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Politique sociale

People aux prud’hommes

Politique sociale | publié le : 01.09.2011 | Emmanuelle Souffi

Les stars de la télé, du foot ou de la politique n’hésitent plus à porter plainte pour contester un licenciement. Des procès médiatiques et sous pression.

Assise au premier rang, elle attend son tour, le regard vide. Face à elle, ce 27 mai, quatre conseillers prud’homaux de Nanterre (Hauts-de-Seine). Mais aussi une nuée de photographes et de caméras. Florence Woerth, la femme de l’ancien ministre du Travail, n’imaginait pas un tel comité d’accueil. Le procès intenté contre son ex-employeur, Clymène, gestionnaire des actifs de Liliane Bettencourt, fait pourtant partie de ces affaires que le Landerneau médiatique surveille comme le lait sur le feu. Débauchée en 2008 par Patrice de Maistre, le sulfureux homme de confiance de la plus grosse fortune de France, elle estime avoir été « forcée » à démissionner et demande sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse. « Audacieux », soufflent plusieurs avocats. Surtout que la dame réclame 1 million d’euros de dommages et intérêts. « C’est une demande classique, rétorque son avocate, Florence Laussucq-Caston. Il y a une rupture abusive, avec une perte de droits à chômage, à l’assurance maladie, ce qui engendre un préjudice moral et d’image. Depuis un an elle ne touche rien et, dans le monde de la finance, son nom est un repoussoir. »

L’humoriste Stéphane Guillon contre Radio France. Et, avant lui, les animateurs Nagui et Arthur. Francis Llacer, viré du PSG, ou Eduardo Berizzo, ex de l’OM… Même les joueurs de foot éjectés du terrain portent les crampons devant les conseils de prud’hommes (CPH). Depuis quelques années, les juges du travail voient surgir des affaires qui autrefois se réglaient en bonne intelligence et en toute discrétion, à coups de gros chèques. « La saisine du CPH reflète l’échec d’une négociation », note Jérémie Assous, l’avocat qui s’est rendu célèbre en obtenant la requalification en contrat de travail des prestations de quelque 300 candidats de télé-réalité. Mais le législateur a instauré des limites : au-delà de 212 000 euros, les exonérations partielles de charges sociales et de fiscalité sur les indemnités transactionnelles tombent. La carotte financière devient donc moins intéressante que l’arbitrage judiciaire, qui, au passage, permet aussi de laver son linge sale en public.

Des procès à part. Comme tout justiciable, les people n’ont plus honte de faire valoir leurs droits ni peur de se griller dans le milieu. « Il y a un glissement à l’américaine, observe Lionel Parienté, avocat en droit du travail, habitué des conseils de Paris, Nanterre et Créteil. Le contentieux va donner un écho médiatique qui permet de faire pression en conciliation. » C’est ce qui en fait des procès à part. Accusés (tel le couple Brad Pitt-Angelina Jolie qui a une propriété en France – leur secrétaire a été licenciée durant son arrêt maladie) ou plaignants (tel Stéphane Guillon qui a récupéré 150000 euros pour licenciement injustifié), les people cassent leur image et apparaissent, face à la barre, comme des Monsieur et Madame Tout le Monde. Pour les conseillers, ces affaires – une poignée parmi les 200 000 recours annuels – posent surtout des problèmes d’organisation. Le 14 avril dernier, le CPH de Paris n’avait pas connu pareille agitation depuis longtemps. Ce jour-là, Raymond Domenech, qui réclame 2,9 millions d’euros après son licenciement pour faute grave, et Geneviève de Fontenay, qui attaque Endemol pour rupture abusive de contrat de travail, étaient convoqués pour une tentative de conciliation avec leurs ex-employeurs. « Ça perturbe toujours les audiences et génère du bruit, alors que les plaidoiries se font dans le silence, déplore Jean-Yves Marquaille, président de la section commerce. Pour éviter que ça ne dure trop longtemps, on les fait passer en premier. » Pas de portes dérobées ni de souterrains, mais des entrées et sorties canalisées pour éviter tout débordement.

Quant aux pressions pour juger plus vite… elles seraient inexistantes au dire des conseillers ! « On a la même déontologie qu’un magistrat professionnel », note Jean-Yves Marquaille. L’affaire Woerth jette pourtant un doute. Michel Berteran, président du conseil de Nanterre, aurait avancé la date de conciliation du 7 novembre au 27 mai, sur la demande de l’avocate de la plaignante. Épinglé par la presse, le juge réfute tout traitement de faveur : « Deux bureaux supplémentaires ont été ouverts et une trentaine de personnes convoquées le même jour ont bénéficié d’un avancement de leur procédure. » « Je n’ai eu aucun passe-droit, s’insurge de son côté l’ex-gestionnaire des dividendes de Liliane Bettencourt. Par souci de transparence, j’ai eu le courage de saisir les prud’hommes ; je m’expose personnellement et parce que je suis l’épouse d’un ancien ministre, on crie systématiquement au scandale ! »

Un « coup de gueule » qui ne convainc guère des praticiens habitués à patienter près de dix mois pour une audience de conciliation. « En dix-sept ans, je n’ai jamais bénéficié de telles largesses, note Lionel Parienté. Je ne crois pas à la théorie du complot, mais dans ce type d’affaire les pressions peuvent être subliminales. » Vu l’importance des sommes en jeu et le poids de l’image, difficile d’imaginer les téléphones rester silencieux, d’autant qu’un people se paie généralement une star du barreau. « C’est sûr qu’on reçoit parfois des coups de fil, à l’occasion de la communication de pièces, pour attirer notre attention sur tel point du dossier, admet Daniel Leboube, président du CPH de Versailles. Mais nous jugeons en droit et en fait, quelles que soient la complexité ou la sensibilité de l’affaire. »

Plus prompts à défendre le patriotisme économique que l’honneur sali d’une starlette, les juges du travail peinent parfois à comprendre un monde médiatique si éloigné de leur quotidien. « Comment un cégétiste peut-il s’identifier à quelqu’un qui gagne 30 000 euros en ne faisant pas grand-chose ? » s’interroge Jérémie Assous. Cet avocat culotté a quand même réussi à obtenir 17 000 euros par candidat pour douze jours à « se dorer la pilule » sur « L’Ile de la tentation ».

La pression peut aussi provenir de l’opinion publique, souvent révulsée par les sommes en jeu. Les 3 millions d’euros réclamés par Domenech après le fiasco du Mondial en Afrique du Sud restent en travers de la gorge des supporters. Idem du million demandé par Florence Woerth. « Les cadres de Renault accusés d’espionnage ont bien eu 2 millions… » s’insurge-t-elle. Le préjudice des puissants apparaît souvent comme marginal. Pour les conseillers, la tentation d’accorder moins parce qu’ils ont déjà tout n’est jamais bien loin. « Celui qui gagne 50 000 euros n’est pas dans l’urgence », estime Jean-Yves Marquaille. Pour éviter tout dérapage, ils ont pour habitude de mettre en face des conseillers aguerris et de surmotiver leurs décisions, au cas où un appel viendrait les contester. Question de crédibilité pour une juridiction qui n’aime pas trop faire parler d’elle, si ce n’est pour attirer l’attention sur son étranglement. À Nanterre, le jugement de l’affaire Woerth ne sera pas rendu avant mars… 2013. Deux ans d’attente. Comme pour tout le monde.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi