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Politique sociale

Des malus sociaux pas si payants que cela

Politique sociale | publié le : 01.09.2011 | Anne Fairise

Emploi de jeunes en alternance, négociation sur les salaires, les seniors, l’égalité professionnelle…, les sanctions à l’encontre des entreprises ne respectant pas ces obligations se sont multipliées. Au risque de l’inefficacité.

Avis aux femmes, ayant un handicap, de moins de 25 ans ou seniors : fourbissez votre CV ! Vous serez en 2011 la candidate idéale pour les DRH d’entreprises de plus de 250 salariés qui souhaitent, par le biais d’un recrutement, remplir les quotas d’emploi de jeunes en alternance (4 % des effectifs) ou les engagements qu’ils se sont fixés pour le maintien en poste des seniors, atteindre le seuil obligatoire de travailleurs handicapés (6 %) et, enfin, diminuer les inégalités salariales entre hommes et femmes. Vous l’avez compris, votre embauche plane en haut de la liste des préconisations des cabinets de conseil RH qui ont tiré les conclusions de la pluie de nouvelles obligations d’emploi ou de négociation tombée depuis 2009, chacune assortie de pénalités financières pour les mauvais élèves, voire de bons points…

Dernière en date : l’instauration d’un bonus-malus pour faire respecter le relèvement, de 1 point, du quota de jeunes en alternance annoncé en mars par Nicolas Sarkozy et voté le 28 juillet. Le bonus ? 400 euros par jeune alternant au-delà du seuil exigé de 4 % des effectifs. Le malus ? Un chèque, de 0,1 à 0,2 % de la masse salariale, selon l’effort pour se rapprocher du seuil. Bien sûr, l’« objectif n’est pas d’engranger des pénalités », a martelé le président, mais de faire évoluer le comportement des entreprises. Sans parvenir à convaincre le Medef, l’UIMM ou la CGPME, excédés par le recours croissant, depuis trois ans, des gouvernements de François Fillon à la politique de la carotte et du bâton.

Jugez du peu : en 2009, toute société refusant de négocier sur les salaires risquait une réduction des exonérations de charges sociales (10 % la première année, 100 % la troisième), et la négociation obligatoire d’entreprise a été étendue à l’emploi des 55-64 ans, sous peine de sanction pour les employeurs de plus de 50 salariés. Elle a été élargie à la prévention de la pénibilité et à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes en 2010. Une année fatidique également selon la loi handicap de 2005 : les employeurs de plus de 20 salariés n’ayant pas engagé d’action depuis trois ans envers les travailleurs handicapés ont payé un malus renchéri à 1500 fois le smic horaire (environ 12 000 euros) par salarié manquant au quota de 6 % !

Cette avalanche laisse sceptiques les syndicats. À raison, pour l’économiste Philippe Askenazy, qui n’attend aucune création d’emplois, au mieux des changements dans la file d’attente devant le bureau du DRH permettant aux femmes ou aux seniors de gagner quelques rangs. Peu. « Multiplier les obligations d’emploi sur des publics différents, c’est risquer une cannibalisation des dispositifs les uns par les autres », explique-t-il (voir entretien page 32). « Ce foisonnement ne facilite pas non plus l’engagement des entreprises, déjà difficile à obtenir lorsqu’il s’agit de mener une évolution en profondeur des mentalités et des pratiques, regrette Valérie Tran. Cela est vrai qu’il s’agisse de briser le consensus sur les préretraites pour maintenir les seniors en emploi ou de lutter contre les stéréotypes (le peu d’implication au travail supposé des mères). » La directrice du cabinet Ariane Conseil, spécialiste du handicap, déplore le manque de « vision globale » côté législateur : « Les entreprises ont dû s’engager sur le handicap, les seniors, la prévention de la pénibilité avec des objectifs, des modalités, des calendriers différents. Cela ne les aide pas à articuler leur réflexion. Objectivement, elles ne peuvent être sur tous les fronts ! »

Accords sans contenu. Autre grief, les délais courts d’appropriation des textes, entre la publication des décrets et l’application de la loi. Sur le thème du maintien en emploi des seniors, il ne s’est écoulé que six mois en 2009 pour les grandes entreprises et neuf mois pour les PME, qui ont décroché un délai. « Les DRH ont rarement toutes les données en main pour travailler sereinement », regrette Daniel Martins, directeur prospective du cabinet d’optimisation des coûts Leyton. Au risque de boucler des accords sans contenu pour éviter la pénalité. À l’image de ce qui s’est passé pour les accords seniors, nombre de consultants pronostiquent un rush de négociations sur l’égalité professionnelle et la prévention de la pénibilité au second semestre 2011. Pour cause : les décrets d’application ne sont parus qu’en juillet…

La leçon semble avoir été tirée des obligations non pénalisantes comme la loi sur l’égalité salariale, qui laissait cinq ans aux entreprises. Résultat ? Nul

Mais la grande nouveauté est le renchérissement du coût des sanctions, « autrefois résiduelles », rappelle Daniel Martins. La leçon semble avoir été tirée des obligations non pénalisantes. Comme la loi de mars 2006 sur l’égalité salariale, qui accordait cinq ans aux entreprises pour supprimer les écarts salariaux. Résultat ? Nul ou presque. Fin 2009, le ministère du Travail s’arrachait les cheveux devant la faible mobilisation des employeurs et le nombre « marginal » d’accords de branche ou d’entreprise signés entre 2007 et 2009 : moins de 5 %. On comprend pourquoi, près de trente ans après avoir proclamé le principe de l’égalité de rémunération, l’Hexagone affiche des salaires inférieurs de 17 % chez les femmes ne s’étant même jamais arrêtées de travailler !

Cette fois, même les comités exécutifs des entreprises ont senti passer le vent du boulet. Pensez, le malus « seniors », infligé depuis 2010 aux entreprises n’ayant pas conclu d’accord ou de plan d’action, atteint 1 % de la masse salariale. Ce sera aussi, en 2011, le montant du malus « égalité professionnelle » et le plafond du malus « pénibilité ». Dissuasif ! D’autant que les comex gardent en mémoire les alourdissements, en 2006 puis en 2010(1), du malus « handicap ». L’effet a été immédiat sur les caisses de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), qui a vu bondir en 2007 de 45 %, à 613 millions d’euros, le montant des chèques collectés auprès des employeurs sanctionnés. Avant de le voir chuter (à 539 millions d’euros en 2010), à mesure que ceux-ci se pliaient à la contrainte d’emploi. « L’amélioration du taux d’emploi des travailleurs handicapés depuis 2008 est un résultat concret de la politique de majoration des contributions, conjuguée à une action dynamique de l’Agefiph », explique Pierre Blanc, son directeur général. L’illustre la baisse du nombre d’entreprises sanctionnées, 50 400 en 2010 contre 58 400 trois ans plus tôt. Mieux, en 2010, les inscriptions à Pôle emploi de travailleurs handicapés ont augmenté deux fois moins vite que celles des autres publics : « Malgré la crise, les employeurs ont cherché à garder leurs salariés handicapés. »

Même succès constaté dans les fonctions publiques, soumises depuis 1987 au quota de 6 % d’emploi d’agents handicapés, mais pénalisées depuis 2006 seulement ! Révélatrice pour le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP): la hausse de 1 point du taux d’emploi légal (emploi direct et indirect inclus) d’agents handicapés dans les fonctions publiques(2), hospitalière et territoriale, depuis 2005. « Intervenue dans un contexte de réduction budgétaire, la contribution financière a incité les trois fonctions publiques à se mobiliser plus vite », note Jean-François de Caffarelli, directeur du FIPHFP, qui a encaissé, depuis 2006, 653 millions d’euros de pénalités.

Coup de bâton virtuel. À côté de ce bilan de la collecte du malus handicap, le petit million d’euros recueilli, en 2009 et en 2010, par la branche de recouvrement de la Sécurité sociale auprès des employeurs (une centaine) n’ayant pas négocié sur les salaires fait pâle figure. De même que les 50 millions encaissés en 2010 auprès de ceux n’ayant pas négocié sur le maintien des seniors ! Certes, l’effort pour remplir un quota d’emploi est plus important que pour ouvrir des négociations… sans obligation de les conclure ni de dégager des mesures visant de réelles améliorations. En outre, les 88 accords de branche et 34200 accords d’entreprise et plans d’action seniors n’ont pas empêché la hausse de leur taux de chômage pendant la crise ! La faute… aux « marges d’interprétation qu’offre la loi elle-même », selon la Dares, qui a décortiqué 116 accords et plans d’action seniors. Faute d’indication sur le chiffrage des objectifs, de définition précise du salarié âgé dans la loi, « certaines entreprises restent floues dans leur formulation » ou « se ménagent des marges de manœuvre non négligeables ».

Le gouvernement ne cesse de le répéter, son objectif premier n’est pas de pénaliser. Certainement pas médiatiquement. On l’a vu à la célérité avec laquelle il a mis fin, en 24 heures chrono en février 2010, à la tentative de Xavier Darcos, ministre du Travail à l’époque, de publier un palmarès des entreprises s’étant mobilisées ou non contre les risques psycho­sociaux, en vertu de la pratique anglo-saxonne du name and shame. Engranger les sanctions n’est pas, non plus, son objet. Voyez les précisions qui tombent à pic pour restreindre le nombre de contrevenants potentiels. Selon le projet de décret sur le malus pénibilité, seront obligées de négocier sur le sujet les entreprises ayant une proportion « minimale » de salariés exposés… égale à 50 % de l’effectif ! Une minorité majoritaire qui exclut nombre de sociétés de la sanction. Dommage, car l’argent des sanctions permet d’initier un cercle vertueux par un réinvestissement dans une politique d’accompagnement des entreprises contrevenantes et des chômeurs dont on cherche à favoriser l’embauche. L’Agefiph, organisme paritaire qui gère le malus handicap, réinjecte l’argent collecté dans des programmes visant l’amélioration de l’emploi des travailleurs handicapés. Elle a profité du bond de la collecte 2007 pour lancer une offre de services complémentaires, et remis encore au pot face à la crise. Résultat ? Entre 2008 et 2011, elle a « redistribué » plus de 2,6 milliards d’euros, réinvestissant plus qu’elle n’encaissait (760 millions investis en 2010 pour 539 recueillis). Avec succès. « Nous avons permis à 97 % des 25 000 entreprises n’employant aucun travailleur handicapé en 2007 de sortir du risque de surpénalité, précise Pierre Blanc. Grâce à une politique d’accompagnement adaptée, 6 600 emplois ont été pourvus dont 600 (en équivalent temps plein) en sous-traitance. »

Une époque désormais révolue, l’État ayant décidé de transférer à l’Agefiph plusieurs charges (le financement de la formation des chômeurs handicapés, le processus de reconnaissance des handicaps, etc.). Autant dire « l’essentiel de ses prérogatives, de la formation au niveau du contrôle d’emploi », ont tempêté les partenaires sociaux réunis au FIPHFP. « Cela change la nature de l’Agefiph, qui se voit déléguer des prérogatives de puissance publique », constate Pierre Blanc, qui déplore un « désengagement de l’État sur l’emploi des travailleurs handicapés contrevenant à l’esprit de la loi de 2005 ». Ces nouvelles charges, en tout cas, obligeront en 2012 l’Agefiph à revoir son offre à la baisse. D’autant que ses réserves ont été asséchées par les programmes complémentaires et que la collecte diminue. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la politique gouvernementale qui prétend inciter les entreprises à modifier leurs comportements d’emploi.

