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Vie des entreprises

Vie extraprofessionnelle et licenciements

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.10.2011 | Jean-Emmanuel Ray

Si un salarié peut être sanctionné en cas de faute disciplinaire, ce dernier qualificatif exclut a priori les comportements de vie privée, dont certains ne suscitent pas forcément l’enthousiasme du chef d’entreprise. Mais le servage étant aboli et le contrat de travail suspendu, le citoyen n’a plus de comptes à rendre à son employeur devenu un tiers.

Mais est-ce vraiment le contrat qui est alors suspendu Bien sûr que non : c’est l’obligation de fournir le travail. Exemple : la nuit ou pendant un arrêt maladie, un collaborateur peut-il travailler pour la concurrence, transmettre des secrets de fabrication Violant une obligation inhérente à son contrat, il est disciplinairement fautif : et bien qu’accompli dans sa vie privée, ce fait justifie un licenciement pour faute. Le problème est évidemment qu’avec les TIC l’ancestrale summa divisio, qui opposait aussi temps de travail et temps de repos, se dissout sous nos yeux. Ainsi, les « instruments de travail » aujourd’hui fournis aux travailleurs du savoir peuvent aussi servir dans la vie privée. Si le manœuvre ne pouvait apporter chez lui le marteau piqueur, ni son fiston l’utiliser, les portables (ordinateur, téléphone) sont emportés partout et largement utilisés en dehors des temps et lieux de travail, pas toujours pour travailler.

L’arrêt du 3 mai 2011 semble avoir fixé la jurisprudence : « Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut en principe justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. » Trois exemples d’actualité : la liberté d’expression du collaborateur dans sa vie privée, le contrôle patronal des courriels et dossiels, mais aussi les errements d’un représentant du personnel dans l’exécution de son mandat.

LIBERTÉ D’EXPRESSION : ILLICÉITÉ DU LICENCIEMENT DISCIPLINAIRE

Dans notre société de la consommation et donc de la réputation, les frasques et a fortiori les graves dérapages dans leur vie privée de collaborateurs emblématiques (cf. John Galliano) posent un problème majeur d’« image de marque » à leur employeur.

Idem lorsqu’un cadre supérieur confie sur son blog, avec ses fonctions bien en évidence, ses doutes sur un sujet politiquement sensible, ou a fortiori tient des propos très provocants pour l’opinion, donc également très clivants en interne. Ainsi lorsque le vice-président de RMC Moyen-Orient publie un livre très polémique sur le conflit israélo-palestinien, entraînant moult remous en interne : pétitions, motion abrupte adoptée en AG… Son employeur devait-il compter les points Licencié pour faute grave, il a obtenu le 9 mai 2011, de façon a priori troublante mais juridiquement prévisible, un défaut de cause réelle et sérieuse :

a) « Un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l’entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire. »

b) « Le reproche fait au salarié, comme constitutif d’une faute grave, d’avoir entrepris de relancer la polémique consécutive à la parution d’un article de presse rapportant des propos dont il contestait la teneur, n’était pas établi. »

Se tromper de terrain en invoquant non un trouble caractérisé mais une faute disciplinaire coûte donc automatiquement un défaut de cause réelle et sérieuse.

Car, à l’instar du principe de laïcité limité aux seuls services publics, le devoir de réserve n’existe pas dans l’entreprise privée. Mais n’importe qui ne peut pas dire n’importe quoi : L. 1221-1 veille, et des clauses contractuelles spécifiques peuvent rappeler au salarié ses obligations. Il n’est enfin pas interdit d’avoir un minimum de bon sens : « Le problème, aujourd’hui, c’est que la bêtise pense. » (Jean Cocteau.)

COURRIELS ET DOSSIELS : DIFFÉRENCE ENTRE OUVERTURE ET UTILISATION DU CONTENU

Tout salaire méritant travail, sur temps et lieu de travail, le salarié est présumé travailler : l’employeur a donc accès à ses courriels et dossiels non titrés « Privé ». Mais si une fois ouverts leur contenu s’avère privé

Pédagogique synthèse avec l’arrêt du 5 juillet 2011 séparant nettement ouverture licite et utilisation illicite du contenu à des fins disciplinaires. Un cadre supérieur est licencié pour faute : dans sa messagerie professionnelle figurent des messages et photos érotiques liés à une correspondance intime avec une consentante, sinon très volontaire salariée de l’entreprise : « Même au temps et au lieu du travail, le salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée. Si l’employeur peut consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée. La cour d’appel, qui a relevé que les messages d’ordre privé échangés avec une collègue de l’entreprise étaient pour la plupart à l’initiative de celle-ci, notamment celui contenant en pièce jointe non identifiée des photos érotiques, et que l’intéressé s’était contenté de les conserver dans sa boîte de messagerie sans les enregistrer ni les diffuser, a légalement justifié sa décision » (de licenciement sans cause réelle et sérieuse).

1. L’ouverture dépend du titrage. En l’absence de titrage explicite indiquant qu’un message est personnel, la présomption simple de caractère professionnel permet (en droit) à l’employeur d’y avoir accès à tout moment et sans la présence du salarié, à l’instar de ses beaux dossiers papier multicolores. Et en cas de doute L’employeur peut-il ouvrir sans faute Ou risque-t-il de jouer à l’arroseur arrosé et de se retrouver en correctionnelle pour violation du secret de la correspondance, ou aux prud’hommes pour atteinte à la vie privée, tout en ne pouvant produire ces preuves en justice

À juste titre, la chambre sociale applique jusqu’au bout la présomption simple de caractère professionnel ; ce n’est donc pas au manager de jouer les devins, c’est au salarié de l’écarter en titrant clairement « Privé ».

2. Utilisation : cachez ce contenu que je ne saurais voir. Si, une fois licitement ouvert, le contenu est manifestement personnel, l’employeur ne peut sanctionner disciplinairement le salarié pour ses propos privés. Mais, là encore, la présomption joue et en cas de doute le contenu sera considéré comme professionnel : « Ce message, envoyé par le salarié aux temps et lieu de travail et qui était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtait pas un caractère privé : il pouvait être retenu au soutien d’une procédure disciplinaire. » (CS, 2 février 2011.)

Mais, dans la vraie vie, le manager ouvrant un courriel et tombant sur des propos privés mais fort agressifs va-t-il se contenter de lever pudiquement les yeux ?

ERREMENTS D’UN DÉLÉGUÉ DANS LE CADRE DE SON MANDAT

La question n’est pas celle d’une faute disciplinaire classique (ex.: harcèlement moral, Conseil d’État, 23 juillet 2010) commise par un salarié par ailleurs délégué, mais de faits nécessairement liés à l’exercice des fonctions de représentant du personnel : si les électeurs peuvent le sanctionner aux prochaines élections, l’employeur peut-il le faire ?

Réponse de la chambre sociale le 30 juin 2010 à propos de la sanction infligée à deux membres d’un comité de groupe européen arrivés délibérément très en retard à une réunion : « Une sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu’en raison de faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l’employeur. En refusant d’annuler les sanctions litigieuses alors que le retard reproché aux salariés concernait l’exercice de leurs mandats représentatifs, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » Cette immunité disciplinaire peut-elle profiter à un trésorier ayant confondu les fonds du comité d’entreprise avec ses propres deniers ? C’est ce que pensent nos juges, car c’est exclusivement comme représentant du personnel qu’il a pu agir ainsi, pas en tant que salarié. Ce qui, dans des affaires récentes visant d’opulents comités, a beaucoup surpris les salariés mais aussi l’opinion : qu’un détournement de fonds ne fasse l’objet d’aucune procédure disciplinaire…

Et côté Conseil d’État ? Avant comme après son revirement du 15 décembre 2010, l’employeur obtiendrait en l’espèce une autorisation de l’Inspecteur du travail, mais plus sur le même fondement. Jusqu’à cette date, au nom du sens commun, le pragmatique Conseil admettait qu’un tel comportement soit qualifié de « faute d’une gravité suffisante » justifiant l’autorisation. Mais comme la Cour de cassation lui donnait des leçons de libertés publiques…

Revirement le 15 décembre 2010 s’agissant d’un délégué chauffeur s’étant vu suspendre son permis : « Un agissement du salarié intervenu en dehors de l’exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s’il traduit la méconnaissance par l’intéressé d’une obligation découlant de ce contrat. Le fait, pour un salarié recruté sur un emploi de chauffeur, de commettre dans le cadre de sa vie privée une infraction de nature à entraîner la suspension de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations contractuelles à l’égard de son employeur. » Mais un routier qui ne peut plus conduire…

PORTE DE SORTIE COMMUNE : LICENCIEMENT POSSIBLE POUR « TROUBLE CARACTÉRISÉ »

Cour de cassation : « Si, en principe, il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en est autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière. »

Conseil d’État : « Il appartient alors à l’inspecteur du travail de rechercher si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l’entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé. » Constituant une simple cause réelle et sérieuse, ce motif objectif est incompatible avec l’invocation d’une quelconque faute disciplinaire, donc souvent avec une dispense totale de préavis. Moralité ? Aujourd’hui, l’intelligence consiste à choisir entre de grands inconvénients.

FLASH
Vie personnelle et clause de mobilité géographique

Depuis l’arrêt Stéphanie M. du 14 octobre 2008, en application de l’article L. 1121-1, un salarié ayant signé une clause de mobilité peut ensuite refuser sa mise en œuvre si cette mobilité porte (gravement ?) atteinte à sa vie personnelle ou familiale, l’employeur ayant alors de grosses difficultés à démontrer qu’elle « est proportionnée au but recherché » (sur « Les mobilités du salarié », voir numéro spécial Droit social, septembre 2011).

L’arrêt Arnaud X. du 23 mars 2011 montre que, pour nos hauts magistrats, il n’y a pas que maman pour garder les enfants. Alors que les juges du fond (inamovibles) avaient débouté le jeune papa poule divorcé, cassation : il leur appartenait de vérifier que la proposition de l’employeur de mutation de Compiègne à Paris « ne portait pas une atteinte au droit du salarié, lequel faisait valoir qu’il venait de s’installer à Salouël suite à son divorce afin d’offrir de meilleures conditions d’accueil à ses enfants, à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché ». Redoutable casuistique, mais devenue banale dans notre État de « droits ».

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray