Alliant lignes TGV et développement économique, Bordeaux se voit en agglomération millionnaire. Une ambition très partagée.
Dans dix ans, la métropole bordelaise sera le territoire qui bougera le plus en France. » Président de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) et maire PS de Blanquefort, Vincent Feltesse en prend le pari. Après Lille ou Nantes, le « réveil » de Bordeaux se dessine dans les opérations d’aménagement en cours. Un développement qui s’appuiera sur la LGV, la ligne à grande vitesse, dont le contrat de concession entre Vinci et Réseau ferré de France a été signé mi-juin pour un montant de 8 milliards d’euros et qui raccordera la capitale aquitaine à la capitale tout court en deux heures en 2017. « Ma feuille de route, c’est la LGV », reconnaît Philippe Courtois, directeur général d’Euratlantique, établissement public chargé d’aménager 750 hectares, essentiellement le long de la Garonne, sur les communes de Bordeaux, Bègles et Floirac, en commençant par le quartier stratégique de la gare Saint-Jean. Le nœud gordien du réveil bordelais. Dans un inventaire à la Prévert, les aménageurs bordelais égrènent les chiffres. Un trafic ferroviaire qui passera de moins de 10 millions de passagers aujourd’hui à une vingtaine de millions, grâce non pas à une seule, mais à trois nouvelles lignes à grande vitesse vers Paris, Toulouse et Bilbao, la construction de 180 000 logements, l’attraction de 20 000 à 25 000 emplois dans une ville déficitaire en termes d’activités, notamment dans le tertiaire supérieur. Finalement, un projet mariant grande vitesse et développement économique, calqué sur Lille, avec Euralille, ou Marseille, avec Euroméditerranée. Objectif, faire entrer la métropole bordelaise, qui compte actuellement 750 000 habitants, dans le club des agglomérations millionnaires. « Mais il faut que l’économie, c’est-à-dire les emplois, suive », concède le patron d’Euratlantique.
En tout cas, le challenge fait consensus entre les bonnes fées penchées sur le berceau bordelais : l’État et les collectivités territoriales, avec en tête le maire UMP, Alain Juppé, et les grands féodaux socialistes de la Communauté urbaine et de la région, autour d’Alain Rousset, ancien président de la CUB, président actuel du conseil régional d’Aquitaine. D’un bord de l’échiquier politique à l’autre, l’ambition est partagée. « Faire sortir l’Aquitaine de l’économie de cueillette, les pins, la vigne, et le week-end sur le bassin d’Arcachon, pour faire de la recherche et de l’innovation les axes majeurs du développement régional », résume Alain Rousset, parfois qualifié de « socialiste entrepreneurial », qui a mouillé la chemise et sorti le carnet de chèques pour l’enseignement supérieur, la recherche, la formation, avec Aérocampus et Cap Métiers (voir page 44), et l’industrie, avec l’incubateur de Pessac ou le soutien à Turbomeca, à Bordes dans les Pyrénées-Atlantiques.
À l’arrivée d’Alain Juppé, en 1995, le projet de tramway a fédéré les barons de la Gironde. Depuis, les dossiers se sont succédé, la LGV, la revitalisation du centre-ville, le sauvetage de Ford… Un cas d’école que cette usine du constructeur américain, attirée par Jacques Chaban-Delmas en 1973. Deux unités de production de boîtes de vitesses, l’une pour les boîtes manuelles, aujourd’hui détenue pour moitié par Ford et l’allemand Getrag avec près de 900 salariés, et l’usine de boîtes de vitesses automatiques pour gros modèles américains qui défraie la chronique depuis plusieurs années. L’ensemble pesant, à son apogée, 4 000 emplois et près de 20 % de la taxe professionnelle de l’agglomération. Les élus ont serré les rangs pour défendre le site, non sans avoir rappelé qu’ils avaient lancé des signaux d’alerte dès les années 2000. « Un colosse aux pieds d’argile : un seul fournisseur, un seul client, un seul produit », rappelle Alain Rousset.
Les élus de l’agglomération ont tous en mémoire le scénario noir de la fermeture, en 2007, du sous-traitant électronique Flextronics, ex-Solectron, qui avait employé jusqu’à 4 000 personnes à Canéjan. Reste que le consensus métropolitain sur la croissance et l’emploi a connu un revers avec l’affaire First Solar. Le géant américain de la fabrication de panneaux solaires avait choisi l’Aquitaine – et la commune de Blanquefort – pour implanter une unité de production. Un investissement de 100 millions d’euros avec 420 emplois à la clé soutenu en 2009 par le ministre de l’Environnement de l’époque, Jean-Louis Borloo, mais contrarié par le moratoire, voté fin 2010 par le gouvernement Fillon, sur les projets solaires.
À défaut de solaire, Bordeaux s’en remet à ses fondamentaux, notamment l’aéronautique et le spatial. Car, si Toulouse détient le titre de capitale française, Bordeaux revendique davantage d’emplois dans ce secteur, avec une forte dominante militaire. Les deux capitales régionales, qui se jaugent en permanence, sont bien obligées de jouer collectif. Elles sont regroupées au sein d’un même pôle de compétitivité, Aerospace Valley. « La confrontation est vive, mais avec fair play », estime Luc Pabœuf, le président du conseil économique, social et environnemental régional. C’est qu’à Bordeaux, terre de négociants – les fameux chartreux qui ont donné leur nom à un quartier de la ville –, on n’aime guère le conflit.
Le secteur aéronautique et spatial représente 41 000 emplois, dont 27 000 directs en Aquitaine, largement concentrés dans l’agglomération bordelaise.