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Enquête

La réforme qui met les fonctionnaires sous tension

Enquête | publié le : 01.10.2011 | Éric Béal

Décrétée pour transformer les services de l’État, avec des méthodes inspirées du privé, la révision générale des politiques publiques bouleverse organisations et métiers. Le tout avec des effectifs réduits. Sur le terrain, le malaise est palpable.

Un problème informatique, une fusion qui se passe mal La faute à la RGPP. Un poste de prof non remplacé Encore la RGPP. Le malaise des fonctionnaires Toujours la RGPP. Confidentiel à ses débuts, cet obscur sigle est désormais accusé de tous les maux. Il est présent dans tous les tracts syndicaux à l’occasion des élections professionnelles de la fonction publique qui se déroulent le 20 de ce mois. Nous sommes loin du discours volontariste du chef de l’État qui lançait, à peine élu, la « révision générale des politiques publiques » en promettant « un changement en profondeur des méthodes, de l’organisation, des critères d’évaluation ». Quatre ans plus tard, cette réforme suscite critiques et inquiétudes. Les auditions de la mission commune d’information du Sénat voient s’empiler les témoignages de hauts fonctionnaires, de préfets, de syndicalistes et d’élus locaux qui s’alarment de la disparition des services de l’État dans les territoires, de la perte de savoir-faire ou de moyens, de la réduction des équipes… « Ce que je reproche à la RGPP, ce n’est pas son objectif, qui est pertinent, mais sa méthode d’application : la précipitation est mauvaise conseillère », déclare Jean-Paul Delevoye, ancien médiateur de la République, aux sénateurs. « Y a-t-il eu concertation ? s’interroge pour sa part Patrick Hallinger, secrétaire national de l’UGFF CGT. Pour le représentant de la fonction publique d’État que je suis, la réponse est non. C’est même une caractéristique importante de la politique engagée depuis 2007. »

Comités confidentiels. À quelques mois de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy ne peut pas faire fi de cette convergence de critiques. Car il est en première ligne. Contrairement aux tentatives de réforme précédentes (voir encadré page 23), la RGPP se caractérise par un pilotage vertical. « On découvre, comme le grand public, des décisions prises au sommet », déplore un haut fonctionnaire. C’est en effet le chef de l’État qui préside le Conseil de modernisation des politiques publiques ou CMPP. Un comité de suivi, coprésidé par le secrétaire général de l’Élysée et le directeur de cabinet de Matignon, examine différents scénarios de réforme pour chaque ministère et formule des propositions au CMPP. Créée en 2005 et rattachée au ministère du Budget, la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME), confiée à un ancien de McKinsey, François-Daniel Migeon, fait également partie du dispositif. Elle suit l’application des décisions du CMPP et joue le rôle de relais entre administrations et consultants. Elle conseille aussi les ministres sur leurs projets de réorganisation. Sans oublier des structures informelles de concertation. Le directeur du Budget et le directeur général de l’Administration et de la fonction publique (DGAFP, le DRH de l’État) se retrouvent chaque lundi midi dans le bureau du DGME pour un point hebdomadaire. Serge Lasvignes, le secrétaire général du gouvernement, anime un « comité des secrétaires généraux (SG) du gouvernement », prévu dans aucun texte officiel. Un « comité des quarante » réunit enfin régulièrement les SG du gouvernement et les préfets de région. Le suivi des décisions s’inspire largement des méthodes de gestion de projet dont les entreprises privées ont l’habitude. « La RGPP a été pensée comme un dispositif piloté par l’Élysée, impliquant les ministres [qui ont deux mois pour formaliser une feuille de route suivant la décision du CMPP, NDLR] et destiné à produire des décisions politiques de réorganisation », analyse Philippe Bezes, sociologue et spécialiste des politiques publiques.

Les représentants du personnel n’ont pas leur place dans une telle organisation. « Pour les décideurs, les agents et leurs représentants syndicaux font de la résistance au changement. Il fallait les court-circuiter par des décisions prises au plus haut niveau de la hiérarchie de l’État », estime Brigitte Jumel, secrétaire générale de l’Uffa CFDT. Or le gouvernement n’avait pas de temps à perdre. « Il fallait aller vite afin de profiter des départs massifs à la retraite », confirme François-Daniel Migeon, le DGME (voir ci-contre). Quelque 70 000 fonctionnaires partent à la retraite chaque année depuis 2007. Ne pas remplacer un départ sur deux permet de « dégager des marges de manœuvre budgétaires ».

Mais cette politique pèse de plus en plus sur les personnels, comme le montrent nos exemples sur le terrain (voir pages suivantes). Les services locaux de la Direction générale des finances publiques connaissent ainsi une situation tendue. « Dans les petites trésoreries rurales de cinq à six agents, lorsque deux ou trois personnes n’ont pas été remplacées, la surcharge de travail sur ceux qui restent devient insurmontable. Dans de telles conditions, il ne faut pas s’étonner que le nombre de congés de maladie augmente de manière inquiétante », note Philippe Schoun, secrétaire du Syndicat CFDT des finances et des affaires économiques de Lorraine. Ailleurs, c’est la réorganisation des services de l’État au sein des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) qui déstructure les collectifs de travail.

