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Politique sociale

Créativité obligée pour les syndicats US

Politique sociale | publié le : 01.09.2011 | Caroline Crosdale

Alliances, cibles, modes d’action…, pour enrayer leur déclin, les syndicats américains tentent de nouvelles méthodes.

Tee-shirt rouge marqué du slogan « justice pour les employés de ménage » et balai à la main, les petites mains latinos d’un immeuble de Los Angeles s’invitent à la fête d’un puissant locataire, agent de stars de Hollywood. C’est une des scènes clés du film Bread and Roses, de Ken Loach, racontant l’histoire vraie de l’organisation progressive des janitors – les balayeurs – avec l’aide du syndicat SEIU (Service Employees International Union). Le mouvement Justice for Janitors, né en 1986 à Denver (Colorado), est une des initiatives syndicales les plus réussies des dernières années. Il s’est propagé à Los Angeles, Chicago, New York… Il a fait des émules en Australie, Hollande, Grande-Bretagne, Suède. Rien qu’aux États-Unis, 200 000 personnes employées d’entretien et de gardiennage ont rejoint les rangs du SEIU et gagné, dans la foulée, de meilleurs salaires, une assurance santé, des congés payés.

Pour obtenir de tels résultats, les organisateurs du SEIU ont fait preuve d’une créativité peu commune dans l’univers syndical. « Nous avons fait comprendre aux propriétaires des immeubles qu’ils ne pouvaient pas se cacher derrière les contrats de sous-traitance avec les sociétés de nettoyage », explique Stephen Lerner, permanent du SEIU, chargé du recrutement de nouveaux syndicalistes. Les balayeurs ont fait irruption dans des cérémonies publiques où les propriétaires étaient présents. Ils ont fait une grève de la faim avec des étudiants à l’université de Miami, bloqué les ponts de Washington DC et demandé aux représentants de Calpers – le fonds de pension des fonctionnaires de Californie – d’exiger de bons contrats de travail pour les agents d’entretien lorsqu’ils investissent dans l’immobilier.

Surprendre l’adversaire. Le professeur Ken Margolies, expert en relations du travail de l’université Cornell, reconnaît dans ces tactiques la patte de la Highlander Folk School et de l’Industrial Areas Foundation, deux organisations chantres de la justice sociale qui enseignaient dans les années 30-40 comment surprendre l’adversaire. Les syndicalistes américains s’y étaient jusque-là peu intéressés. Mais ils sont en train de changer d’avis, convaincus par des années de déclin de leurs effectifs de réviser radicalement leurs méthodes. L’an dernier, 11,9 % des actifs américains avaient une carte syndicale et seulement 6,9 % des salariés du secteur privé. « L’Amérique n’est plus un pays industriel, note le professeur Margolies. Les syndicats n’arrivent pas à organiser leurs troupes en masse, ils travaillent seulement avec de petites centaines de salariés. » Pour inverser cette courbe descendante, les pros sont prêts à expérimenter d’autres techniques d’organisation et à toucher de nouveaux publics. « Autrefois, l’immigrant était l’ennemi venu prendre le travail des Américains », avoue Stephen Lerner. Aujourd’hui, c’est un employé dont on apprécie la bravoure. Pendant la campagne des balayeurs, Stephen Lerner a côtoyé un ancien révolutionnaire du Salvador et un juge colombien menacé de mort…

Résultat, on ne fait plus de syndicalisme pur et dur. L’Alliance IBM ou la Washington Alliance of Technology Workers pour les consultants free-lance de l’industrie high-tech à Seattle, qui ne sont pas représentatives, n’ont ni les moyens ni le pouvoir de mener des négociations salariales dans les entreprises. Ces organisations comptent plutôt sur de petits groupes d’individus soutenus financièrement par le syndicat Communications Workers of America pour faire une percée dans l’industrie. Leur objectif est davantage de se concentrer sur les principaux problèmes du métier. C’est pourquoi Rennie Sawade, l’un des représentants de la Washington Alliance, a peu à peu bâti sa boîte à outils high-tech, avec un blog, un forum, une page Facebook, un compte Twitter, pour échanger sur les délocalisations…

À New York, Jeff Eichler, permanent de la Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU), un syndicat du commerce, préfère lui aussi s’insérer dans le paysage avant de sortir ses cartes d’adhésion. Dans le quartier de Soho, il a bataillé dans 10 magasins de vêtements pour les jeunes Yellow Rat Bastard qui ne respectaient pas le salaire minimum. Jeff­Eichler a participé à la création d’un centre pour former les jeunes vendeurs, organiser des manifestations de soutien… Il a alerté le procureur général de l’État sur les violations de la loi, travaillé avec des prêtres et des politiciens du cru. Ces différents alliés ont réussi à récupérer 1,4 million de dollars en rattrapages de salaires, et les intéressés se sont syndiqués. Un chèque agrandi sur les murs de la RWDSU commémore la victoire. « Il faut réunir une armée pour gagner », déclare Ray Rogers, vieux militant de Corporate Campaign Inc. et consultant en toutes choses syndicales, qui, du haut de son bureau de Brooklyn, mène campagne contre RJ Reynolds et Coca-Cola. Ray Rogers se transforme ainsi en investisseur, le jour de l’assemblée générale annuelle de RJ Reynolds, pour faire entendre la voix de 30 000 ouvriers agricoles mexicains travaillant dans les champs de tabac. Il sera évacué par la police, menotté.

Ces militants d’un nouveau type impliquent des intervenants qui débordent largement le cercle usuel du syndicat. Pour sa campagne anti-Coca-Cola, Ray Rogers fait appel aux syndicats d’étudiants. Avec leur aide, il a réussi à faire bannir les distributeurs de 60 campus. Stephen Lerner s’adapte à la stature multinationale des entreprises. Il est en contact régulier avec les syndicats européens. Jeff Eichler, lui, interpelle les propriétaires de centres commerciaux dans le quartier de Queens, à New York, pour qu’ils réclament des salaires décents pour les vendeurs lorsqu’ils signent les contrats de location avec les commerçants. Le travail est ardu et coûteux. Gary Chaison, professeur de relations industrielles à l’université Clark, estime que les efforts de syndicalisation coûtent 1 500 dollars par employé. Et il faut convaincre 500 000 nouveaux militants chaque année pour tout juste maintenir les effectifs syndicaux. Camarades, encore un petit effort… de créativité.

Auteur

  • Caroline Crosdale