le flux s’est tari », confirme Hugues Garros, de Suravenir. Sur fond de turbulences des marchés financiers, « nous observons une certaine circonspection de la part des entreprises vis-à-vis de l’épargne retraite collective », reconnaît Lionel Tourtier, délégué général de l’Association française professionnelle de l’épargne retraite (Afpen).

Avec une réforme en moyenne tous les neuf mois depuis 1986, a calculé l’avocat Gilles Briens, et donc l’instabilité juridique et fiscale qui caractérise ces avantages sociaux, la tâche n’est pas facilitée. « Il est très difficile de se projeter à l’horizon d’un dispositif d’épargne retraite collectif, soit à quinze ou vingt ans. Cela tend à remettre en cause notre capacité à agir », soulignait ainsi Yann Ruet, comp and ben de Chanel, lors de la C & B University organisée cet été par le cabinet Adding. Ainsi, entre la nouvelle obligation de négocier un dispositif d’épargne retraite collectif en cas de détention d’un régime de retraite à prestations définies et surtout le dernier alourdissement de leur taxation, « le gouvernement est parvenu à casser la dynamique de ces dispositifs », déplore Jean-Philippe Allory, le ­directeur général d’Adding.

Pas d’écho chez les salariés. De leur côté, la majorité des salariés n’en voient toujours pas l’utilité. « Les problématiques d’épargne retraite n’ont aucune résonance parmi les salariés, et nous trouvons difficilement des partenaires pour les négocier », souligne Hervé Arnaud, le DRH du fabricants de grues Manitowoc Crane Group, qui s’est fait recaler sa proposition de mettre en place un Perco, « y compris par les cadres ». « On ne peut quand même pas faire le bonheur des salariés malgré eux ! » s’exclame Farid Gueddi, comp and ben du laboratoire Abbott. « Dans des entreprises jeunes, où le turnover atteint 30 %, la retraite ne constitue pas une préoccupation des salariés, qui lui préfèrent du cash. Il en est de même dans les sociétés où prédominent le temps partiel et les bas salaires », précise Saïd Tazaïrt, le DRH de NCR, spécialiste des terminaux de paiement.

Pour avoir malgré tout le sentiment d’endosser leur responsabilité sociétale en matière de retraite, près de 125 000 entreprises ont – à l’instar de Renault, LCL ou Vinci ces derniers mois – privilégié la mise en place d’un plan d’épargne retraite collectif. 690 000 salariés en ont profité pour effectuer des versements, soit une hausse de 27 % en un an, se félicite l’Association française de gestion financière. Pour les employeurs concernés, c’est tout bénéfice : « C’est facile à mettre en place. Cela ne coûte pas très cher en abondement et surtout cela ne mange pas de pain en termes de passif, puisque le risque financier repose sur le salarié », résume Hugues Garros, de Suravenir. Mais « cela permet aussi de partager la responsabilité de l’investissement avec le salarié tout en lui laissant une certaine liberté de se constituer son capital, en fonction de ses aspirations et de sa capacité d’épargne », note Stéphane Roy de Lachaise, directeur du service du personnel de Michelin France, qui vient de compléter par un Perco son nouveau régime à cotisations définies obligatoires pour tous les salariés.

Sauf que, comme vient de le montrer la Cour des comptes, le Perco n’est pas un vrai produit d’épargne retraite. De fait, sur les 15 000 déblocages enregistrés depuis sa mise en œuvre, 60 % l’ont été de façon anticipée en vue d’acheter une résidence principale, observent les sages de la rue Cambon, qui suggèrent de supprimer cette modalité de sortie anticipée. Tous les autres en ont profité pour sortir en capital au moment de leur départ en retraite. « Cela va à l’encontre de l’objectif visé en termes de complément de revenu à la retraite », observe Arnaud de Wazières, de Gan Eurocourtage. Surtout, ces dispositifs ont plutôt tendance à rater leur cible. Sur les 25 % de salariés qui effectuent des versements sur leur Perco, « on s’aperçoit, sans surprise, que ce sont les plus aisés qui en profitent », observe Manuèle Pennera, du cabinet Karente, qui a réalisé une étude ad hoc pour le compte de la Direction de la Sécurité sociale. Or, selon la Cour des comptes, au regard de la baisse annoncée des taux de remplacement d’ici à 2030, « les salariés du secteur privé disposant de revenus faibles sont particulièrement vulnérables », faute d’avoir accès aux dispositifs d’épargne retraite individuels et de capacité de devenir propriétaire.

Livre blanc. Dans ce contexte, l’Afpen se prépare à publier un Livre blanc en vue de redynamiser l’épargne retraite collective. « Une remise à plat de l’épargne longue est nécessaire », estime Hugues Garros, animateur d’un des groupes de travail de l’Afpen, partisan du « développement de vrais systèmes de retraite collectifs, dissociés de l’épargne salariale, soutenus par des dispositifs fiscaux et prévoyant des mécanismes de redistribution ». L’Afpen propose de recentrer les incitations fiscales, qui profitent aux hauts salaires, sur l’épargne longue des classes moyennes.

Les politiques d’abondement pourraient aussi être revues de façon à leur faire jouer un rôle contracyclique par rapport aux marchés financiers. Sur la gestion d’actifs, l’Afpen s’apprête à remettre en cause la pertinence des grilles automatiques de gestion pilotée par horizon de placement. « Aujourd’hui, à quinze ans de la retraite, tout le monde bascule en obligataire. N’y a-t-il pas matière à revoir ces tables au vu de l’évolution des marchés financiers et des horizons de placement qui vont souvent bien au-delà de la retraite ? » s’interroge Lionel Tourtier. « Les gestionnaires pensent encore trop produits et pas assez clients », regrette Michel Le Boëdec, président de l’Afpen et adjoint à la DRH de GDF Suez.

Enfin, la question d’un conseil indépendant aux salariés pour les aider à faire des arbitrages dans cette gestion patrimoniale et à mesurer leur degré d’exposition au risque est posée. « Enfin », se félicite Manuèle Pennera du cabinet Karente, qui désespérait de voir endosser cette responsabilité, tant du côté des employeurs que de celui des teneurs de comptes. En outre, « il sera nécessaire d’engager la réflexion sur la portabilité des dispositifs pour tenir compte de la mobilité des salariés », estime Thierry Debeneix, comp and ben de la BPCE. Reste à savoir si les candidats à l’élection présidentielle auront l’envie ou le courage d’ouvrir le dossier.

Auteur

  • V. D.