Plus grave, quatre agents de l’Office national des forêts ont mis fin à leurs jours au cours de l’été. Les syndicats accusent le malaise créé par les suppressions d’emplois. Une explication reprise par la sociologue Nathalie Robate (Fondation Henri-Pézerat). « Les organisations du travail ont été transformées, les règles statutaires et le fonctionnement ont été modifiés sans mettre au préalable une autre GRH en place. On crée en permanence de la souffrance. Il y a dans les trois fonctions publiques tout autant de suicides que dans le privé », affirme-t-elle. Jean-François Verdier, le DGAFP, admet un décalage. Mais, à ses yeux, la solution réside dans la construction d’« une fonction publique de métiers en simplifiant l’organisation statutaire et le recrutement ». Objectif : faciliter les mobilités et améliorer la gestion des carrières.

Entretien annuel d’évaluation. Concrètement, les efforts ont d’abord porté sur les cadres. Concours modifiés pour valoriser les mises en situation professionnelle et unification des statuts grâce à la création prochaine d’un corps interministériel d’attachés pour quelque 15 000 agents des catégories A et A +. Parallèlement, la DGAFP poursuit un travail de fusion des corps administratifs qui devrait voir leur nombre baisser de plus de 1 000 en 2 000 à quelque 230 en 2015. Et des bourses interministérielles de l’emploi public en régions facilitent la mobilité. Enfin, les 1 851 primes existantes dans la fonction publique seront bientôt rassemblées en une seule « prime de fonctions et de résultats ». Son montant sera déterminé par un entretien annuel d’évaluation, après la suppression des notations chiffrées. En attendant un intéressement collectif à compter de janvier 2012, dont le dispositif a été instauré par un décret et une circulaire le 29 août. Mais ces projets ne répondent que partiellement au malaise des agents. « Le problème principal de la RGPP aujourd’hui, c’est la mise en œuvre des décisions et l’amélioration du management de terrain pour faire baisser les tensions très fortes à l’intérieur des administrations », estime Gilles Pedini, responsable du consulting secteur public chez Deloitte.

De quoi donner un supplément de travail aux consultants, déjà très présents depuis l’appel d’offres de la DGME en 2007. « Il s’agissait d’une assistance dans trois domaines : une participation à l’audit des ministères, une identification des mesures à prendre et un accompagnement des mesures prises », indique Arnauld Bertrand, responsable de l’activité de conseil pour le secteur public chez Ernst & Young. Aux 167 premiers audits réalisés par les McKinsey, Boston Consulting Group ou Ernst & Young s’en sont ajoutés de nouveaux, conduits par 26 équipes associant inspecteurs généraux et consultants privés, dont l’objectif était de proposer des mesures pour réduire les dépenses publiques. Suivis de missions pour accompagner le changement, menées par des consultants.

« Au départ, la RGPP avait deux volets : réorganisation des périmètres ministériels avec mutualisation des moyens d’un côté, et remise en question de l’efficacité des politiques publiques de l’autre. Ce second volet a été rapidement mis en sommeil », affirme Gilles Pedini. D’ailleurs, parlementaires et élus locaux n’ont jamais été associés aux travaux du CMPP. À Bercy, Philippe Parini, directeur général des Finances publiques, a procédé à la fusion des directions générales des Impôts et de la Comptabilité publique sans que le gouvernement s’attaque à une refonte de la politique fiscale. Le DGME met en avant l’amélioration du service aux usagers grâce au développement de l’e-administration et aux efforts pour améliorer l’accueil du public. Mais c’est toujours la recherche d’économies budgétaires qui prime.

La deuxième phase de la RGPP concerne les grandes agences : Météo France, le CNRS ou Pôle emploi sont tenus de faire des économies

Du coup, « les agents ne saisissent pas le sens des réformes. La règle du non-remplacement d’un départ sur deux associée à la réorganisation territoriale des services de l’État a engendré un malaise important qui n’est pas près de se dissiper », estime Anne Baltazar, secrétaire générale de la Fédération générale des fonctionnaires FO. Pour sa part, Jean-François Verdier reconnaît que la fusion des services en régions bouscule les habitudes et engendre un mécontentement inévitable. « Mais l’État tourne bien et les choses devraient se tasser », assure-t-il. Et il n’est pas certain qu’une alternance politique en 2012 change la donne. Interrogé par Acteurs publics au printemps, le député Christian Paul, l’un des rédacteurs du projet socialiste, indiquait que le nouveau gouvernement procéderait à un check-up, sans forcément revenir à la situation antérieure, mais en faisant preuve d’« innovation ». Reste que si le sigle disparaît, une bonne partie des réformes devrait perdurer. D’autant plus que la deuxième phase de la RGPP concerne les grandes agences depuis la mi-2010. Météo France, le CNRS ou Pôle emploi sont tenus de faire des économies. En cinq ans, la RGPP aura modifié trop de choses pour être abrogée par simple décret…

Entre décembre 2007 et mars 2011, 559 mesures ont été adoptées, et 119 mesures ont été mises en application.

