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« Il y a des conditions de travail qui s’avèrent contre-productives »

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2011 | Laure Dumont

Pour le chercheur, le travail n’est pas seul à l’origine de la souffrance, mais il y occupe une place centrale. Des contraintes tel l’open space n’arrangent rien.

Qu’est-ce qu’un chercheur comme vous est venu faire à l’Observatoire Actineo de la qualité de vie au bureau ?

On nous a bassinés avec la réduction du temps de travail et l’avènement de la société des loisirs, mais c’est une illusion. Le travail reste au cœur de notre société. Toutes les études réalisées depuis six ans par Actineo montrent que des sujets passionnels – le stress, la souffrance, le suicide – ont glissé progressivement de la société vers le monde du travail. Quand un individu se suicide dans la rue, personne n’y prête plus attention. Quand on se suicide sur son lieu de travail, cela prend une tout autre dimension. Notre société a du mal à affronter les représentations, les émotions et l’irrationnel, qui en font pourtant partie intégrante. Il faut les traiter en temps que tels. C’est là que nous autres chercheurs pouvons apporter quelque chose. Notre rôle est de réinjecter l’irrationnel dans le fonctionnement rationnel.

Comment analysez-vous le phénomène du stress au travail ?

La souffrance et le stress sont deux notions très différentes. Dans les enquêtes qui mesurent le moral des salariés, on trouve une majorité de gens qui se disent heureux au travail et une majorité de gens qui se disent stressés au travail. Pendant longtemps, on a dit que le bureau était mieux que l’usine. Et pourtant, la souffrance psychique est montée avec le développement du tertiaire. En fait, le bureau n’est pas la seule clé de compréhension. Plusieurs dimensions se télescopent, même si le travail se trouve toujours au cœur de tout. On observe par exemple chez les générations actuelles une montée globale des exigences en matière de bien-être, de réussite : je veux réussir ma vie, mon travail, mes enfants… La souffrance arrive quand le stress s’amplifie dans le travail, mais aussi tout autour, dans la vie privée, etc. L’individu ne parvient plus à faire face.

Les nouvelles organisations du travail ­génèrent-elles de la souffrance ?

Oui. Sans parler des contraintes de travail, à un moment donné par exemple, les entreprises ont décrété que l’open space était le meilleur moyen de faire travailler les gens ensemble sans se demander à quelles conditions cette organisation le permettait effectivement. Et, au bout du compte, on aboutit à un espace ouvert où l’on fonctionne à huis clos. De plus, les outils informatiques participent à cette transparence totale. Le salarié, qui veut avoir encore un bout d’intimité, se retrouve en fait dans une exposition totale à l’autre. On ne cache plus rien. On retrouve ici Michel Foucault quand il disait que la transparence est le grand rêve des dictatures.

Les entreprises que vous rencontrez en ont-elles conscience ?

Pas massivement, même s’il y a des signaux encourageants. Nous leur disons de faire appel à leur bon sens. Quand il s’agit d’aborder un déménagement par exemple : vous pouvez toujours expliquer aux salariés que leur nouveau bureau est plus confortable, qu’il y a une salle de détente, une conciergerie… Si leur temps de trajet est passé de trente minutes à une heure, ils n’en auront rien à faire. C’est ainsi que, dans la dernière étude réalisée par TNS Sofres pour Actineo en avril 2011, les femmes sont bien plus sensibles que les hommes à la localisation de leur travail. Parce que ce sont elles qui en subissent surtout les conséquences. C’est une erreur de penser que les coûts fixes les plus élevés sont ceux liés à l’aménagement des bureaux. Ce qui coûte cher, ce sont les salaires. Or il y a des conditions de travail et des économies réalisées qui sont, finalement, contre-productives.

Avez-vous identifié des entreprises qui sont revenues sur ces choix ?

C’est ce que nous voulons montrer dans le Livre blanc d’Actineo : illustrer des démarches intelligentes qui participent tant à la performance qu’au bien-être des salariés. On voit ainsi apparaître des campus d’entreprises qui leur permettent de se réapproprier la représentation universitaire, assez cohérente avec les notions de capital humain et de société de la connaissance, ainsi que toute la symbolique de la Silicon Valley. Certes, quand Dassault Systèmes crée son campus, ce n’est pas seulement symbolique, car la recherche et l’innovation y sont une réalité. Mais quand le Crédit agricole adopte la même référence pour son nouveau siège à Mont­rouge, il dit ouvertement qu’il souhaite sortir de la symbolique de la finance, qu’il ne veut plus être assimilé aux prédateurs de la crise financière mais ressembler à une organisation humaine qui produit de l’intelligence. L’architecture choisie, se réappropriant l’agora, ouverte sur la ville avec des espaces accessibles au public, réinvente les liens entre l’entreprise et la cité.

ALAIN D’IRIBARNE

70 ans.

PARCOURS

Économiste, directeur de recherche au CNRS, Alain d’Iribarne a été administrateur de la Fondation Maison des sciences de l’homme. Il préside le conseil scientifique de l’Observatoire Actineo de la qualité de vie au bureau créé en 2005 par un collectif de professionnels de l’ameublement de bureau. Actineo publie en novembre un Livre blanc sur la qualité de vie au bureau.

Auteur

  • Laure Dumont