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Politique sociale

Pas très net, le business des syndicalistes “avocats”

Politique sociale | publié le : 01.10.2011 | Stéphane Béchaux

Les syndicalistes ne font pas tous bon usage de leur capacité à représenter les salariés devant les tribunaux. Entre petits arrangements et grosses magouilles, les dérives sont bien réelles. Enquête.

La judiciarisation des relations du travail remplit les salles d’attente des cabinets d’avocat. Mais aussi des bourses du travail et des unions locales et départementales des syndicats. Le Code du travail autorise en effet ces derniers à assurer la défense des travailleurs devant les conseils de prud’hommes (CPH) et les cours d’appel. Une exception légale très judicieuse. Sans elle, nombre de salariés, notamment parmi les précaires et les mal payés, n’oseraient jamais faire valoir leurs droits devant le juge. De peur de devoir régler des honoraires qu’ils imaginent astronomiques…

Une brèche dans laquelle s’engouffrent de vrais militants, qui prennent sur leur temps pour assister gracieusement des salariés en galère. Mais aussi des petits malins, qui en font commerce. Parmi les pionniers du genre, Richard Postal et Philippe Ausset. Deux pseudo-syndicalistes qui, au milieu des années 2000, ont créé une myriade d’organisations fantoches, parfois estampillées CFTC, pour écumer les prétoires et ramasser des honoraires. « Le problème, c’est que n’importe qui peut créer un syndicat. Il suffit d’aller en mairie et de déposer des statuts correctement rédigés. Avec deux adhérents, le tour est joué », déplore Bruno Harache, responsable juridique de l’Unsa francilienne.

Réapparus au printemps aux prud’hommes de Paris, ces précurseurs ont fait des petits. À l’image de SASDS. Créée voilà cinq ans par Théodore Selalmas, un ancien conseiller prud’homal cédétiste brièvement passé par l’Unsa, cette prétendue union de syndicats autonomes a tout d’une officine d’avocats. Sauf le sérieux, si l’on en croit les témoignages de salariés mécontents publiés sur le Web. À son actif, plus de 800 contentieux suivis par une poignée de délégués. « Nous avons 109 dossiers en cours, dont la moitié en Ile-de-France », énumère son fondateur.

Autre acteur, l’Union pour la défense des intérêts des salariés (Udis). Une organisation fondée fin 2009 par une ancienne de SASDS, étudiante en droit, Menao Antigny. Située juste en face du CPH de Paris, la structure a modifié à plusieurs reprises ses statuts pour coller à la définition précise d’un syndicat. Sa présidente revendique 92 membres, dont 77 en procédure contentieuse.

Loin de travailler gratuitement, ces deux structures réclament de l’ordre de 700 à 950 euros par dossier, payables en plusieurs fois mais intégralement encaissés avant la première audience judiciaire. Recrutant essentiellement via leurs sites Web, elles facturent leurs prestations sous forme de cotisations, fiscalement déductibles, proportionnelles au salaire et plafonnées. Une astuce qui leur permet de ne jamais parler de « clients » mais d’« adhérents ». Histoire d’avoir l’apparence de vrais syndicats et d’échapper aux soupçons d’exercice illégal de la profession d’avocat.

Sans convaincre les barreaux. SASDS, Udis mais aussi SAPS, UDSPA salariés, Seccad, Unset… En Ile-de-France, la multiplication de structures sans activité tangible en entreprise agace les avocats. La commission de l’exercice du droit du Conseil national des barreaux travaille à la rédaction d’une note visant à rappeler le cadre légal d’intervention des défenseurs syndicaux. « Cette exception légale donne lieu à des détournements par la création de fausses organisations syndicales qui se proposent, le plus souvent contre rémunération, de représenter les salariés devant les juridictions prud’homales », peut-on y lire en introduction. Des agissements difficiles à contrer.

De rares juges s’y essaient néanmoins. En particulier au CPH de Paris. « Les conseillers sont divisés sur le sujet. Certains s’en tiennent à vérifier l’apparence de légalité du défenseur et de son syndicat, d’autres s’intéressent à son activité réelle. Les premiers laissent plaider, les seconds renvoient », explique sa présidente, la cégétiste Chantal Verdin. Furieux de se faire éconduire, un délégué de SASDS s’est l’an dernier menotté à la barre. La patronne de l’Udis, elle, a porté plainte contre le vice-président et un conseiller cégétiste de l’institution. « Aucun texte n’exige d’un syndicat qu’il soit représentatif ou implanté en entreprise pour défendre des salariés. Qu’on me laisse le temps de faire de la syndicalisation », peste l’intéressée. Au CPH d’Argenteuil (Val-d’Oise) aussi, on fait la police. L’Union des syndicats pour un droit social pleinement appliqué aux salariés (UDSPA salariés) et la Fédération syndicale indépendante et autonome (FSIA) s’y sont récemment fait retoquer.

Les organisations syndicales confédérées approuvent ces opérations de nettoyage. Mais elles font néanmoins profil bas. Car elles sont régulièrement confrontées aux agissements de militants indélicats qui montent leur petit ou gros business. L’an dernier, la CGT de Melun (Seine-et-Marne) a ainsi porté plainte contre l’un des siens qui réclamait 500 euros en espèces aux salariés pour les défendre aux prud’hommes. « On a remboursé les sommes à ceux qu’on a pu identifier. Soit plus d’une dizaine. Et appelé nos unions locales à la vigilance », confie Valérie Lesage, la secrétaire générale de l’union départementale. En septembre, la CGT de Paris a elle aussi été mise en alerte : on soupçonne l’un de ses conseillers des salariés, dans le secteur de la sécurité, de facturer ses interventions au nom d’une structure inconnue, Alliance solidaire nouvelle.

De confortables honoraires. Dans les Hauts-de-Seine, la CFTC tente, elle, de solder des dysfonctionnements à très grande échelle. Gérant – fort bien, d’ailleurs – des centaines de dossiers par an, son service juridique encaissait de très confortables honoraires via une structure externe, l’Association d’aide aux salariés en difficulté (ASD). Celle-ci faisait signer des conventions prévoyant, entre autres, « une contrepartie financière variable limitée à 6 % du montant net des sommes perçues par le salarié à l’issue de la notification du jugement ou de la signature d’un protocole transactionnel ». Un taux par la suite revalorisé à 8 % servant pour moitié à financer l’association et pour l’autre à… défrayer les défenseurs prud’homaux ! Pour la seule année 2010, cinq militants se sont ainsi octroyés, d’après les comptes présentés au bureau de l’UD, entre 5 500 euros et 26 270 euros. Sans compter 32 926,40 euros de frais de restauration. « Ces pratiques sont parfaitement anormales et scandaleuses. On y a mis fin dès qu’on en a eu connaissance, en début d’année », jure Philippe Jesenberger, le président de l’UD. L’association a de fait été dissoute en février, dans la foulée d’un conseil extraordinaire auquel participait Pierre Mences, le trésorier confédéral. Et une plainte au civil devrait suivre.

Dans les textes, rien n’oblige les syndicats à faire de la défense juridique 100 % gratuite. Normal. Préparer un dossier exige du temps et des moyens, notamment documentaires. Ester en justice génère aussi des coûts, que les organisations n’ont pas à supporter. Sinon pour leurs adhérents, qui bénéficient le plus souvent d’une assistance juridique gratuite prévue dans leur cotisation. « Il n’est pas anormal que les syndicats recouvrent le montant des frais engagés. Mais ils n’ont pas vocation à faire de la représentation en justice à titre habituel et rémunéré. Encore moins des bénéfices », décrypte l’avocate Franceline Lepany.

Adhésion obligatoire, frais de dossier, “don”, pourcentage sur les gains…D’un syndicat à l’autre, les tarifs varient. Les montages aussi

Le flou des textes laisse néanmoins le champ libre à toutes les pratiques. Adhésion ou « rétroadhésion » obligatoire, frais de dossier, récupération de l’article 700 (pour les frais de justice engagés), « don » plus ou moins sollicité, pourcentage sur les gains… D’une union départementale à l’autre, d’un syndicat professionnel à l’autre, les tarifs varient. Les montages aussi. En 2006, l’union locale CGT des Clayes-sous-Bois (Yvelines) avait ainsi créé une association, employant deux militants, pour développer son activité juridique. Et faire signer des conventions, comprenant 380 euros de frais de dossier et « une participation financière correspondant à 10 % des sommes obtenues par le salarié ». « Ça n’a pas marché, on l’a rapidement mise en sommeil. On est tous mal à l’aise avec ça mais on n’a pas les moyens de faire de la défense prud’homale gratuite. Le juridique, c’est un moyen de survivre, pas une usine à fric. Quand un salarié fait un don, reverse l’article 700 ou rétrocède un pourcentage sur ses gains, l’argent reste dans le syndicat. Contrairement à celui des cotisations », explique-t-on à l’union locale.

Par choix politique ou faute de moyens, beaucoup de syndicats refusent de faire du juridique. Ils renvoient les salariés vers des avocats partenaires, avec lesquels ils négocient des tarifs allégés. En prenant, parfois, une rétrocommission comme apporteurs d’affaires… D’autres, au contraire, considèrent l’activité comme un axe fort de développement syndical et s’en donnent les moyens. À l’image de l’UL CGT de Chatou (voir encadré ci-contre) ou de l’Unsa d’Argenteuil qui traite des dizaines de dossiers par an, à coups d’adhésions (150 euros), de frais de dossier (400 euros), d’articles 700 (en cour d’appel) et de variables (12 % sur les dommages et intérêts obtenus). « On emploie quatre salariés. Sans ces rentrées, on ne pourrait pas fonctionner. Les sommes ne servent qu’à ça », assure son secrétaire général, Christophe Gros. En Meurthe-et-Moselle, la CFTC bénéficie, elle, du service juridique de la Fédération du bâtiment, installée à Nancy. Et pour cause : les deux structures sont présidées par le même homme, Patrick Del Grande. Deux salariés y assistent les demandeurs, moyennant cotisation, frais de dossier, article 700 et 15 % sur les dommages et intérêts accordés.

Information judiciaire. Ces structures très rodées flirtent avec l’exercice illégal de la profession d’avocat. La CFDT de Meurthe-et-Moselle peut en témoigner. Perquisitions, gardes à vue… Le syndicat a vécu une année 2010 bien agitée, débouchant sur l’ouverture d’une information judiciaire. Des salariés défendus par le syndicat affirment avoir été forcés de rétrocéder une partie de leurs gains. « C’est faux ! On faisait du cas par cas. Parfois, on ne demandait rien, d’autres fois l’article 700 ou un pourcentage, de l’ordre de 5 %. On essayait juste d’équilibrer les comptes de notre service juridique. Cette transparence est à l’origine de nos ennuis mais, au final, elle nous sauvera », confie Denis Hassler, le secrétaire général. Des pratiques révolues. Depuis l’an dernier, les quatre UD de Lorraine ont régionalisé leurs services juridiques, à l’instar de ceux de Basse-Normandie. Entre amateurisme et professionnalisme, la voie est étroite pour les syndicats…

Les pratiques controversées de l’UL CGT de Chatou

Décatis, les locaux de l’union locale CGT de Chatou (Yvelines) abritent pourtant une machine de guerre. Son credo ? Le combat juridique. « Dans la CGT, beaucoup ne jurent que par le rapport de force. À tort. Le CNE, c’est nous qui l’avons fait tomber. Devant les tribunaux », plaide Alain Hinot, le secrétaire du secteur juridique. Le syndicat a développé une activité florissante. Et pas seulement sur son microterritoire. Ses délégués, aguerris, plaident devant les juridictions de tout l’Hexagone. Mais pas à l’œil. Par convention, les salariés s’engagent à adhérer, s’acquitter de frais de dossier (le tiers d’un salaire, avec un plancher de 550 euros), reverser l’article 700 (frais de dossier déduits) et 10 à 15 % de leurs gains, salaires inclus. « Ça, c’est la théorie. En pratique, la moitié ne paie presque rien au départ. On ne cherche pas à prendre le maximum de dossiers mais à faire avancer le droit », assure Alain Hinot. Des pratiques qui ulcèrent néanmoins la confédération qui, via son UD, cherche en vain à dissoudre la structure. « Elle utilise le sigle CGT pour faire du business, pas du syndicalisme », peste-t-on à Montreuil. L’UL gère plusieurs centaines de dossiers par an. Sans compter ceux pris en charge par les trois avocats qui y tiennent permanence. Les salariés sont envoyés par des syndicats, recrutés par le bouche-à-oreille ou via la liste préfectorale des conseillers du salarié des Yvelines. Y figure un curieux « syndicat Veolia Transport », dont les 25 membres ont tous comme téléphone fixe celui de… l’UL ! Le fonctionnement du syndicat interroge aussi. Ses statuts font la part belle au secteur juridique qui « administre de façon autonome ses ressources et ses besoins ». Et à son tout-puissant secrétaire. Seul salarié de l’UL, il lui revient, avec le méconnu secrétaire général, Claude Sauvanet, de désigner les défenseurs prud’homaux, à ce titre « défrayés sur justificatifs (ou au forfait) ». Deux associations jumelles visant à « mettre en œuvre un statut adapté à la fonction de défenseur prud’homal et/ou de juriste syndical » gravitent aussi autour de l’UL. La première, Secteur prudis UL Chatou, a son siège au domicile d’Alain Hinot. La seconde, Sysag, est présidée par Afaf El Amrani, sa compagne. « Elles servent à salarier six ou sept personnes, dont deux stagiaires », assure l’intéressé.

Auteur

  • Stéphane Béchaux