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Idées

Faut-il instaurer des droits rechargeables pour les demandeurs d’emploi ?

Idées | Débat | publié le : 01.10.2011 |

Xavier Bertrand, le ministre du travail, s’est engagé à étudier la création de droits rechargeables pour les demandeurs d’emploi, une mesure portée par les syndicats lors de la renégociation de la convention d’assurance chômage au printemps dernier, mais refusée par le patronat.

Jacques Freyssinet Président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi

Le principe de droits d’indemnisation « rechargeables » relève du bon sens. Un chômeur qui n’a pas épuisé ses droits à indemnisation court aujourd’hui le risque, s’il accepte un emploi de courte durée, de se retrouver au chômage avec des droits inférieurs à ceux qu’il détenait auparavant. C’est un mécanisme injuste et potentiellement générateur de refus de reprise d’emploi (précaire). De manière plus générale, cette proposition se situe dans la logique de la portabilité des droits, timidement amorcée par l’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. La surprise tient aux conditions de relance de ce débat. Lors de la négociation de l’accord du 23 décembre 2008 sur l’indemnisation du chômage, la CFDT et la CFTC mettent en avant la revendication de « droits capitalisables » et se heurtent à un refus du patronat. La demande est reprise, au cours de la négociation de l’accord du 25 mars 2011, sous les vocables de « droits rechargeables » ou « cumulables » ou « portables », par l’ensemble des organisations syndicales. Elle se voit opposer un nouveau refus patronal, mais la question est inscrite d’un commun accord au programme du « groupe de travail politique » qui doit préparer une remise à plat du régime au terme de l’actuelle convention d’assurance chômage, d’ici au 31 décembre 2013.

L’intervention de Xavier Bertrand bouscule donc le calendrier sur lequel s’étaient mis d’accord patronat et syndicats dans un domaine qui relève normalement de leur responsabilité, sous réserve d’agrément de leur accord par le gouvernement. De plus, le ministre propose une procédure qui ignore la négociation interprofessionnelle : il tiendra des réunions bilatérales avec chaque organisation. Enfin, la sanction annoncée dans le cas d’un éventuel échec est curieuse : le thème serait alors « au cœur de la campagne présidentielle et du projet présidentiel de l’UMP ». S’il ne fait pas de doute que l’instauration de droits rechargeables est souhaitable et si l’on peut regretter que les refus répétés du patronat aient renvoyé le dossier à 2013, il n’est pas certain que la méthode choisie par le ministre, explicitement associée à une stratégie politique de court terme, soit la plus appropriée. Il semble avoir oublié les règles établies par la loi de démocratisation du dialogue social pour coordonner la politique publique et la négociation collective.

Jean-Pierre Revoil Ancien directeur général de l’Unedic

Les règles actuelles de l’indemnisation du chômage ne pénalisent en aucun cas le retour au travail. Si celui-ci se traduit par un échec, au pire l’intéressé récupère le reliquat de ses anciens droits. Si cette nouvelle période de travail atteint ou dépasse quatre mois, elle ouvre la possibilité de droits nouveaux qui sont alors comparés au reliquat des anciens droits. La situation la plus favorable pour l’intéressé l’emporte. Il n’y a donc pas d’équivoque. Si ce retour au travail s’effectue sous la forme d’un emploi à temps réduit, un cumul salaire-indemnisation est possible à certaines conditions. Les règles d’indemnisation incitent donc même à la reprise d’activité.

Que seraient des « droits rechargeables »? Il s’agirait, en cas de retour au chômage, soit de cumuler le reliquat non consommé des anciens droits avec des droits nouveaux basés sur la dernière période de travail, soit de recalculer de nouveaux droits établis sur la fusion des périodes de travail anciennes et nouvelles dont on soustraira les jours précédemment indemnisés. Cette capitalisation de droits successifs, voire de périodes de travail ayant déjà servi à l’ouverture de droits antérieurs, apparaît doublement dangereuse : elle amènerait à favoriser et donc à intensifier la pratique du travail précaire et du chômage récurrent. On sait, en effet, que les employeurs, souvent de connivence avec les salariés, adossent leurs modes de gestion de la main-d’œuvre aux évolutions des règles d’indemnisation du chômage. Et elle conduirait à accroître fortement les dépenses de l’assurance chômage qui présente déjà un sérieux déficit, sauf à décider d’une contrepartie financière !

En tout état de cause, il convient de laisser aux partenaires sociaux la maîtrise de la gestion d’un système réputé être un des plus avantageux du monde : au-delà de 4 mois de travail dans les 28 derniers mois, 1 jour de travail donne droit à 1 jour d’indemnisation dans la limite de 730 jours (1 095 jours pour les 50 ans et plus). Dans cette période de crise économique, si l’on veut – et on le doit – améliorer le sort des chômeurs, deux priorités s’imposent : la nécessité d’assurer un accompagnement individualisé de qualité et si possible jusqu’audelà de la reprise du travail et, dès lors, la nécessité d’apporter une indemnisation d’un niveau décent au nombre croissant de chômeurs de très longue durée. C’est pour les pouvoirs publics, garants de la solidarité nationale, un devoir.

Laurent Berger Secrétaire national de la CFDT

Multiplication des contrats courts, récurrence du chômage…? Pour faire face à ces problèmes et prévenir le chômage de longue durée, la CFDT propose depuis plusieurs années la création de droits à l’assurance chômage « rechargeables ». L’ambition est de réduire les inégalités et de sécuriser les parcours des salariés tout en favorisant la reprise d’emploi. Quand un chômeur retrouve un travail, il ne doit plus hésiter dans le doute de ce que sera son allocation s’il ne conserve pas cet emploi. Toute période travaillée doit compter pour ouvrir des droits d’assurance chômage, sur la base d’une journée indemnisée pour une journée travaillée, comme c’est le cas depuis 2009 grâce à l’accord signé par la seule CFDT. L’instauration de droits rechargeables, stockés quand la personne occupe un emploi, réutilisables lorsqu’elle le perd, répond à l’objectif d’aider les demandeurs d’emploi à reprendre sereinement une activité professionnelle. Les durées d’indemnisation non consommées lors d’une période de chômage pourraient être récupérées et cumulées avec les nouveaux droits créés au cours de la période travaillée. Cette mesure existe déjà pour les intérimaires. Elle doit être étendue à tous !

La création de droits rechargeables ne doit pas inciter les entreprises à proposer plus d’emplois précaires, faisant ainsi payer le coût de leur flexibilité à l’assurance chômage. Il faut éviter les effets d’aubaine que pourrait créer cette mesure. C’est pourquoi les droits rechargeables doivent s’accompagner de la mise en place d’une cotisation patronale dégressive en fonction de la durée dans l’emploi. Elle permettrait de lutter contre l’augmentation des contrats courts et précaires. La cotisation serait plus élevée au cours des premiers mois dans l’emploi pour atteindre progressivement un taux fixe inférieur. Cette dégressivité s’appliquerait à tout type de contrats et inciterait les entreprises à établir des contrats plus longs.

La mise en place simultanée des droits rechargeables et d’une cotisation dégressive constituerait un grand pas dans la responsabilisation de tous les acteurs. La responsabilisation ne serait plus basée sur la sanction ou la suspicion du chômeur, mais sur une vision dynamique du marché du travail et de la sécurisation des parcours professionnels. Il appartient aux partenaires sociaux d’être audacieux et de mettre à profit les travaux paritaires qui débutent cet automne pour passer à l’acte !