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Politique sociale

Le come-back des partenaires sociaux italiens

Politique sociale | publié le : 01.11.2011 | Philippe Guérard

Fin septembre, les syndicats de salariés et de patrons signaient à l’unanimité un accord fixant les conditions de dérogation aux conventions collectives et les règles de représentativité. Berlusconi est court-circuité, Fiat rompt avec la Confindustria.

La crise de la dette publique et les scandales sexuels de Silvio Berlusconi sont tellement énormes que tout ce qui touche à la vie réelle des Italiens, l’Italie « d’en bas », diraient certains, est relégué au second plan. Pourtant, dans l’antichambre du pouvoir vient de se jouer un match au résultat considérable. Les syndicats et le patronat ont fait bloc contre les tentatives d’ingérence du gouvernement dans leur champ de compétences et réussi à donner un nouvel élan au dialogue social dans la Péninsule. Au petit matin du 21 septembre, dans ses locaux de la célèbre via Veneto, à Rome, haut lieu de la « dolce vita », la Confindustria a obtenu le ralliement de la CGIL, première confédération du pays, à un protocole d’accord conclu le 28 juin avec toutes les autres organisations de salariés, la CISL, l’UIL et l’UGL. Le texte signé par l’ensemble des partenaires sociaux – ce qui ne s’était pas vu depuis bien longtemps – est d’une portée historique. Il donne la possibilité aux entreprises qui le souhaitent de déroger au Code national du travail pour définir des horaires, des cadences ou des modes de rémunération particuliers sur un site précis ou dans une province donnée. Avec, évidemment, des garde-fous.

L’accord d’entreprise ou l’accord local n’est possible que s’il est souscrit par la majorité des représentants des salariés. Pour cela, l’accord paritaire du 21 septembre fixe noir sur blanc, c’est une première en Italie, des règles de représentativité. Celles-ci sont fondées à la fois sur le nombre d’adhérents et sur les résultats obtenus aux élections des représentants du personnel, avec un plancher de 5 %. Il faut en outre que l’accord soit justifié par une situation de crise dans l’entreprise ou dans son secteur d’activité. Et qu’il soit validé en interne par référendum. « C’est positif, observe Arturo Maresca, professeur de droit du travail à l’université Sapienza de Rome, on donne de l’espace au contrat d’entreprise, c’est un choix fondamental pour combattre la crise. » « Nous avons sécurisé les relations sociales dans les entreprises et mis fin aux polémiques », se félicite le secrétaire général de la CISL, Raffaele Bonanni.

Furieux de cet épilogue, le directeur des affaires sociales de la Confindustria, Giorgio Usai, tenant de la ligne dure du patronat, en désaccord avec sa présidente, a, depuis, démissionné. Et Fiat, dans un geste de défi sans précédent, a claqué la porte des instances patronales. Il faut rappeler que, pour introduire plus de flexibilité sur ses chaînes de montage, le constructeur automobile s’était autorisé l’an dernier à déroger au droit national par un artifice juridique. Son patron, Sergio Marchionne, avait d’abord décidé de cesser toute activité dans l’usine de Pomigliano d’Arco, à Naples, et dans celle de Mirafiori, à Turin. Puis de constituer sur place deux nouvelles sociétés ad hoc n’adhérant pas au Medef transalpin et s’affranchissant, de ce fait, des règles en vigueur, lesquelles sociétés ont alors proposé aux salariés une réembauche à de nouvelles conditions en matière de temps de pause et d’heures supplémentaires. Dans les deux cas, un référendum a été organisé et la direction a obtenu l’assentiment des salariés, malgré la ferme opposition de la CGIL.

C’est donc pour éviter que ne se reproduise cette mésaventure que la confédération dirigée depuis un an par Susanna Camusso a voulu reprendre l’initiative. D’autant que cet été, à la surprise générale, le tribunal de Turin, saisi par la fédération de la métallurgie de la CGIL, la Fiom, a validé l’accord de Pomigliano d’Arco. « D’une certaine manière, Susanna Camusso a profité du désastre de la crise économique, de la défiance des marchés vis-à-vis de Rome et de l’affaiblissement sans précédent du gouvernement Berlusconi pour revenir dans le dialogue social, contre l’avis d’une bonne partie de ses troupes », explique Stefano Liebman, professeur de droit du travail à l’université Bocconi de Milan.

Comportement « inacceptable » du pouvoir. Pour ne pas se déjuger, Susanna Camusso a néanmoins exigé de ses cosignataires que l’accord ne soit pas rétroactif. En clair, pas question de légaliser le récent coup de force de Fiat. Côté patronal, la Confindustria a accepté cette condition. Car, aux yeux de sa présidente, Emma Marcegaglia, mieux vaut obtenir des concessions des syndicats que d’attendre des réformes qui ne viendront pas d’un gouvernement Berlusconi au comportement « inacceptable », alors que le risque de contagion de la crise grecque se fait chaque jour plus précis. « On en a marre d’être la risée de l’étranger, a-t-elle déclaré à la rentrée ; ou le gouvernement se ressaisit ou il rentre chez lui. » Il faut dire qu’entre-temps, si le Cavaliere n’a pas accédé aux revendications patronales sur les retraites, la fiscalité ou les privatisations, il s’est permis de mettre son grain de sel sur des thèmes jusqu’ici chasse gardée des partenaires sociaux.

Début août, la Banque centrale européenne (BCE) a adressé une lettre sévère à Rome pour réclamer des dispositions structurelles à même de relancer l’activité économique. Estimant que le protocole d’accord du mois de juin conclu entre le patronat et les syndicats allait « dans la bonne direction », l’institut de Francfort s’est déclaré en faveur d’« une révision soigneuse des dispositions qui définissent l’embauche et le licenciement des salariés […], pour faciliter la réallocation des ressources vers les entreprises et les secteurs les plus compétitifs ». Il n’en fallait pas davantage à Silvio Berlusconi et à son ministre des Affaires sociales, Maurizio Sacconi : à la veille du 15 août, ces derniers dévoilent un plan d’austérité de 64 milliards d’euros, dans lequel est introduite subrepticement une disposition instaurant la prévalence des accords d’entreprise sur les conventions collectives. Dans le détail, le texte, dans son article 8, allège les contraintes imposées aux employeurs désireux de licencier. Il prévoit aussi que les accords d’entreprise puissent être validés par des syndicats locaux n’adhérant pas aux confédérations nationales. « Un syndicat de la Ligue du Nord, parti autonomiste, pourrait ainsi faire la pluie et le beau temps dans une PME de Venise ou Milan », s’insurge la CGIL. Enfin, provocation ultime, le texte du gouvernement légalise les accords Fiat, à la demande de Sergio Marchionne.

La CGIL a fini par signer le protocole d’accord conclu fin juin par le patronat et les autres syndicats

Dans ces conditions, la CGIL organise début septembre une grande manifestation au pied du Colisée pour réclamer la suppression de l’article 8. Puis, après mûre réflexion, elle décide de le « stériliser » en signant, en septembre, le fameux protocole d’accord du 28 juin. De fait, au dernier moment, les partenaires sociaux ajoutent un paragraphe dans lequel ils s’engagent à s’en tenir à leur propre texte et à ne jamais appliquer l’article 8. « Ils ont repris leur autonomie », applaudit Cesare Damiano, ancien ministre du Travail du dernier gouvernement Prodi (gauche). Et sont parvenus à court-circuiter à la fois le patron de Fiat et le président du Conseil.

Dates clés

29 décembre 2010 Fiat annonce de nouveaux contrats de travail dans ses usines de Naples et Turin.

28 juin 2011 La Confindustria, l’UGL, la CISL et l’UIL concluent un protocole d’accord sur la dérogation des accords d’entreprise aux conventions collectives et la représentativité.

13 août 2011 Berlusconi dévoile un plan dont l’article 8 autorise les entreprises à déroger au droit du travail. Texte validé par le Parlement le 14 septembre.

21 septembre Les partenaires sociaux, CGIL comprise, signent l’accord du 28 juin et s’engagent à ne pas appliquer l’article 8.

Stefano Liebman Professeur de droit du travail à l’université Bocconi (Milan)
“Un énorme échec politique pour Berlusconi”

L’accord signé fin septembre par les partenaires sociaux italiens marque-t-il un tournant ?

C’est un vrai virage. Alors que, depuis dix ans, la droite berlusconienne cherchait à diviser pour mieux régner, en tentant d’isoler la CGIL, voilà que syndicats et patronat décident de faire bloc pour empêcher le gouvernement d’entrer sur leur terrain de jeu. C’est un énorme échec politique pour le pouvoir en place.

Comment le dialogue social fonctionne-t-il dans la Péninsule ?

Depuis la guerre et jusqu’en 2001, les responsables politiques se sont bien gardés d’interférer dans la négociation sociale. Ils ont toujours eu pour principe de laisser les organisations syndicales s’accorder entre elles. Nous assistions donc à un jeu très subtil entre la CGIL, équivalent de la CGT, et la CISL, d’obédience chrétienne, qui est un peu notre CFDT, le tout dans un paysage politique beaucoup plus marqué qu’en France, avec la très forte domination du Parti communiste italien, d’une part, et celle de la Démocratie chrétienne, d’autre part.

Qu’est-ce qui a changé avec Silvio Berlusconi ?

Au début des années 2000, le Cavaliere a confié le ministère des Affaires sociales à Maurizio Sacconi, un ex-syndicaliste CGIL qui, comme tous les « ex », a un problème personnel à régler avec son passé. Celui-ci n’a eu de cesse d’isoler la CGIL, qui dominait partout au travers de la Fiom, sa fédération de la métallurgie. Cette stratégie s’est avérée assez efficace puisque dans la période récente, la CISL et l’UIL se sont plusieurs fois démarquées de la CGIL. Et, chez Fiat, dont le poids est très particulier en Italie, la CGIL a été mise au pied du mur.

Retour, donc, à la case départ ?

L’Italie traverse une grave crise politique et économique, le gouvernement est très affaibli. C’était pour Susanna Camusso, secrétaire générale de la CGIL, l’occasion rêvée de revenir sur le devant de la scène.

Auteur

  • Philippe Guérard