François-Daniel Migeon Directeur général de la Modernisation de l’État
“Les réorganisations secouent les habitudes mais les économies générées sont indispensables”

La RGPP se résume-t-elle à la recherche effrénée d’économies budgétaires ?

Non. Ses objectifs sont au nombre de trois : améliorer la qualité du service rendu aux usagers, dégager des marges financières et moderniser le fonctionnement de l’État dans le respect des agents. La qualité du service n’est pas corrélée aux moyens employés, elle a surtout besoin d’organisation et de simplification. Nous implantons par exemple les guichets uniques afin d’offrir un seul interlocuteur aux usagers. Et nous développons les services en ligne. Par ailleurs, le poids de la dette française ne cesse de croître, or le recrutement d’un agent correspond à une dépense cumulée sur soixante ans de 1,5 million d’euros sur le budget de l’État. D’où l’idée de profiter des départs massifs à la retraite pour contribuer à diminuer la facture en évitant de mettre en place un plan social. Ce qui dégage des moyens pour investir dans la modernisation des services publics.

L’intervention des cabinets de conseil dans la conception de la RGPP a été critiquée. Quel a été leur rôle exact ?

Il y a eu deux phases d’intervention des cabinets de consultants. En 2007 et en 2008, nous avons fait appel à eux pour nous aider à initier la RGPP. Il s’agissait de déterminer ses objectifs et le corps de mesures à envisager, ainsi que son ampleur et sa vitesse d’implantation. Les années suivantes, nous leur avons plutôt demandé de participer à la réflexion sur la réorganisation par département et à l’accompagnement des mesures décidées les années précédentes.

Les syndicats reprochent au gouvernement un manque de concertation. La RGPP ne se caractérise-t-elle pas par une certaine précipitation ?

La décision d’entreprendre une réforme doit être prise au plus haut niveau de l’État pour obtenir des résultats. En ce qui concerne la mise en application des décisions du CMPP, j’assume totalement le déroulement de la RGPP. Nous avons choisi d’aller vite, et force est de constater que la contrainte budgétaire a permis une réelle mise en mouvement et l’obtention de résultats. Le contexte actuel de crise des finances publiques justifie notre diligence. Nous aurions certes pu présenter les choses en termes de « modernisation durable » pour faciliter la compréhension des trois objectifs et aider les responsables hiérarchiques à expliquer la réforme à leurs équipes. Les agents participent progressivement à la mise en place de la réforme car les décisions s’appliquent petit à petit. Les premières datent de 2007 et leur application continue à se mettre en place.

L’application de la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux tient-elle compte des réalités locales ?

Tout le monde devait être concerné par cette règle pour que la réforme soit équitable. Cependant, cette règle du non-remplacement d’un départ sur deux a été appliquée par les managers de terrain, en fonction des besoins locaux. Je concède que les réorganisations qui en découlent secouent les habitudes de travail, mais les économies générées sont indispensables pour assurer l’avenir des services publics.

Les élus locaux, les syndicats et même le médiateur de la République pointent un recul de l’État et du service public. Que leur répondez-vous ?

Je ne nie pas les inquiétudes actuelles. Nous sommes dans une phase d’ajustement. Les repères sont brouillés, les responsables ont changé, il est normal que les agents soient inquiets. Il est aussi logique que les services de l’État soient focalisés dans un premier temps sur les modifications de leur mode de fonctionnement. À ce stade, un usager peut ressentir un peu de confusion et réagir. Mais c’est transitoire et je parie que dans six mois ou un an les choses se seront améliorées et la tension aura baissé. La dernière publication du baromètre de la qualité des services publics (juillet 2011) montre d’ailleurs que le sentiment de complexité face à l’administration commence à se réduire.

Propos recueillis par Éric Béal

RGPP

Revue, révision, réforme…, le « R » de RGPP donne le tournis. Le 20 juin 2007, le Premier ministre annonce officiellement le lancement d’une revue générale des politiques publiques (titre de la communication en Conseil des ministres). Le texte de cette communication indique que « La France se doit d’entreprendre à son tour une révision générale des politiques publiques ». Mais le mot « réforme » est employé trois fois, notamment pour préciser que « les réformes seront décidées par un conseil de modernisation des politiques publiques ».

Les grandes dates de la réforme de l’État

1968 : arrêté de Michel Debré créant une mission de rationalisation des choix budgétaires.

1989 : circulaire de Michel Rocard relative au « renouveau du service public ».

1990 : décret sur l’évaluation des politiques publiques.

1995 : circulaire d’Alain Juppé relative à la préparation et à la mise en œuvre de la réforme de l’État et des services publics.

2000 : la loi organique relative aux lois de finances octroie au Parlement un droit d’audition et de contrôle sur les finances publiques.

2005 : circulaire sur la mise en place des audits de modernisation.

2007 : en février, loi de modernisation de la fonction publique ; en décembre, premier Conseil de modernisation des politiques publiques.

Auteur

  • Éric Béal