(1) Pénalité de 400 à 600 fois le smichoraire brut, multiplié par le nombre de travailleurs handicapés manquant à l’effectif ; et jusqu’à 1 500 fois le smic horaire à partir de 2010 pour les entreprises qui n’ont pas répondu du tout à l’obligation d’emploi.

(2) Entre 2005 et 2009, le taux d’emploi légal de travailleurs handicapés est passé de 3,7 % à 4,8 % dans la fonction publique territoriale, de 3,8 % à 4,8 % dans la fonction publique hospitalière. L’évolution est difficile à établir dans la fonction publique d’État, certaines administrations ayant modifié leur mode de calcul.

Philippe Askenazy Directeur de recherche au CNRS, auteur des Décennies aveugles : emploi et croissance 1970-2010 (Seuil, 2011)
“Les entreprises ne peuvent répondre à toutes les obligations”

Les sanctions financières à l’encontre des entreprises ne répondant pas aux nouvelles obligations d’emploi de jeunes en alternance, de maintien des seniors, etc., marquent-elles un renouveau des politiques publiques ?

En aucune manière. Ces outils ont déjà été pensés pour protéger – ou inciter à – l’emploi de travailleurs handicapés ou de seniors. Depuis 1987, les entreprises comptant moins de 6 % de travailleurs handicapés dans leurs effectifs paient une contribution à l’Agefiph. La contribution Delalande, créée en 1987 et disparue en 2008, soumettait à une taxe les entreprises licenciant les seniors. La nouveauté est la généralisation de ces sanctions, chacune poursuivant un objectif différent : l’emploi d’apprentis, l’égalité professionnelle…

Quels résultats en attendre ?

Les enseignements ne semblent pas avoir été tirés de l’« expérience » Delalande. Elle a été supprimée à cause des effets pervers de la sanction, les entreprises ayant fini par restreindre les embauches ou par licencier leurs salariés avant qu’ils ne deviennent seniors. Au contraire, la généralisation de la politique de sanction laisse penser que ses promoteurs croient pouvoir anticiper les effets pervers au moment même de la mise en œuvre. Cela me laisse sceptique.

Pourquoi ?

Multiplier les obligations d’emploi sur des publics différents, c’est risquer une cannibalisation des dispositifs les uns par les autres. Les entreprises ne peuvent répondre à toutes les obligations et arbitreront entre les publics. Pour qu’une politique de sanction agisse sur les réallocations d’emplois, ce qui n’est pas gagné, elle doit viser un public cible. Je crains que le gouvernement ne crée des dispositifs complexes ne facilitant pas le travail des DRH et, au final, sans effet. Tout cela révèle un défaut de réflexion sur les interactions entre les dispositifs de la politique de l’emploi.

Que voulez-vous dire ?

Pourquoi l’apprentissage des jeunes non qualifiés ne décolle-t-il pas ? Parce que les incitations, financières et fiscales, sur les contrats d’apprentis sont concurrencées par les allégements de charges sur le salaire minimum : les entreprises préfèrent donc recruter un candidat expérimenté au smic. Seul l’apprentissage des diplômés du supérieur se développe, car leur recrutement coûte moins cher que celui de jeunes cadres… Manipuler le marché du travail ne garantit pas des créations d’emplois. Mais les experts français n’arrivent pas à sortir de cette approche mise en œuvre, depuis les années 90, par des gouvernements de droite comme de gauche, sous différentes formes : allégements ou exonérations de charges, incitations et, aujourd’hui, sanctions financières.

Propos recueillis par A. F.

539 millions d’euros ont été recueillis en 2010 au titre de la pénalité sur le handicap.

Un joli pactole à côté des 50 millions d’euros encaissés cette même année auprès des entreprises n’ayant pas respecté leurs obligations de maintien dans l’emploi des seniors.

Auteur

  • Anne Fairise