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Enquête

Précaires à vie ?

Enquête | publié le : 01.11.2011 | Anne-Cécile Geoffroy

Intérim, CDD, temps partiel ou stage : demande de flexibilité aidant, les contrats atypiques se sont banalisés. Et il devient plus difficile de s’en extraire, surtout pour les moins diplômés, les femmes et les jeunes.

À Paris, le 8 octobre, un petit millier de personnes se rassemblait dans l’indifférence médiatique pour participer à la neuvième manifestation des chômeurs et précaires. On est loin des mobilisations géantes des Indignés en Espagne, et plus récemment aux États-Unis. À l’origine de la manifestation parisienne, des collectifs comme Génération précaire ou le Mouvement national des chômeurs et précaires. Depuis plusieurs années, ils remuent ciel et terre pour dénoncer la précarisation inquiétante qui gagne la société.

1,7 % de croissance pour 2011. Résignés, les Français ? Pourtant l’Hexagone, avec 9,7 % de chômage (DOM compris), n’est pas épargné par la crise économique. La timide embellie intervenue en 2010 a, comme dans toutes les crises, remis plus vite au travail les intérimaires et les CDD. Mais les dernières hypothèses de l’Insee obscurcissent l’avenir. L’institut vient de baisser ses prévisions pour la croissance à 1,7 % du PIB en 2011, contre les 2,1 % attendus. La récession guette et les créations d’emplois s’effondrent littéralement. Au premier semestre 2011, 112 000 emplois étaient créés. Au second, le chiffre devrait être divisé par cinq. L’Insee attend tout au plus 24 000 créations de postes. L’intérim n’a pas non plus tardé à réagir. Dès la fin du deuxième trimestre 2011, il s’est stabilisé après deux ans de hausse continue.

Le CDI reste la norme pour 77 % des salariés mais, pour accompagner le besoin de flexibilité croissant des entreprises et contrer le chômage de masse, les contrats de travail atypiques et les contrats aidés ont fleuri. Surtout, au fil des crises, ils se sont banalisés et sont devenus des outils de recrutement plus structurels que conjoncturels. « Crise ou pas, ces contrats deviennent la règle pour entrer sur le marché du travail », note Virginie Mora, chercheuse au Cereq. « La progression exponentielle du recours au CDD pose un réel problème. Ce contrat est détourné de son objectif. Dans certaines branches professionnelles, il est devenu un usage », ajoute Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT. En ligne de mire, les secteurs de la propreté, de la restauration, de la distribution, des services à la personne.

Des contrats précarisants qui font s’éloigner l’espoir d’autonomie des plus jeunes et nourrissent les frustrations sociales de tous. Sans CDI à temps complet, difficile de décrocher un crédit, d’accéder à un logement, de se soigner. Plus grave : « La précarité n’affecte pas seulement la stabilité de l’emploi. Elle touche plus profondément le rapport au travail et nourrit la souffrance des salariés. En France, l’intégration assurée, c’est-à-dire une stabilité professionnelle associée à une satisfaction au travail, est statistiquement plus faible que dans d’autres pays européens. En revanche, l’intégration disqualifiante, qui concentre les contrats les plus courts, insatisfaisants professionnellement, concerne 25 % des actifs. Au Danemark, ils ne sont que 5 % », note Serge Paugam, directeur de recherche au CNRS. Les premiers à rester scotchés à la précarité sont les moins qualifiés, les jeunes, les femmes. Les uns abonnés à l’intérim, les autres aux stages et aux temps partiels subis. C’est pourquoi Liaisons sociales magazine a choisi d’illustrer cette enquête par des portraits de femmes.

Le sous-emploi en hausse. Nombre de Français sont contraints à ne plus chercher du travail mais des heures. D’une société de plein-emploi, on est passé, selon le sociologue Robert Castel, à une « société de pleine activité ». La dernière crise accélère cette tendance. Dans l’intérim, une mission sur quatre ne dure qu’un jour et la proportion des missions de deux semaines est passée de 67,2 % à 72,1 % entre 2008 et 2010. « Le sous-emploi de tous augmente, note Rachel Silvera, enseignante-chercheuse à l’université Paris X et membre du Mage, un réseau de chercheurs spécialistes du travail et du genre. Le chômage partiel pour les hommes, le temps partiel pour les femmes, soit 1,4 million de personnes. La différence, c’est que le chômage partiel est provisoire. Pas le temps partiel. » « La crise a accéléré la rotation des stages, indique de son côté Ophélie Latil, porte-parole de Génération précaire. En se débarrassant de leurs CDD, certaines entreprises les ont remplacés par des stagiaires. En 2006, on en dénombrait 800 000. En 2008, ils étaient 1,2 million, selon le ministère de l’Enseignement supérieur qui, aujourd’hui, ne nous donne plus ses estimations. »

Avec la crise de la dette, un fort désengagement de l’État des politiques de l’emploi, du logement, de la revitalisation des territoires semble inéluctable. « Il ne faut pas étouffer le peu de croissance en se désendettant à grande vitesse mais, au contraire, adapter cette politique aux plus fragiles. L’emploi, le logement doivent rester une priorité du gouvernement », plaide Dominique Balmary, président de l’Uniopss, une union d’associations qui œuvrent dans les domaines sanitaire et social. Au risque, sinon, d’enfermer un peu plus de salariés dans la précarité.

Sylvie Trouillet, 44 ans, célibataire, intérimaire de longue durée.

Elle a connu toutes les crises. Tous les types de contrats. « J’ai même été TUC dans les années 80. » Après deux CDI et deux licenciements, au milieu des années 90, la jeune femme enchaîne les missions d’intérim. « C’était l’âge d’or. Quand arrivait le vendredi, je savais qu’une autre mission m’attendait le lundi. » EDF, Suez, Air France, les Caisses d’épargne… « J’évoluais. De secrétaire, je suis passée cadre. J’arrivais à gagner 3000 euros par mois. » À partir de 2001, la mécanique se grippe. Les périodes de chômage de plus en plus longues succèdent aux missions toujours plus courtes. Autodidacte, elle en profite pour se former et décroche une licence de communication et de management. Puis 2011 arrive. Cette dernière crise l’épuise. « Depuis le début de l’année, je n’ai travaillé que trois mois. Je suis fatiguée de repartir de zéro et de me brader constamment mais surtout de passer des entretiens chez les clients pour des missions d’une semaine ! » Sylvie a décidé de valoriser les intérimaires. L’an dernier, elle a créé l’Association nationale des intérimaires de longue durée (Anild).

A.-C.G.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy