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Vie des entreprises

Actualité de rigueur dans les messageries de presse

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.11.2011 | Sabine Germain

Distribuer des journaux alors que les tarifs de diffusion stagnent, que le coût du transport s’envole, que des titres s’effondrent…, l’avenir des messageries de presse est incertain.

Sur un marché en baisse de 5 à 8 % par an, nous avons beau faire des efforts, nous sommes toujours en retard d’une restructuration », soupire Stéphane Bribard, porte-parole de Presstalis (ex-NMPP, 2 500 salariés, 300 millions d’euros de volume d’affaires). « Sur un marché qui devrait poursuivre sa chute dans les trois à cinq ans qui viennent, notre chiffre d’affaires a augmenté de 8 % en 2010 et notre résultat opérationnel reste positif », lui fait écho Patrick André, directeur délégué des Messageries lyonnaises de presse (MLP, 700 salariés, 70 millions d’euros de volume d’affaires).

C’est peu dire qu’entre le leader historique – Presstalis détient 76 % du marché – et son challenger lyonnais (24 %), la lutte est à couteaux tirés. Le plus souvent au bénéfice des MLP, qui ont su capter des titres précédemment distribués par son concurrent : Marianne, Management (Prisma Presse), Charlie Hebdo, Point de vue (Roularta), Télé Star et Télé Poche (Mondadori)… Au mois de septembre, deux administrateurs historiques de Presstalis, les groupes Hachette et Figaro, ont confié la distribution de certains de leurs produits d’édition aux MLP. Le Point a failli basculer au début de l’année avant de se raviser ; l’Express serait en train de consulter…

Contourner le Syndicat du livre. Pour séduire les éditeurs, l’argument des MLP est simple : « Chez nous, pas de grève, pas de surcoûts sociaux. » Sous-entendu : pas comme chez Presstalis, où le Syndicat du livre (SGLCE CGT) fait encore la loi sur certains sites et a obtenu, tous collèges confondus, 40 % des suffrages lors des dernières élections professionnelles. C’est justement pour contourner le Syndicat du livre, avec lequel la famille Amaury a mené un véritable bras de fer dans les années 70, que le Parisien a créé SDVP en 2001 : comme son nom l’indique, la Société de distribution et de vente du Parisien distribue le quotidien dans 120 000 points de vente franciliens. Mais rien que le Parisien : la loi Bichet de 1947 prévoit en effet qu’un éditeur peut recourir à tous les moyens de son choix pour distribuer son journal. En revanche, en vertu du principe de solidarité, dès lors que des éditeurs mettent leurs moyens en commun pour assurer la distribution de leurs titres, ils ne peuvent refuser l’entrée d’autres éditeurs. Malgré ses 60 millions de chiffre d’affaires et ses 750 salariés, SDVP reste donc un peu en dehors du jeu.

Un jeu dans lequel l’État a toujours été très présent. Parce que la distribution de la presse est un enjeu de démocratie. Et parce que les NMPP (rebaptisées Presstalis en décembre 2009) ont toujours été dirigées par des patrons très politiques : Rémy Pflimlin hier (à la tête de France Télévisions depuis août 2010), Anne-Marie Couderc (éphémère secrétaire d’État du premier gouvernement Juppé, en 1995) aujourd’hui. Mais on peut difficilement reprocher à l’État de mettre son nez dans les affaires de Presstalis : régulièrement appelé à la rescousse, il s’est engagé à lui verser 18 millions d’euros par an jusqu’en 2013 (avec une aide exceptionnelle de 20 millions en 2010).

Coûts de transport. L’aide annuelle est avant tout destinée à soutenir la distribution de la presse quotidienne nationale : une activité dont Presstalis a le monopole et qui est souvent perçue comme l’un de ses handicaps. Ce que Patrick André conteste : « Il est effectivement plus compliqué de distribuer des quotidiens que des magazines. Les délais étant très tendus, il faut avoir des équipes surdimensionnées aux heures critiques. Mais dans un métier comme le nôtre, où les coûts de transport pèsent plus lourd (50 % des coûts d’exploitation) que la masse salariale (35 %), gérer de tels volumes a aussi des avantages : plus on est capable de planifier et de faire du volume, mieux on négocie les coûts de transport. »

L’autre handicap volontiers reconnu à Presstalis se trouve du côté de sa gouvernance : c’est une coopérative dont les administrateurs sont des éditeurs, c’est-à-dire ses clients (voir encadré ci-dessous). Faux débat : les MLP sont également une coopérative administrée par des éditeurs. « Cette année, nous allons redistribuer 10 millions d’euros de résultat sous forme de bonus coopératifs », ajoute Patrick André.

