Après Cendrillon, Éric Reinhardt poursuit son exploration des dérives du libéralisme.
Dans ce nouvel opus, dense, sexuel, qui continue de sonder la tragédie contemporaine, Éric Reinhardt ne s’embarrasse pas d’effets de surprise. Dès le début, on le sait, l’histoire finit mal. Tout le talent de l’auteur tient dans le récit, haletant, de cette course vers le désastre.
La relation adultère entre une DRH et un chef de travaux prend des allures d’allégorie où le temps, le sexe et le monde du travail sont étroitement liés. Les métiers des deux amants ne se fondent pas dans un décor. Ils font partie intégrante de leur mode de fonctionnement, de leur système. Celui de Victoria, DRH d’un groupe mondialisé qui licencie à tour de bras, repose sur la vitesse : « Ne jamais être à la même place, se segmenter dans un grand nombre d’activités et de projets, pour ne jamais se laisser enfermer dans aucune vérité, mais être à soi-même, dans le mouvement, sa propre vérité. » Ultralibérale, elle fait partie des vainqueurs. David, qui a renoncé à ses rêves d’architecte pour devenir chef de travaux de la plus grande tour de la Défense, incarne le passé. De gauche, introspectif, cérébral, il est dans le camp des serviles volontaires et sait mieux que personne les dégâts de la pression du temps sur les hommes. Lui qui doit prendre « dix décisions à la minute » pressent le danger mais se laisse entraîner dans une relation torride pour ne pas avoir un jour à éprouver des regrets.
Le sexe, chez Reinhardt, a changé d’opinion politique. Il était « du côté des hippies dans les années 70, il est du côté des DRH dans les années 2000 ! ». C’est tout, tout de suite. Et pour quelques élus. Non seulement les héros ne jouissent plus sans entraves, mais aussi sans états d’âme.
Le Système Victoria, Éric Reinhardt. Éd. Stock. 528 pages, 22,50 euros.