Face à la chute vertigineuse des ventes au numéro (– 7,9 % en 2010 pour la presse quotidienne, – 0,5 % pour la presse magazine) et à la nouvelle concurrence des tablettes numériques, la réduction des coûts apparaît comme une priorité. Mais elle est abordée de façon très différente par les deux opérateurs. Malgré ses nombreuses cures de minceur, Presstalis garde un peu plus de gras que son concurrent : les effectifs de l’activité de messagerie ont beau avoir baissé de 2 189 salariés en 2000 à 929 en 2010 et la masse salariale avoir fondu de 43,5 %, ses « surcoûts sociaux » étaient encore estimés à 65 millions d’euros par an en 2010 (pour un chiffre d’affaires un peu inférieur à 300 millions d’euros). En mars 2010, le rapport Met­tling a détaillé ces surcoûts activité par activité : 17,2 millions d’euros pour les messageries des quotidiens, 20,3 millions pour le dépôt parisien SPPS, 15,4 millions pour les 59 dépôts SAD et Soprocom, 9 millions pour le siège…

Le cabinet Apex plaide pour une “refonte totale du système de distribution de la presse”

Ce rapport a largement inspiré le plan de restructuration engagé en 2010, qui a particulièrement touché le siège : entre son déménagement porte des Lilas et la suppression de 100 postes sur 500, Presstalis économise 23 millions d’euros par an. « C’est-à-dire l’équivalent des pertes du dépôt parisien SPPS, bastion du Syndicat du livre », tempête Jean-Claude Forte, secrétaire fédéral de la Fédération CGC des médias, qui pointe les différences de traitement entre les salariés du siège et ceux des dépôts, où le Syndicat du livre reste très présent : « Les ouvriers SPPS sont mieux payés que les cadres du siège : autour de 4 000 euros par mois. La fermeture programmée de ce dépôt va encore nous coûter très cher : alors que les 100 licenciés du siège n’ont perçu que leurs indemnités légales, les 54 licenciés de SPPS vont monnayer chèrement leur départ. » Ambiance…

Du côté des MLP, pas de restructuration en vue. Quant à la CGT, elle a été marginalisée : elle a obtenu moins de 5 % des voix lors des dernières élections professionnelles, loin derrière la CFDT, majoritaire, et la CFTC (section montée par des ex-CGT !). « Des syndicats à la botte de la direction », maugrée Philippe Chatal, délégué syndical CGT, qui est en procès depuis trois ans contre son employeur pour discrimination syndicale. Les délégués majoritaires ne peuvent pas se défendre : ils n’ont pas souhaité répondre à nos questions. On peut toutefois constater qu’ils ont signé des accords d’entreprise (sur le travail le samedi ou la renégociation de l’article 16 de la convention collective relatif aux modalités de licenciement) qui ne sont pas d’une générosité folle. Des accords en ligne avec la politique sociale des MLP, « conformes aux pratiques de notre branche, la logistique », estime Patrick André. Avec un accord 35 heures (contre 32 heures chez Presstalis) et une « grille de rémunérations légèrement au-dessus de celle de la branche ».

La concurrence entre Presstalis et MLP se jouerait-elle donc sur le seul terrain social ? Antonio Delgado, chargé de mission au sein du cabinet d’expertise Apex et auteur du rapport annuel de la mission économique commandée par le comité d’entreprise, regrette que l’on résume encore trop souvent les difficultés de Presstalis à ses surcoûts sociaux : « Si c’était le seul problème, les 39 dépôts de Soprocom (filiale employant 660 salariés), qui n’ont pas les mêmes surcoûts sociaux que le dépôt SPPS, ne seraient pas dans le rouge. » L’expert plaide pour une « refonte totale du système de distribution de la presse » englobant le portage (soutenu par l’État à hauteur de 80 millions d’euros par an) ainsi que la politique d’abonnement des éditeurs (dont les tarifs postaux sont de moins en moins intéressants), et mutualisant les circuits d’acheminement des presses quotidiennes nationale et régionale.

Il faut croire que l’idée commence à faire son chemin : le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) a commandé un rapport au cabinet de conseil Kurt Salmon pour réfléchir à cette forme de mutualisation ; le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) a confié la même réflexion au cabinet OC & C. Leurs conclusions devraient être croisées en fin d’année. Elles viendront enrichir le travail de PricewaterhouseCoopers, le cabinet auquel Presstalis a confié l’élaboration de son plan stratégique. « Avant de mutualiser les coûts de distribution, le SPQN, le SPQR et Presstalis pourraient au moins mutualiser leurs budgets de conseil », soupire un salarié de Presstalis en faisant référence aux centaines de milliers d’euros engloutis dans ces rapports (on parle de 500 000 euros pour la seule mission de PwC).

En attendant, une ébauche de rationalisation des réseaux de distribution semble se dessiner. Avec des stratégies, là encore, très différentes.

Développement en franchise. Les MLP, historiquement présentes sur le seul « niveau 1 » (c’est-à-dire l’activité de groupage et de traitement des colis), investissent massivement le « niveau 2 » (la distribution proprement dite, via un réseau de dépôts) et le « niveau 3 » (les points de vente). En plus de leurs deux entrepôts de groupage de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) et de Saint-Barthélemy-d’Anjou (Maine-et-Loire), qui totalisent 410 salariés, les MLP exploitent aujourd’hui 27 dépôts fédérés au sein du réseau Alliance : neuf leur appartiennent en propre et 18 dépôts indépendants ont choisi d’adhérer à ce réseau pour mutualiser leurs coûts. Afin de développer leur chaîne de maisons de la presse aux enseignes Agora (14 points de vente) et Agora Express (encore en phase de test), les MLP ont choisi un levier de développement similaire : la franchise. « Le meilleur moyen de se développer rapidement sans mobiliser trop de capitaux », note Patrick André. Une logique entrepreneuriale aux antipodes des préoccupations de Presstalis : si la messagerie parisienne fusionne ses quatre entrepôts franciliens pour n’en garder que deux, à Gonesse et Moissy-Cramayel, c’est – plus ou moins implicitement – pour réduire encore ses effectifs. « L’entrepôt de Gonesse n’est tout simplement pas assez grand pour accueillir tous les volumes précédemment traités sur le site de Roissy, indique Bruno Intrys, délégué syndical CFE-CGC de l’entrepôt de Gonesse. Mais Geodis est implanté juste à côté : le logisticien récupérera une bonne partie de notre activité. Nous ne sommes pas dupes : le regroupement des centres débouchera sur leur fermeture. »

Alors que les MLP s’inscrivent dans une logique d’intégration verticale, Presstalis mise de plus en plus sur l’externalisation d’activités qui ont longtemps relevé de son cœur de métier. « Il ne restera bientôt plus que le siège et un réseau de sous-traitants », observe Jean-Claude Forte, qui regrette cette perte de savoir-faire unanimement reconnue, y compris par le rapport Mettling ! Pendant ce temps, les MLP tissent leur toile : en quatre ans, leur part de marché sur le niveau 2 (les dépôts) est passée de 0 à 23 %. Sur l’ensemble de la chaîne de distribution, les Messageries lyonnaises détiennent aujourd’hui 24 % du marché. Les plus anciens se souviennent pourtant que, dans les années 80, les MLP et les NMPP étaient partenaires : les Messageries lyonnaises étaient une sorte de sous-traitant régional des NMPP qui assuraient en retour une partie de leur gestion administrative (jusqu’à l’édition des fiches de paie). L’injonction de concurrence formulée par Bruxelles et Paris dans les années 90 a radicalement changé la donne : les MLP l’ont prise au pied de la lettre, engageant un combat sans merci contre les NMPP. Passé tout près du gouffre, Presstalis peut encore réagir. Mais sa marge de manœuvre est de plus en plus étroite.

Presstalis : une restructuration vitale

Le 1er juillet 2011 restera une date marquante dans l’histoire de Presstalis. La SARL au capital de 50 000 euros est devenue une société par actions simplifiée au capital de 16 millions d’euros détenue à 100 % par deux coopératives d’éditeurs : l’une pour la distribution des magazines (75 % des parts), l’autre pour les quotidiens (25 %). Le conseil d’administration, composé de neuf éditeurs et d’une « personnalité indépendante » (en l’occurrence la directrice générale, Anne-Marie Couderc), est chargé de définir les orientations stratégiques et de fixer les tarifs appliqués à ces mêmes éditeurs. Autant dire qu’ils sont à la fois juges et parties : la dernière révision du barème, à l’automne 2010, n’a même pas suffi à couvrir l’augmentation des coûts de transport… Mais elle était vitale pour sauver le groupe.

En mars 2010, Bruno Mettling, inspecteur des finances à qui le gouvernement a confié une mission sur « la situation de Presstalis », a sonné l’alarme : avec un déficit d’exploitation de 40 millions d’euros en 2009 et de 26 millions en 2010, l’opérateur était voué à la faillite avant la fin de l’année 2010. Ses solutions : la refonte du barème, une nouvelle gouvernance, la création d’une autorité indépendante de contrôle, la vente d’actifs périphériques, une recapitalisation et un sérieux plan de restructuration visant, notamment, à réduire des « surcoûts sociaux » estimés à 65 millions d’euros. « De quoi colmater les brèches, mais certainement pas sauver le navire, commente Antonio Delgado, chargé de mission au sein du cabinet Apex (mandaté par le CE). La politique de réduction des coûts, si elle est indispensable, ne suffit pas à pallier les défauts du modèle économique actuel, qui doit être entièrement repensé. »

En tout état de cause, la solution ne viendra pas du groupe Lagardère : administrateur tout-puissant depuis des décennies, il a cédé son pouvoir de nommer le directeur général en même temps que ses 49 % de parts pour 1 euro symbolique. Contrairement à ce qui était prévu, il ne devrait pas racheter la pépite MédiaKiosk (qui gère 800 kiosques environ) : l’activité la plus lucrative de Presstalis est mise sur le marché. Aux dernières nouvelles, le groupe JCDecaux tiendrait la corde avec une offre à 60 millions d’euros. De quoi regonfler la trésorerie de Presstalis, qui n’en finit plus de vendre ses bijoux de famille.

Auteur

  • Sabine Germain